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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

[ C H R O N I Q U E ] Quel âge atout ?

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[ C H R O N I Q U E ] Quel âge atout ?

« Il me semble, bercé par ce choc monotone, 
qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part »
BAUDELAIRE

 

Les rédacteurs des Assises nationales sont des gens intelligents. Mais ils ont dit, en l’occurrence, une bêtise qu’il faut vite corriger. Si le choix m’était proposé, je préférerais de loin un autocrate en fin de parcours à un dictateur à la fleur de l’âge. Tout comme il me parait plus souhaitable d’avoir un mégalomane assoiffé de pouvoir à 83 ans, en étant sûr qu’il n’en a pas pour longtemps, plutôt que d’avoir à supporter son clone de 41 ans. C’est presqu’une moquerie que de nous dire qu’Abdoulaye Wade aurait mieux fait de devenir président de la République beaucoup plus tôt. A quoi je réponds que le banditisme n’est pas un monopole des gens âgés, loin s’en faut. Après les dégâts qu’il nous a causés, le président de la République aurait été mieux avisé d’arriver bien plus tard, puisque nous trouvons les neuf années passées à la tête du pays insupportables. Il s’ajoute, et je peux en témoigner par le nombre de confidences que je reçois toutes les semaines, que c’est chez les gens de sa génération qu’Abdoulaye Wade suscite le plus la colère et l’incompréhension. Sa capacité à se dédire et à se ridiculiser suscite tous les jours l’effroi de ses semblables. Il le sait si bien qu’il ne s’entoure que de jeunes délinquants.
Les propositions contenues dans le rapport des Assises sont sans doute d’excellente facture, comme on s’en apercevra bientôt. Mais celle de la limitation de l’âge des candidats n’honore pas ses rédacteurs. Puisque pour une simple question de cohérence intellectuelle, on ne peut pas avoir demandé à Amadou Makhtar Mbow de présider les Assises, ce qu’il a fait à mon avis avec une grande hauteur d’esprit et le déclarer par la suite inapte à devenir président de la République. D’expérience, les plus graves dérives de ce monde ont été le fait d’hommes arrivés au pouvoir trop tôt, pas trop tard. Abdoulaye Wade en est l’exception malheureuse.
J’attribue la maladresse au traumatisme causé par la présidence d’Abdoulaye Wade, en me disant qu’il est bien réel. Une des propositions qui n’a pas été retenue -heureusement- était de soumettre tous les candidats à la présidence de la République à une expertise psychiatrique. Mais puisqu’en la matière, on ne peut pas imposer à un candidat son psychiatre, on imagine de là le marché de dupe que cette disposition pouvait ouvrir aux futurs candidats. Quand le gouvernement a fait appel à un expert en balistique pour élucider le meurtre de Me Babacar Sèye en 1993, Abdoulaye Wade avait, lui aussi, trouvé son expert en « balistique ». Ce n’était personne d’autre que l’actuel président de l’Ascosen, Momar Ndao, qui ne connaissait cette science que de nom. 
C’est pourquoi ceux qui pensent qu’il faut choisir les chefs d’Etat à un plus jeune âge avant qu’ils ne deviennent des voyous à un âge plus avancé se trompent en la matière. On ne peut pas, à partir d’un chiffre somme toute aléatoire -puisque certains peuvent le changer comme ils veulent- décider de l’avenir d’un pays. L’ancienneté terrestre ne peut pas être un handicap. Le problème d’Abdoulaye Wade est d’une autre nature, puisque nous ne savons pas, à ce jour, quand et où le monarque est né. Ce qui rend la tâche encore plus ardue. Ses hagiographes, très divisés sur la question, survolent cet espace nuageux avec la plus grande prudence, de peur de tomber dans le vide.
Mais on peut perdre la tête à 70 ans comme on peut la perdre à 35 ans. Et ce serait une erreur monumentale que de nous priver de l’expériance de tous ceux qui ont plus de 70 ans, par la faute d’un seul homme. Ce que nous devons veiller à faire et c’est ce qui est valable en la nature, c’est de créer des mécanismes juridiques qui permettent de constater l’incapacité d’un président de la République. Il y a, ces derniers jours, des pratiques peu rassurantes quand elles s’observent au sommet d’un Etat. On pouvait imaginer les tâtonnements observés lors de la formation du gouvernement liés à la démission surprise de Hadjibou Soumaré. Mais ce qui se passe avec le vote de la loi instituant la vice-présidence est plutôt alarmant. Si Abdoulaye Wade s’empresse avec autant de maladresse à se désigner un successeur, c’est qu’il se passe quelque chose. Ils disent qu’ils le font « parce que tout peut arriver », mais tout peut toujours arriver. Ce n’est donc pas une raison suffisante.
