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Economie

POINT DE VUE - L’environnement : premier capital des pays pauvres

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POINT DE VUE - L’environnement : premier capital des pays pauvres

L’urgence des problèmes liés à l’extrême pauvreté, à l’accès à l’éducation et aux services de santé ou à l’eau potable, ont conduit les responsables politiques d’Afrique Subsaharienne à afficher leur priorité sur ces questions. La plupart des « Cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté » du continent identifient ainsi les secteurs sociaux et les infrastructures économiques comme prioritaires. Les pays subsahariens recueillent, sur ces bases, l’approbation et le soutien de la communauté internationale et des bailleurs de fonds.

Pour incontestables qu’ils paraissent, ces choix ne sont pas sans risque dans la mesure où ils placent au second plan la préservation de l’environnement. L’un des huit Objectifs du Millénaire pour le Développement appelle pourtant à « assurer un environnement durable » et à mettre fin à l’épuisement des ressources naturelles. Cette tâche risque d’être négligée. Or, en l’absence d’une politique environnementale viable, les efforts de réduction de la pauvreté ne pourront être soutenus à moyen et long terme, qu’il s’agisse de lutte contre la faim, contre la mortalité infantile, etc.

En effet, le capital économique des pays pauvres est très largement fondé sur leur environnement. Un rapport récent rapport de la Banque mondiale montre que leur capital naturel est très supérieur au capital produit, et représente 25 % de leur richesse totale. Cette part est beaucoup plus élevée que dans les pays riches où le capital naturel ne représente que 3 % de la richesse. Par ailleurs, dans les pays à faible revenu, le sol - terre cultivable, pâturages - constitue une proportion considérable du capital naturel, de l’ordre de 70%, contre moins de 40 % dans les pays développés.

Dans les pays les plus pauvres, la bonne gestion des ressources environnementales est donc centrale dans toute stratégie de développement. D’autant que la survie des populations les plus fragiles est généralement et directement liée à l’état de l’environnement.
Le capital naturel joue un triple rôle de développement : il fournit une subsistance de base (par exemple les ressources halieutiques), finance les investissements lorsque son exploitation commerciale est source de profit (c’est le cas des ressources minières), et offre aussi une série de « services environnementaux » : les couverts forestiers régulent les bassins hydrographiques, les écosystèmes marins permettent la survie d’espèces exploitable économiquement, etc.
La gestion durable de ce capital est donc condition d’un développement durable. Elle suppose une prise de conscience par les populations et leurs responsables, dans laquelle la responsabilisation joue un rôle important, qu’elle soit individuelle ou collective. A cet égard, les processus de décentralisation qui confient aux collectivités locales des responsabilités en matière de gestion de l’environnement, de même que les réformes du statut foncier qui clarifient les droits de propriété, vont dans le bon sens, sans toutefois apporter toutes les solutions nécessaires.

En effet, les enjeux locaux ne recouvrent pas totalement les enjeux globaux. Un équilibre est nécessaire entre des visions planétaires, des visions nationales et des visions de proximité pour intégrer l’ensemble des problématiques. L’articulation de ces trois niveaux est un des enjeux institutionnels les plus difficiles à résoudre, car elle pose la question des souverainetés.
Les ressources naturelles doivent être gérées de façon à assurer leur renouvellement effectif. Les actions de la puissance publique sont ici décisives, tant pour l’attribution de droits ou de quotas, qu’en matière de fiscalité ou de contrôle des modes d’exploitation. Dans les forêts du bassin du Congo, par exemple, des plans d’exploitation durable se mettent en place depuis une dizaine d’années, sous la pression du marché qui réclame davantage de « bois certifiés », comme sous l’impulsion de l’aide internationale. Toutefois, les problèmes institutionnels des Etats concernés rendent nécessaire une vigilance de tous les instants, de la communauté internationale comme des sociétés civiles.

L’urgent

Lorsque le capital naturel n’est pas renouvelable, les revenus qu’il génère devraient avoir vocation à être investis dans d’autres formes de capital, afin de maintenir à long terme le niveau de la richesse nationale. L’exemple de l’exploitation des mines de diamants par le Botswana peut à cet égard être considéré comme efficace : la gestion des finances publique a été encadrée depuis plus de 40 ans afin que les dépenses de consommation ne soient jamais supérieures aux recettes non liées aux ressources minières.

Cet exemple de gestion laisse cependant entière la question du choix optimum des investissements à réaliser avec les ressources des rentes – minières ou pétrolières. Force est de constater que dans bien des pays, l’exploitation d’une rente minière (ou pétrolière) dans des conditions de gestion macroéconomique durable reste un défi pour ces pays et pour leurs partenaires. Cela suppose un engagement politique et institutionnel parfois peu compatible avec les enjeux immédiats de la politique locale et nécessite donc un niveau élevé de conscience de l’intérêt public à long terme.

Pour prendre de bonnes décisions économiques, il est également indispensable d’apprécier correctement la valeur des ressources naturelles, qu’il s’agisse de « ressources à consommer » ou de la valeur fonctionnelle des écosystèmes « fournisseurs de services ». Les problèmes d’évaluation sont réels, mais devront être surmontés car à défaut d’une juste connaissance de la valeur du capital environnemental, ce dernier risque d’être altéré au profit d’usages moins bénéfiques. Une bonne analyse économique a par exemple incité Madagascar a accroître son action en faveur des aires protégées dès lors qu’a été montré le rôle des couverts forestiers dans la stabilisation des ressources hydriques du pays au profit, notamment, des riziculteurs.

Le développement nécessite certes des investissements physiques et humains, objet de toute l’attention des sciences économiques et par conséquent des décideurs. Pourtant, il est urgent d’ancrer dans le raisonnement économique l’appréciation du capital naturel et des « risque à moyen terme » que sa consommation irraisonnée fait courir aux générations futures. Cette évolution de l’analyse s’impose désormais à tous les décideurs et partenaires des pays les plus pauvres, à l’heure où tant de signaux manifestent l’appauvrissement du socle environnemental de l’activité humaine.

Jean-Michel Severino
Directeur général de l’Agence Française de Développement ([email protected])



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