Dr JABR ABU AL NAJA, Ambassadeur de Palestine à Dakar : 'Je suis à mon deuxième mois sans salaire'

A la faveur des dernières élections législatives qui ont vu le Hamas remporter le scrutin, la Palestine s'est retrouvée propulsée sous les feux de la rampe. Mettant à nu l'hypocrisie d'une communauté internationale qui, comble de paradoxe, nie à la Palestine ce qu'il magnifie sous d'autres cieux : la possibilité pour les habitants de ce pays de choisir, démocratiquement, leurs représentants. De tout cela, des attentats-suicide, de la volonté d'asphyxier le peuple palestinien, des axes de la coopération entre le Sénégal et son pays, Son Excellence Abu Al Naja nous entretient.

Dr Jabr Abu Al NAJA : Bisimillahi rahmani rahim ! Je suis Dr Jabr Abu Al Naja, ambassadeur de l'Etat de Palestine au Sénégal. Je suis venu ici le 15 janvier de cette année et j'ai présenté mes lettres de créances auprès du président de la République du Sénégal, Me Abdoulaye Wade, le 31 janvier dernier. Il les a acceptées. A la lumière de cela, je suis devenu, à partir de cette date, le nouvel ambassadeur palestinien auprès de la République du Sénégal.

Walfadjri : L'actualité, ce sont les affrontements entre membres du Fatah et du Hamas. Que vous inspire une telle situation?

Dr Jabr Abu Al NAJA : En réalité, ce sont les médias qui veulent profiter de ces affrontements, somme toute, minimes. Cela n'en valait pas la peine de donner à ces événements l'importance qu'ils n'ont pas. Ce qui est arrivé en Palestine, récemment, peut survenir entre militants d'un même parti, des frères, des amis et même, de temps en temps, entre les étudiants. Dans la zone de Gaza, les universités sont côte à côte. Ce qui fait que les étudiants se côtoient, mangent ensemble, prennent les moyens de transport ensemble. Donc, discutent ensemble. Maintenant, à la lumière de la dernière déclaration de monsieur Khaled Mechaal (Ndlr : chef du bureau politique du Hamas), le débat s'était engagé entre étudiants de différents partis. Il s'en est suivi des affrontements. Mais, à mon avis, il n'y avait nul besoin de surdimensionner l'affaire à travers les médias. De toutes les façons, nous comprenons leur objectif qui est de montrer au reste du monde que le peuple palestinien n'est pas en mesure d'instaurer un dialogue entre ses différentes parties. Leur seul souci est de montrer un visage hideux de la Palestine afin de convaincre la communauté internationale à admettre que la Palestine ne mérite pas ni Etat ni indépendance encore moins un peuple libre. Ils cherchent à montrer que les Palestiniens sont des anarchistes qui ne veulent pas porter leur responsabilité...

walfadjri : Donc, à votre avis, ce sont les médias occidentaux qui donnent de l'ampleur à un événement qui n'en a pas ?

Dr Jabr Abu Al NAJA : Oui, je crois qu'ils sont en train d'amplifier les choses. Il y a en d'autres médias qui en ont profité pour donner une mauvaise image de la Palestine. La preuve de leur mauvaise foi, c'est que les accrochages entre les étudiants se sont très vite arrêtés. Ensuite, la nuit dernière (avant-hier), il y a eu un accord entre les deux parties, Fatah et Hamas. Ils ont composé une commission commune pour poursuivre les négociations. Ils sont en train de chercher les meilleures solutions pour éviter tout affrontement entre les deux camps. C'est vrai qu'il y a de petits problèmes entre nos frères au niveau du gouvernement. Ce qui s'explique par un manque d'expérience. Il n'ont pas l'expérience de diriger comme l'avait, par exemple, Yasser Arafat. Peut-être qu'ils sont en train d'expérimenter une nouvelle méthode de diriger le peuple palestinien. En tout cas, ils ont beaucoup de responsabilités même s'ils n'arrivent pas, à mon avis, à résoudre tous les problèmes du peuple palestinien. Hamas seul ne peut pas résoudre tous les problèmes. Il faut donc créer des canaux de dialogue entre les frères. Surtout avec le Fatah. Lequel a déjà l'expérience et a beaucoup d'experts dans ce domaine. Ils ont des militants qui savent même comment traiter les crises qui surviennent de temps en temps..

walfadjri : Quelle appréciation faites-vous des déclarations de Khaled Mechaal qui sont à la base de ces affrontements?