Ce qui aggrave la situation avec un homme comme Wade, c’est qu’il est médiocre et s’entoure de médiocres comme lui. Et puisqu’il est seul à décider, il ne peut jamais savoir quand une décision est bonne et quand elle est mauvaise. Je discutais cette dernière semaine avec un de ses principaux collaborateurs, en pensant que le président de la République a été la victime de la mauvaise qualité de ses conseillers juridiques lors de la rédaction du projet de loi portant création du poste de vice-président. Mais la réponse est non. Puisqu’il se prend pour un expert de la chose à juger, Abdoulaye Wade a passé un week-end laborieux face à ses feuilles noircies, rédigeant, corrigeant des pages entières d’exposés des motifs sans jamais se lasser. L’expert juridique s’évertuait à expliquer qu’il souhaitait faire la promotion de la « femme » sans qu’on le lui demande. Quand il produit de la nourriture intellectuelle en si grande abondance, ses ministres la bénissent et s’en gavent sans discernement aucun. Ce n’est qu’une fois que l’opinion s’en est indignée que le projet loi a été retiré du site du gouvernement et modifié en catimini. Il connaitra un autre toilettage, avant de passer au vote des députés. Souleymane Ndéné Ndiaye, qui n’est pas de meilleure qualité intellectuelle, ne verra même pas passer la dernière mouture. A ce point malmené, le texte méritait un petit repos. Mais c’était sans compter avec l’expertise d’Abdoulaye Wade. Puisqu’il tient à ce qu’on reconnaisse sa supériorité sur tout, l’homme passera sa plume lumineuse sur la nouvelle loi avant son arrivée au Sénat. Le résultat est que la loi adoptée en Conseil des ministres est différente de celle votée par les députés, différente de celle votée par les sénateurs. Quand viendra le moment de la promulguer, le professeur de génie promet d’y ajouter une nouvelle touche lumineuse, pour la postérité. Les étudiants de l’Enam en sont abasourdis et ne s’en cachent pas. Ils sont catastrophés par autant de légèreté.
Le problème d’Abdoulaye Wade, c’est peut-être d’avoir passé trop de temps à l’école, dans quoi il fait jeu égal avec son Premier ministre. Juste Souleymane Ndéné Ndiaye, qui a mis 13 ans après son baccalauréat pour devenir avocat, peut-il se vanter qu’à l’âge où il est devenu Premier ministre, Abdoulaye Wade était encore sur les bancs de l’université. 
La sagesse veut que quand on est si peu doté en intelligence, l’on s’entoure de gens doués. Mais en la matière, le président de la République ne peut compter que sur le sémillant Pape Samba Mboup  et son fils Karim qui, en se penchant, fait jaillir toute sa lumière sur le cerveau de son père.
Les résultats de cette prodigieuse épopée familiale sont affolants. Avec près de 400 milliards de francs Cfa investis dans la Goana, la production céréalière du Sénégal a baissé de 20% l’année dernière. Rappelez-vous quand même que la saison à peine terminée, le chef de l’Etat a organisé sur la Place de l’indépendance une grande fête de la moisson dans laquelle s’étaient plutôt distinguées les tomates en plastique importées de Chine. Il vient d’emprunter à Khaddafi sa révolution verte sans plus de conviction. 
Peut-être croit-il sincèrement qu’il lui suffit de commander aux moissons pour qu’elles croissent et murissent. Mais rendez-vous compte que pour la même année, la production céréalière de l’Afrique de l’Ouest a augmenté de 13,7%. Le Mali et le Burkina Faso ont fait mieux que nous, sans grand bruit. Le budget général de chacun de ces Etat est presqu’égal à la totalité des sommes investies pour la seule Goana. J’en parlais avec un haut fonctionnaire de la Présidence de la République, qui a eu du mal à me cacher sa colère. Comme dans de nombreux cas, « il appelle les experts, il leur dit voilà ce que je veux. Puisqu’ils veulent avant tout sauver leurs places, même s’il dit des bêtises, ils ne le contredisent pas », s’insurge mon interlocuteur. 
C’est pourquoi je reste convaincu que c’est à Abdoulaye Wade qu’il faut s’en prendre, pas à son âge. Ceux qui ont commémoré ces derniers jours la mort de Me Babacar Sèye se rendent bien compte de ce dont, plus jeune, cet homme était capable. Nous devons donc bénir le ciel de nous l’avoir imposé si tard.
SJD



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