Couvre-feu saoudien à Manama, capitale de Bahreïn

Des opposants continuaient à appeler à des manifestations après l’assaut des forces de sécurité qui ont repris la place de la Perle au centre de la capitale soumise au couvre-feu. La veille, l’état d’urgence avait été décrété après l’arrivée sur place de soldats d’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis, semant l’émoi dans les milieux chiites de la région.

 

L’opposition chiite dénonce une « occupation étrangère » et une remise au pas sunnite depuis l’arrivée le 14 mars de plus d'un millier de soldats saoudiens suivis par quelque 500 policiers des Emirats arabes unis dépêchés sur place dans le cadre du Conseil de coopération des pays du Golfe (CCG). Une entraide sécuritaire baptisée « Bouclier de la péninsule » qui marque l’inquiétude souveraine de Ryad et des autres monarchies pétrolières décidées à « s’interposer comme force de dissuasion et à assurer la sécurité des citoyens et des infrastructures publiques critiques telles que les raffineries, société d’électricité et autres ».

 

Un couvre-feu est désormais en vigueur de 16 heures de l’après-midi à 4 heures du matin au centre-ville, dans les secteurs du district financier et de la grand place de la Perle qui ont été jusqu’ici le théâtre principal de la contestation. L’objectif est de toute évidence d’en finir avec un mouvement d’opposition, qui s’est radicalisé, et de préserver l’autorité de la dynastie sunnite des al-Khalifa. Dans cette perspective, l’état d’urgence avait été décrété avant l’assaut donné mercredi matin contre la place de la Perle. 

 

En attendant l’entrée en scène des forces de la CCG qui entendent les contraindre à leur dernier baroud d’honneur, les manifestants se sont voulus unitaires avec des banderoles proclamant en quelque sorte « sunnites-chiites, même combat » contre la monarchie absolue. Les militants de l’ancien grand parti de l’opposition parlementaire chiite, le Wefaq, réclament pour leur part « une monarchie constitutionnelle dans laquelle le gouvernement serait élu par le peuple ». 

 

Le Wefaq se suffirait d’une réforme parlementaire au profit de la majorité chiite. Il escomptait du reste un profit immédiat et c’est avec cet objectif en tête qu’il a pris en marche le train de la contestation lancé sur internet par la jeunesse, le 14 février dernier. Mais une partie non négligeable des initiateurs du mouvement reste sur la ligne d’un mouvement radical qui marquerait la fin de la dynastie régnante. Certains d’entre eux se sont d’ores et déjà rangés derrière Hassan Mouchaïma, qui vient de rentrer d'exil pour reprendre les rênes du Hak que les autorités espéraient avoir neutralisé avec lui. 

 

Le Hak est une dissidence du Wefak. Ses membres ont fait scission en 2006 pour marquer leur désaccord à toute participation aux législatives dans un pays où les partis politiques en tant que tels restent interdits. Le Hak reprochait alors à ses anciens compagnons du Wefak de donner une légitimité démocratique à un jeu parlementaire en trompe l’oeil destiné à servir les intérêts de la seule minorité sunnite au pouvoir. 

 

La loi martiale interdit désormais les rassemblements, les marches et autres sit-in à travers le pays. C’est dire les risques encourus par ceux qui veulent poursuivre le mouvement qui a déjà enregistré une dizaine de morts parmi lesquels des policiers et des résidents étrangers. Mardi, ce sont aussi des centaines de personnes qui ont dû être hospitalisées pour des blessures à balles réelles ou après avoir inhalé des gaz lacrymogènes. Et dans toute la région, des dignitaires chiites en appellent à la communauté internationale et au monde musulman pour éviter ce qu’ils qualifient de « massacre » confessionnel. 

 

 

Ryad a voulu signifier la fin de la partie aux contestataires de la place de la Perle. Mais en même temps, les troupes saoudiennes du CCG marchent sur des œufs. Pour le moment, elles ne sont pas directement intervenues, laissant les forces bahreini nettoyer elle-même le centre de Manama. Un bain de sang provoquerait une levée de boucliers chiites dans le Golfe où veille la puissance régionale iranienne. L’opposition bahreïni a d’ailleurs immédiatement saisi la balle au bond pour faire monter la pression en dénonçant par avance « une guerre d'anéantissement » visant la majorité chiite. 

 

Le dérapage de la situation à Bahreïn constitue un vrai souci pour Washington qui a ancré sa Ve Flotte dans ses eaux territoriales. Les Etats-Unis ont dépêché le vice-secrétaire d'Etat Jeff Feltman pour convaincre Manama de trouver une issue politique à la crise qui menace de faire tache d’huile dans le Golfe. Depuis dix ans, les monarchies pro-occidentales multiplient les mesures sociales pour répondre aux premiers effets de la réduction de la rente pétrolière sur leurs fragiles équilibres politiques où une génération montante craint un véritable déclassement social. 

 

A Bahreïn, le prince héritier a été mandaté pour un « dialogue national » qui ne convainc plus la jeunesse. Bien évidemment, il n’ira pas jusqu‘à scier la branche monarchique qui garantit son autorité. Or lâcher du lest ne suffit plus. Et une ligne de faille économique recouvre désormais la fracture confessionnelle. Depuis début mars, l'opposition réclame l'élection d'une assemblée constituante qui pourrait produire une nouvelle charte fondamentale sinon un nouveau système. 

 

Mais plus largement, Bahreïn est un véritable test régional pour les monarchies plus ou moins vermoulues du Golfe, à commencer par celles des Saoud. Dans l’est saoudien, quelques centaines de manifestants chiites se sont rassemblés près de la localité d'Al-Qatif pour exprimer leur solidarité avec les Bahreïni. Les chiites représentent environ 10% de la population de l’Arabie saoudite wahhabite et ils sont très nombreux dans la province orientale, riche en pétrole. 

 

Au Koweit aussi, des parlementaires chiites dénoncent l’envoi à Bahreïn de troupes de la CCG. Dans ces conditions, plus que jamais, chaque mort chiite menace de servir de martyr à une cause que les pétrodollars étaient jusqu’ici parvenus à éteindre.