Dr Jabr Abu Al NAJA : La vérité c'est que nous considérons que Khaleed (Méchaal) est un leader palestinien. Il jouait un grand rôle dans la lutte pour la libération de la Palestine. Mais, je crois que le discours de Khaleed n'est pas réaliste. Nous croyons qu'il est intelligent et reste un leader. Seulement, je crois qu'il était sous émotion à cause de la grande foule qui écoutait son discours. La preuve c'est que le lendemain, il a dit qu'il pense que les gens n'avaient pas compris son discours et qu'il n'avait pas cité particulièrement de nom ni de parti. Il a défendu avoir parlé dans le général pour dénoncer la corruption et inviter tout le monde à lutter contre la corruption. Il a changé sa manière de parler. Il y a une grande différence entre la réalité telle que vécue et la réalité telle relayée. La zone de Gaza est une grande prison. Je suis de Gaza et je sais ce que je dis. La fermeture de l'Etat israélien a rendu la vie dans cette zone incroyable. Il n'y a pas de salaire, pas de travail, pas d'exportation. Les barrages sont fermés.

walfadjri : Justement est-ce que le peuple veut réellement prendre ces responsabilités dans la mesure où l'on sait qu'il compte toujours sur l'aide internationale pour payer ses fonctionnaires et assurer le service public.

Dr Jabr Abu Al NAJA : Bien sûr que le peuple palestinien est capable d'assumer ses responsabilités auprès de la communauté internationale. Malheureusement, il y a une différence entre le désir et les moyens. En effet, nous n'avons pas de possibilités financières pour pouvoir appliquer des programmes de gouvernement. C'est pourquoi, l'appui international est important. Tenez, nous sommes aujourd'hui le 24 avril mais, jusqu'à maintenant, les fonctionnaires n'ont pas reçu leur salaire. Dans une semaine, nous sommes en plein dans le mois de Mai. Nous aussi, au niveau des ambassades de la Palestine dans le monde entier, cela fait cinq mois que nous n'avons pas reçu nos budgets de fonctionnement. Ici au Sénégal, j'ai près de dix agents locaux sous contrat. Mais, cela fait trois ou quatre mois que je cherche des moyens pour pouvoir payer ces agents sénégalais qui travaillent avec moi.

walfadjri : Avez-vous un appel particulier à lancer, par exemple au gouvernement sénégalais?

Dr Jabr Abu Al NAJA : Non. Je sais bien que le gouvernement sénégalais a beaucoup de problèmes. Je reconnais, tout de même, que le peuple sénégalais est un peuple soutien pour le peuple palestinien. Je voudrais tout simplement montrer comment l'Occident, les américains, particulièrement, nous poussent vers le gouffre. C'est un appel mondial et humanitaire. Jusqu'à maintenant, nous, ambassadeurs, n'avons pas touché nos salaires. Moi, je suis à mon deuxième mois sans salaire. Malgré tout, je me bats pour m'acquitter convenablement de mes obligations auprès de mes autres collègues du corps diplomatique.

walfadjri : Pourtant, à ce qu'il paraît, l'Iran aurait libéré des fonds au profit de l'Autorité palestinienne. Voulez-vous dire que c'est une goutte d'eau dans la mer?

Dr Jabr Abu Al NAJA : J'ai entendu, comme tout le monde, que l'Iran a donné 50 millions de dollars à l'Autorité palestinienne. Supposons que ce soit vrai. Cela ne suffit pas à régler tous les problèmes du peuple palestinien. Dans quelques jours, nous sommes au mois de Mai et les gens n'ont toujours pas perçu leur salaire du mois d'avril. Ce qui veut dire qu'au mois de Mai, ce sont les salaires de Mars qui seront payés. Donc, il restera toujours un mois à payer. Est-ce que l'Iran peut donner, chaque mois, 50 millions de dollars au peuple palestinien? Je ne le crois pas. Ce n'est pas possible.

walfadjri : Est-ce que cette situation n'est pas une conséquence indirecte de la guerre de l'Irak si l'on sait que c'est Saddam lui même qui portait, à bout de bras, la cause palestinienne en assurant l'intendance?

Dr Jabr Abu Al NAJA : Je ne crois pas. C'est vrai que quand Saddam était à la tête de l'Irak, il a beaucoup soutenu les Palestiniens. Il faut bien reconnaître que l'Irak est un pays arabe qui a participé à nos batailles. Ils ont des martyrs dans les guerres, entre 1948 et 1973. Même durant l'Intifada, il a beaucoup assisté le peuple palestinien. Toutefois, votre question est pertinente en ce qu'elle me permet de préciser une chose. En effet, nous avons, à peu près, 30 mille réfugiés palestiniens vivant en Irak. Malheureusement, maintenant, la majorité des réfugiés palestiniens qui vivent en Irak depuis 1948 sont obligés de quitter ce pays. Vers où? Je ne sais pas! La majorité sont maintenant à la frontière entre l'Irak et la Jordanie, dans un misérable camp de réfugiés.

walfadjri : La semaine dernière, il y a eu une attaque-suicide à Tel Aviv. Cela n'affaiblit-il pas le processus de paix ?

Dr Jabr Abu Al NAJA : Tant qu'il y aura une occupation israélienne sur le sol palestinien, c'est un droit légal pour nous de nous battre et de résister. Dans le principe, nous sommes contre les attentats qui visent des civils. Néanmoins, je vais attirer votre attention sur une chose : Israël, quand il lance ses missiles, il tue des enfants, des innocents qui n'ont rien à voir avec la guerre. Si vous suivez la télé, combien de femmes tuées et d'enfants palestiniens victimes voyez-vous? Combien de champs brûlés? Tout cela, sans aucune raison. Si vous demandez à un responsable israélien pourquoi ils (les militaires de l'Etat hébreu) suivent les palestiniens jusque chez eux, ils diront que c'est pour éviter des attentats contre Israël. Ce n'est pas logique tout cela. Ils ont refusé de négocier avec Yasser Arafat, avec le pragmatique Abou Ala. Il refuse maintenant de reconnaître le Mouvement Hamas. Tout Israël considère le peuple palestinien comme un peuple terroriste. Mais avec qui veulent-ils négocier ? S'ils veulent le faire avec un nouveau peuple, ils n'ont qu'à raser toute la terre palestinienne et créer un nouveau peuple palestinien qu'ils modèleront à leur façon.

walfadjri : Le Hamas a gagné les élections mais les Etats unis et l'Union européenne se sont ligués pour faire barrage au Hamas allant jusqu'à demander à Mahmoud Abass d'annuler les résultats. N'y a-t-il pas, selon vous, un paradoxe entre l'apologie du modèle libéral démocratique théorisé par les Américains et le fait, par les mêmes, de vouloir nier au peuple palestinien la capacité de choisir par lui même ses dirigeants?

Dr Jabr Abu Al NAJA : Absolument! Les Américains et les Européens disaient que, pour que le pays se remette sur pied, il fallait procéder à des élections démocratiques pour qu'il y ait une alternance. Nous nous sommes déclarés pour. Mahmoud Abass a consenti beaucoup d'efforts en ce sens. Malgré les menaces. Les élections se sont tenues le 25 janvier dernier et le Hamas les a remportées sous le contrôles des observateurs composés de membres de la communauté internationale. Alors, quel est le problème? Les gens font des erreurs en parlant de gouvernement du Hamas. Ce n'est pas un gouvernement du Hamas mais de tout le peuple de la Palestine. C'est le pouvoir de tout le peuple de la Palestine. Donc, ils ont le pouvoir de diriger, de négocier, de dialoguer avec toutes les forces. Que ce soit au niveau régional ou international. Il faut que les occidentaux comprennent que le gouvernement issu des dernières élections représente tout le peuple palestinien.

walfadjri : Parlons maintenant de vos rapports avec le Sénégal. Quels sont les axes de coopération entre le Sénégal et la Palestine?

Dr Jabr Abu Al NAJA : Il y a une relation historique entre les peuples du Sénégal et ceux de la Palestine. D'ailleurs, le Sénégal préside, depuis plus de trente ans, la commission Al Qods au niveau des Nations Unies pour les droits inaliénables du peuple palestinien. Le Sénégal a, toujours, soutenu la cause palestinienne déjà sous le président Senghor. Et cela, à travers beaucoup de sommets africains ou des pays non alignés. Même au niveau des Nations Unies, le soutien du Sénégal n'a jamais fait défaut. Le président Senghor avait, à maintes reprises, reçu le président Yasser Arafat. A sa suite, le président Abdou Diouf a suivi les mêmes orientations que le président Senghor. Le président Abdoulaye Wade, quand il m'a reçu à la présidence, il m'a dit que le peuple sénégalais est , de tout cœur, avec la Palestine. A ce propos, j'ai, tout récemment, rencontré le ministre sénégalais des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio. Je lui ai demandé d'appuyer le projet que nous avons présenté pour le soutien des travailleurs palestiniens face à l'occupation israélienne, à l'occasion du congrès de l'Union africaine qui s'est tenu au Caire du 22 au 24 de ce mois. Il m'a donné son accord. Maintenant, nous allons essayer d'impulser la coopération dans les domaines de l'éducation, de l'agriculture, de la religion. Surtout que nous, Palestiniens savons bien que Al Qods est un point très sensible pour le peuple sénégalais. En outre, nous espérons pouvoir inviter une délégation sénégalaise à venir visiter pour voir, sur le terrain, les souffrances du peuple palestinien. D'autre part, après le retour de Mahmoud Abass, je lui demanderai de faire une tournée en Afrique, notamment dans les pays du Sahel : Sénégal, Guinée Conakry, etc.

Propos recueillis par Ibrahima ANNE et Elh Saidou Nourou DIA