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« La France n’a pas encore remplacé le modèle paternaliste d’hier»

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« La France n’a pas encore remplacé le modèle paternaliste d’hier»

Thierry de Montbrial, président de l’Institut français des relations internationales, parle de l’ONU, du FMI, de la Banque mondiale et de la Françafrique…

A l’occasion de la deuxième édition du World Policy Conference, tenu du 30 au 1er novembre à Marrakech, en présence de représentants de 33 pays, nous avons rencontré Thierry de Montbrial, président fondateur, également président de l’Institut français des relations internationales.  

Les Afriques : Vous plaidez pour un retour à une sorte de société des nations pour dépasser le cadre actuel de l’ONU. La defunte SDN n’a-t-elle pas montré ses limites ?

Thierry de Montbrial : C’est une question de vocabulaire. Il ne s’agit pas de retourner à l’organisation qui s’appelait la Société des Nations (SDN) qui a prouvé, à l’époque, son incapacité à faire face aux problèmes du monde puisqu’elle n’avait pas un système de gouvernance efficace.

 En ce qui concerne la Françafrique, il faut se rappeler qu’au temps de Mitterrand, la France avait officiellement renoncé au modèle paternaliste entre la France et une partie de l’Afrique. Je pense qu’on n’a pas vraiment remplacé ce modèle.

L’expression « société des nations » par rapport à « organisation des nations unies » est plus proche de la réalité dans le monde d’aujourd’hui où les Etats ne forment pas une communauté. Celle-ci suppose des liens affectifs au contraire d’une société où les membres ont beaucoup d’intérêt mais très peu d’affect.

LA : Comment l’ONU doit-elle évoluer dans cette quête d’une meilleure gouvernance mondiale ?

TdM : Je pense que l’ONU a quand même constitué une avancée par rapport à la SDN grâce à son système de membres permanents de conseil de sécurité. L’existence d’un tel système a probablement permis d’éviter les grands drames. Mais en même temps, ce système est insuffisamment représentatif puisque les membres permanents de ce conseil de sécurité sont les pays désignés vainqueurs de la deuxième guerre mondiale et qui ignoraient une bonne partie du monde. Il y a nécessité de faire place à une sorte d’organisation qui fasse davantage place au monde réel par rapport à un monde hérité d’une période de plus de 60 ans d’âge.

LA : Parallélement à l’ONU, le FMI et la banque mondiale ne devraient-ils pas évoluer pour aider à l’avénément d’une nouvelle gouvernance ?

TdM : Voilà deux institutions économiques qui s’occupent, l’une pour des questions financières et l’autre pour des questions de développement et d’investissements, dans les pays qui ont le plus de mal à financer leur développement. Ces institutions ont un grand passé et certainement un grand avenir. Néanmoins, il y a deux problèmes qui se posent. Le premier, c’est la question de la gouvernance. Par exemple, au sein du FMI, quelque soient les dirigeants, je n’ai pas souvenir qu’il y ait jamais eu une critique de la politique monétaire américaine. La structure de pouvoir est telle qu’il est pratiquement impossible de faire des critiques à cette superpuissance. Ce n’est pas normal, quand on sait que les Etats-Unis ont largement contribué à alimenter la crise financière internationale. Ce n’est pas normal qu’une institution financière comme le FMI n’ait pas le droit de s’exprimer à ce sujet. Le FMI a fait l’objet récemment de réformes avec une augmentation des quotes-parts de la Chine au détriment des pays de l’Union européenne. Mais ceci ne résout pas vraiment la question. Je pense qu’il y a lieu, tout comme le conseil de sécurité de l’ONU, de revoir l’organisation de ces institutions. Mais d’un autre côté, il y a un manque de coordination entre ces institutions qui s’occupent de la gouvernance mondiale.

LA : Comment intégrer la dimension « justice  » dans un nouveau concept de gouvernance mondiale ?

TdM : Le terme « justice » est une des notions les plus simples au plan émotionnel. Mais quand on cherche à le préciser, ça devient très compliqué. Il est impossible de définir la justice d’une manière opérationnelle. Néanmoins, je pense que c’est une question de degrés. Quand une organisation est injuste, elle n’est pas légitime et quand elle n’est pas légitime, tôt ou tard cela créé des dysfonctionnements dans le système. Contrairement à ce qu’on dit souvent, il n’y a pas de contradiction entre l’efficacité et la légitimité. Le tout est de trouver un bon équilibre. C’est l’histoire des groupes, des fameux « G ». S’il y a peu de participants, on court le risque d’injustice. Et s’il y a trop de participants, on court le risque d’inefficacité. L’exemple le plus patent est la tentative actuelle pour régler les problèmes du climat. Il y a trop de monde. La solution aux problèmes de ce genre n’est pas facile.

LA : En temps que président de l’Institut français des relations internationales (IFRI), quel regard portez-vous sur l’évolution de ce qui est convenu d’appeler la Françafrique ?

TdM : Beaucoup de Français ne se rendent pas compte que les choses bougent en Afrique. Il y a tout une partie de l’Afrique qui se développe et qui mérite d’être appelée zone en voie de développement. L’Afrique est extrêmement riche en ressources naturelles et en ressources humaines. Je pense que ce continent a, en général, un problème de gouvernance locale au niveau des Etats. Ça c’est un problème africano-africain. Et il est difficile pour les grandes puissances de s’en mêler trop. En ce qui concerne la Françafrique, il faut se rappeler qu’au temps de Mitterrand, la France avait officiellement renoncé au modèle paternaliste entre la France et une partie de l’Afrique. Je pense qu’on n’a pas vraiment remplacé ce modèle. Il n’y a pas eu une nouvelle forme de relations équilibrées entre la France et les pays traditionnellement appelés Afrique francophone. C’est un problème de repositionnement qui, me semble-t-il, n’a pas été réglé.

LA : Cette crise financière n’a-t-elle pas un peu plus accéléré le déclin de la France et de l’Europe en général dans un monde qui voit la montée rapide de la Chine ?

TdM : Il faut faire la distinction entre les mots «déclin » et « décadence ». Si vous me posez la question du poids de l’Europe, et notamment de la France, dans le monde, il est évident qu’il y a une diminution de ce poids à la longue. Mais il y a deux choses qu’il ne faut pas oublier. D’abord, la crise n’a pas changé fondamentalement la tendance générale. Deuxième point, les taux de croissance de la Chine ne sont pas ceux de la France. La Chine part d’un niveau extrêmement bas. Aujourd’hui, même si la croissance de ce pays est forte, l’immense majorité de la population a un niveau de vie inférieur à celui des Européens moyens. Si on raisonne en termes de stocks et non de flux, on peut dire que les pays européens ont encore un poids très important qui décline plus lentement que si on raisonnait en termes de flux.

LA : Vous êtes initiateur de la World Policy Conférence. Quels objectifs sont visés par cette rencontre de Marrakech ?

TdM : C’est un processus simple qui a pour vocation de contribuer à l’amélioration de la gouvernance mondiale. Ceci implique de notre part deux choses. D’avoir, d’une part, des personnalités de haut niveau étatique. Et, d’autre part, de représentation de pays qui sont habituellement négligés. Les conférences internationales sont très largement dominées par les acteurs occidentaux. Nous comptons dans cette conférence plus de 30 nationalités. Les panels sont diversifiés. Nous produisons des actes écrits. Il faut relever que l’amélioration de la bonne gouvernance est un problème de longue haleine dans un monde changeant en perpétuelle accélération.

 



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