ESCROQUERIE : Espérant épouser djinns et faire fortune, ils se font arnaquer 50 millions de francs

Le désir farouche de devenir riche est-il en train de rendre vulnérables les Sénégalais auprès des charlatans ? En tout cas, le cas de Seydina Diop et Mamadou Senghor mérite réflexion. En voilà deux individus qui, comparés à la plupart de leurs compatriotes, gagnaient très bien leur vie, mais se sont laissé berner. Espérant gagner une fortune grâce à des épouses prédestinées... djinns, ils ont perdu un total de 50 millions de francs Cfa.

Les Sénégalais, c’est connu, croient pour la plupart d’entre eux aux marabouts. Et quand des prières sollicitées arrivent à être exaucées, la confiance revêt parfois des allures aveugles. Seydina Diop était convaincu que Chérif Diarra avait réalisé ses vœux après prières et il pensa à faire bénéficier son ami Mamadou Senghor des dons du marabout. C’est d’abord des sacrifices pas onéreux qui sont demandés aux deux hommes, comme des poulets à tuer en mer, des œufs à casser aux croisements, etc. Chérif leur parla d’un autre marabout beaucoup plus capé que lui : un certain Boubacar Cissé, domicilié à Hann Maristes, capable de réaliser leurs vœux. Alors, ils s’y rendirent avec l’espoir de devenir plus riches. Car, les deux hommes n’étaient certainement pas des « gorgoorlu » (personnes dans le besoin), Seydina, reporter photographe de profession, tenait un magasin de produits cosmétiques, et son ami, qui faisait du « business » en Italie, possédait beaucoup de biens au Sénégal.

Ayant pris connaissance de l’objet de la visite de ses hôtes, Boubacar Cissé demanda aux deux hommes de repasser un autre jour, le temps qu’il fasse du « halwa », consistant à s’isoler pour entrer en communication avec le Ciel ou les esprits. Accompagnés de Chérif Diarra, au jour convenu, ils tombèrent sur une scène inattendue à Hann Maristes, chez le charlatan. A peine avaient-ils frappé à la porte de l’appartement qu’ils entendirent quelqu’un à l’intérieur crier. Une fois entrés, ils trouvèrent Boubacar en transes, en train de cogner sa tête contre le mur, de baver quelque chose ressemblant à du sang. Alors Chérif fit le connaisseur en leur disant que le bonhomme est possédé par les djinns ou les anges qui se seraient certainement fâchés au cours de l’opération de « halwa ». Il suggéra aux deux profanes de faire tout pour sauver Boubacar, et pour cela, il leur recommanda d’appeler vite un maître plus gradé que lui répondant au nom de Daouda Djeylani Cissé, le seul à pouvoir soigner le marabout en convulsions. Se culpabilisant un peu d’avoir sollicité le bonhomme pour ce travail, ils tombèrent dans le piège du sauvetage à tout prix. Et lorsque Daouda Djeylani, supposé être le seul à pouvoir soigner le charlatan, arriva sur les lieux suite au coup de fil de Chérif, il rajouta à la panique des deux hommes qui n’en pouvaient plus de voir l’homme à l’article de la mort.

Chameaux à sacrifier

Daouda Djeylani refusa catégoriquement de toucher au « malheureux », sous le prétexte que son père lui interdit formellement d’avoir affaire à des malades en proie à des « rabs » (esprits). Il proposa de recourir au marabout Mamadou Lamine Touré alias appelé aussi Gorgui Touré, présenté comme le seul en mesure de sauver le « malade ». Ce dernier, contacté, entra en scène à son tour, « comme par enchantement », dit Me Ciré Clédor Ly qui dénonce une savante mise en scène du début à la fin. Dès son arrivée, Gorgui ajouta à la peur en déclarant que les djinns avaient été provoqués et étaient en fureur, que la maison allait s’effondrer et que Mamadou Senghor et Seydina Diop, de même que leurs familles allaient tous mourir en guise de punition. La panique était à son paroxysme, les deux hommes prêts à tous les sacrifices pour se tirer du pétrin. C’est alors que Gorgui Touré, faisant semblant de venir à leur secours, suggéra d’égorger 37... chameaux en guise de sacrifice et autres offrandes. En attendant, il allait s’occuper à préserver l’âme du « malade » grâce à un parfum appelé « Nawmir » et qui serait très rare d’où son coût exorbitant. Là encore, Daouda Djeylani dit qu’il connaît quelqu’un qui le vend à 1,2 million de francs. Après marchandage, le prix fut arrêté à 900.000 francs, mais les deux hommes s’acquittèrent seulement de 500.000 francs. Dès que Gorgui aspergea un peu du parfum au « malade », ce dernier retrouva ses esprits comme par enchantement. Maintenant, il fallait songer à l’argent pour les chameaux à sacrifier, le sac de colas, les bœufs à immoler, pour être à l’abri de la « colère » des djinns. C’est ainsi que les deux individus plongèrent dans une spirale de racket. Sentant que les deux pigeons commençaient à s’essouffler à force de solliciter leur tirelire, on inventa un autre subterfuge en leur faisant croire que chacun d’eux avait une épouse djinn qui lui est prédestinée et qui est source de fortune. A Senghor, on fit croire que la femme djinn qui est tombée amoureuse de lui est jalouse à un point qu’elle peut en vouloir à son épouse humaine et « bloquer sa chance ». Alors, un déplacement fut effectué dans une brousse aux alentours de Rufisque, à deux heures du matin.

Brusquement, raconte Seydina Diop, les prétendues femmes djinns sortirent d’un arbre pour discuter gentiment avec eux.

Et pour ne pas rater cette occasion, malgré les fortes sommes déjà dépensées, les deux amis se débarrassèrent de la plupart de leurs biens. Mamadou Senghor vendit ses deux terrains à Cambérène, ses appareils électroménagers tandis que Seydina Diop brada purement et simplement sa maison et sa voiture.

A les en croire, ils remettaient l’argent à Daouda Djeylani Cissé, qui servait d’intermédiaire entre eux et Gorgui Touré. Rien que pour les chameaux à sacrifier, ils disent avoir décaissé 16.405.000 francs. Les deux plaignants soutiennent avoir perdu dans l’opération un total de 50 millions de francs Cfa. Etant le seul interpellé dans cette histoire d’escroquerie, Daouda Djeylani Cissé a nié avoir reçu quoi que ce soit des parties civiles, se contentant de dire qu’il a juste empoché 20.000 francs offerts par Gorgui Touré.

Ses dénégations n’ont pas convaincu Me Ciré Clédor Ly de la partie civile et le procureur de la République. Le premier a demandé au tribunal d’allouer à ses clients la somme de 75 millions de francs à titre de dommages et intérêts tandis que le Parquet a requis deux ans ferme pour le prévenu, même s’il estime que ce dernier est complice « dans un scénario savamment mis en scène ». Mais, estime Me Aliou Sow de la défense, pour condamner le prévenu, il faut des preuves de culpabilité. Son client n’ayant, à son avis, reçu aucune somme, il a sollicité la relaxe pure et simple. Le tribunal a mis l’affaire en délibéré à la date du 3 septembre prochain.