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Politique

Penda Mbow : " Abdoulaye Wade veut tout ramener à lui"

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Penda Mbow : " Abdoulaye Wade veut tout ramener à lui"

Retour sur 50 ans d'indépendance pour le Sénégal, avec Penda Mbow, ex-ministre de la Culture.
 
Historienne, animatrice de la société civile sénégalaise, Penda Mbow, 55 ans, préside le Mouvement citoyen. