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Quand la musique n'était pas danse

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Quand la musique n'était pas danse

Entendons-nous: danse, je veux dire au sens ludique et frivole du terme. A titre d’exemples, le dandinement  majestueux du « ndawrabin », rituel d’exhortation lebou n’a rien de commun avec  les déhanchements  lascifs, voire érotiques du « arwatam » laobe ou « ndaga » saloum saloum.

 Les civilisations de l’écriture ont, par rapport à celles de l’oralité,

 l’avantage de références historiques vérifiables et sur la trame desquelles se tissent indéfiniment l’évolution d’une société.

Chez les détenteurs de ce legs, tout musicien contemporain sachant lire le solfège est en mesure de faire revivre des périodes antérieures aux technologies d’enregistrement.

D’où la difficulté pour l’Africain sans héritage ou tradition scripturale d’attester de l’authenticité des  musiques datant de plus d’un siècle. Que jouait-on, en telle ou telle circonstance, sous Samory, Béhanzin, Lat Dior ou Alboury et avec quels instruments ? Les ethnomusicologues se perdent en conjectures…

Au Sénégal, les premières archives sonores authentifiables remontent seulement à 1946, date d’implantation de Radio Dakar sous l’ancienne AOF (Afrique Occidentale Française).

Dans notre paysage urbain, l’on semble davantage incommodé par la pollution des déchets organiques que par la pollution sonore autrement plus nocive. Lieux de promenade, marchés, transports publics sont envahis de décibels agressifs. A ces nuisances s’ajoute le terrorisme des chaines FM dont la plupart des animateurs rivalisent dans indigence d’idées comme de culture musicale pour nous faire oublier ou ignorer  des éléments significatifs de notre culture.

Il en est ainsi des Kasak aux circoncis, rituels d’initiation rythmés de tam-tam auxquels tout mâle ayant une bonne voix et connaissant le répertoire des chants de circonstance pouvait prendre part. Nombre de vocalistes contemporains furent découverts à l’occasion des séances de Kasak. On peut citer Assane Ndiaye l’ancien, Feu Laye Mboup, Thione Seck et même Youssou Ndour.

Avant sa sortie de «la case des hommes» le circoncis devait mémoriser et réciter sous le fouet du Selbe-initiateur les paroles d’exhortation inculquées durant les séances qui ne se déroulaient que de nuit.

Une autre épreuve, celle là réservée aux femmes, est le tatouage, encore pratiqué, de la gencive et/ou des lèvres chez les femmes de plusieurs ethnies du Sénégal mais de moins en moins chez les wolofs plus perméables à l’occidentalisation.

L’écrivain sénégalais Ken Bugul rappelle dans son roman  Riwan que « le tatouage consolidait les gencives et donnait des dents éclatantes. »

 Renouvelable comme soin cosmétique, le tatouage marquait initiatiquement la puberté d’une jeune fille. L’opération consiste à pigmenter, au moyen  de kaolin et d’épines  provenant du sump-jujubier  la surface à tatouer. Les épines garrottées ensembles sont appelées fagot.

Les griottes exhortent les vertus de la « patiente » en chantant ses louanges tout en frappant de la paume ou du bout des doigts une calebasse renversée sur une bassine remplie d’eau. Le fagot qui s’émousse est aussitôt remplacé par une toute fraîche. La fille est jugée sur le nombre de fagots reçus sans crier ni même tressaillir. Les hommes, quoiqu’absents du rituel n’en étaient pas moins présents, virtuellement s’entend car leur parviendra la rumeur concernant celle qui s’est comportée avec ou sans courage dans l’épreuve, aune d’éligibilité  au mariage.

Au fil du temps, les épines seront remplacées par des aiguilles à coudre (une vingtaine environ) garrottées ensemble. Suite à de nombreux cas

d’infection, voire de tétanos, depuis l’usage du métal,  le tatouage ne fait plus recette.

N’oublions pas le « Ndëpp » cérémonie d’exorcisme, survivance des pratiques païennes du Sénégal d’avant l’Islam mais encore pratiquée. Il est intéressant de noter que chants et musique non seulement exorcisent le malade mais envoûtent et mettent en transe une ou plusieurs spectatrices jusqu’alors considérées normales. On dit alors que la musique a interprété, incidemment, le «bákk » ou hymne appartenant à la lignée familiale de l’envoûtée. Le Ndëpp pratiqué, sous le terme vaudou dans les Caraïbes,  au Brésil est généralement organisé par des femmes. Serait-ce là une survivance misogyne universelle faisant de la femme une sociétaire du démon ? Voire !

Il est important de souligner qu’au Sénégal coexistent deux types de rituels: les traditionnels aux connotations plus ou moins religieuses comme le taaja bóon sorte de mardi-gras, la veille du nouvel an musulman et les survivances païennes dont le baaw naan aux dieux des eaux pourvoyeurs d’abondance.

Autrefois, pour secourir la victime d’une  piqure de serpent venimeux le tam-tam  envoyait le message à  « ceux qui savent »…

Ku jaan matt

Sam xel dem ci dee

Ba ngay dund’ ak

Ba ngay dee lépp

Sam xel  dem ci dee

“Mordu par une vipère 

Tu ne songes qu’à  la mort.”

Le guérisseur psalmodie des paroles ésotériques au terme desquelles, la victime déjà comateuse ouvre les yeux et de sa plaie dégouline le venin du reptile. Instituteur de brousse, j’en ai été témoin, avec une méfiance dubitative dont j’ai encore honte.

On peut signaler également chez les Wolofs, le simb – jeu du faux-lion. Un solide gaillard de musculature imposante et grimé aux couleurs ocres du fauve danse au son d’une batterie de percussions en poussant des hurlements effrayants; puis,  se lance à la poursuite des spectateurs…Il traîne au milieu de l’enceinte sa « proie » qu’il feint de lacérer. Intervient alors le jatkat-dompteur qui débite des litanies au terme desquelles le « lion » lâche sa victime et rampe de soumission au pied du dompteur. Le spectacle riche en couleurs est ponctué de chants et danses par les femmes de l’assistance. Que reste-t-il du simb ? Une grotesque et déplorable parodie télévisuelle pour touristes

Une histoire que me raconta mon père illustre parfaitement les temps ou la musique n’était pas danse. Les jeunes hommes en âge de prendre femme se livraient, une fois l’an, au "joŋante" joute orale sous l’arbitrage de l’historien généalogiste du village. Chaque concurrent, flanqué du musicien de son choix appuyant et ponctuant ses propos, défilait devant un parterre de filles nubiles. L’un déclinait son ascendance aristocratique, un autre vantait la richesse de sa famille ou ses greniers de mil jamais désemplis, etc. Mon père rappela que le sien était le plus grand éleveur de chevaux du patelin, tout en faisant danser au rythme de son joueur de tama (tambour d’aisselle) le plus bel animal du haras paternel finement harnaché avec, sur le dos, une selle incrustée d’argent. Il fut parmi les élus à désigner au généalogiste la jeune femme sur laquelle il avait jeté son dévolu. Père, sans la moindre hésitation, après avoir retiré la selle incrustée d’argent, offrit le cheval à son batteur. Il arriva à la maison plein d’appréhension pour le don irréfléchi de l’animal préféré de son géniteur qui lui cria: fils indigne! Comment as-tu eu l’indécence d’offrir un cheval sans ses apparats? Retournes y ajouter la selle.

Ces quelques exemples illustrent bien que le but ultime de la musique était moins réjouissance que système d’ancrage dans les us et coutumes.

Et si l’on réécoutait la musique ?

Aujourd’hui, la musique ne s’écoute plus; elle se danse, faute de paroliers suffisamment imprégnés de leur culture ou ne maitrisant aucune forme d’écriture et dont la voix constitue le seul atout.

 

Amadou Gueye Ngom

Critique social  

 



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