NDEYE MOUR NDIAYE, ICONE DU THEATRE SENEGALAIS : Une femme naturelle porteuse de projets

Dans l'histoire du théâtre sénégalais, il n'y a pas lieu d'omettre de signaler que Feu Cheikh Tidiane Diop est un monument. Si nous pouvons nous honorer des Makhourédia Guèye, des Baye Peul et autres grands noms du théâtre sénégalais, c'est principalement grâce à Cheikh Tidiane Diop, le grand scénariste qui a inventé de grandes pièces avec sa troupe "Daaray Kocc". Une des artistes qui ne laisse par ailleurs aucun des télespectateurs indifférent, c'est bien Ndèye Mour Ndiaye, une femme qui a vécu 45 années remplies de grâce par les rôles qu'elle jouait dans les pièces écrites d'une main de maître par celui qu'elle considère comme son père.

"Femme noire" est l'un des poèmes de Senghor qui chante la beauté de la femme africaine. Même si la dépigmentation passe pour être une mode suivie par certaines de nos femmes, il en existe d'autres qui ont conservé leur teint qui leur confère de la splendeur. Ndèye Mour Ndiaye frappe son interlocuteur par son teint et son urbanité. Youssou Ndour a dédié une mémorable chanson à la Médina, quartier qui l'a vu grandir, et duquel il dit que ses fils se font reconnaître facilement par l'urbanité qui les caractérise. C'est bien cette urbanité que revendique Ndèye Mour, fille d'un adjudant-chef de la police nationale. Elle doit tout à la Médina où : "J'ai réussi ma socialisation en entrant très tôt dans l'espace de la parole par les animations organisées dans une troupe de quartier au sein de laquelle j'ai fait mes premiers pas avec Pape Demba Ndiaye, le neveu de Feu Cheikh Tidiane Diop", se souvient-elle, toute heureuse.
En effet, la Médina a été un cadre propice à l'épanouissement de son talent, en raison de l'existence de facteurs déclencheurs comme les navétanes qui étaient des occasions de rencontres fraternelles entre les quartiers qui se proposaient de relever le défi de l'excellence dans un esprit de tolérance et de fair-play. "Sans doute, si l'équipe des Navétanes de Santhiaba n'existait pas, je n'aurais pas eu l'occasion de voir mes aptitudes de comédienne éclore. C'est aussi parce que tous les ténors du théâtre habitaient la Médina que j'ai eu la chance d'être découverte par Cheikh Tidiane Diop qui m'a recrutée dans sa troupe en 1979 sans m'avoir soumis à une audition.
Mon jeu était, considérait-il, naturel", rapporte-t-elle. N'étant sortie d'aucune école de formation comme l'école des Arts, elle a pu se frayer une voie qui lui a donné une grande audience auprès des télespectateurs dont certains trouvent qu'elle doit correspondre par son tempérament aux personnages qu'elle joue et qui se singularisent par un discours tranchant. "Je ne choisis aucun rôle. Je me soumets à la distribution faite par le scénariste qui, certainement, en raison de mon caractère entier, trouve que les rôles qu'il me confient me conviennent assez pour être bien joués. Mise à part cette précision, je suis respectueuse envers les autres. Et je tiens aussi à une certaine respectabilité. C'est ce détail qu'il faut signaler pour lever toute équivoque concernant ma vraie nature", renseigne-t-elle.

Lecture

Mais, depuis 1993, Ndèye Mour a consommé le divorce avec la Troupe "Daaray Kocc" qui l'a révélée aux Sénégalais, et ce : " En raison du climat délétère qui y prévalait et qui constituait un facteur handicapant pour la performance des artistes", souligne-t-elle. De même, elle note que le soutien dont les comédiens sénégalais devraient bénéficier est insuffisant, à défaut d'être nul. Et cela, elle l'explique par le fait que les publicistes : "sollicitent souvent des amateurs pour faire la publicité de leurs produits, et en cela, ils ne participent pas à donner une certaine présence aux comédiens que nous sommes. "Pire encore, "si on peut ranger l'art dans la rubrique des secteurs en crise, le théâtre l'est encore plus qu'il ne faudrait. C'est plutôt les musiciens qui se voient parrainer par des structures pour tirer profit d'une promotion dont les comédiens sont privés." Pourtant, elle estime : "Dieu sait que nous jouons un rôle important dans la société par le fait de traiter des sujets riches qui contribuent de manière considérable à l'éveil des consciences".
En vérité, ce ne sont pas les Sénégalais qui vont la démentir si on se souvient des années pendant lesquelles tous les mardi soir, passaient à la Télévision Nationale, des pièces de théâtre au contenu hautement éducatif et à propos desquelles les commentaires ne manquaient pas de fuser le lendemain. Mais ce déficit d'intérêt est lié selon elle à la " désorganisation du secteur du spectacle où pullulent des troupes de moindre envergure qui n'ont pour credo que la recherche de l'argent et non l'amour de la profession".

Projet

Au nom de sa profession qu'elle n'abandonne souvent que pour se consacrer à la peinture et au "Batik", cette femme a déjà, depuis 2005, écrit deux scénarii pour le tournage desquels : " j'attends des bailleurs qui ne s'en arrêtent qu'à des promesses infructueuses", informe-t-elle, toute désolée. Mais elle ne néglige pas d'admettre que des solutions peuvent apparaître si les comédiens acceptent de donner le meilleur d'eux -mêmes en défendant leurs intérêts pour mieux assurer une présence qui les éloigne d'une situation pitoyable.
Pour cette raison, elle dit : "Je suis membre active de l'association chargée de la défense des intérêts des artistes et comédiens du Sénégal, et dont le Président est mon ami et frère, Monsieur Thierno Ndiaye Doss. Mais parallèlement à mes activités au niveau de cette structure, j'encadre à la Médina de jeunes pousses qui sont prometteuses pour devenir de grandes stars du théâtre sénégalais. Elle renchérit : "L'essentiel des thèmes autour desquels j'articule mon écriture, est centré sur des questions qui ont trait à la drogue, au Sida, à la persécution psychologique qui perturbe la tranquilité de certaines femmes, cruellement victimisées par leurs beaux- parents".
A coup sûr, aucune des problématiques en chantier n'est pour exclure de porter un intérêt au projet de cette femme. Car il est bien dommage que des gens portent des projets réalisables et que l'indifférence les relègue dans l'oubli avant que la mort ne les réhabilite par des souvenirs qui magnifient leur mérite. Beaucoup d'artistes ont eu hélas le malheur d'être des incompris de leur temps.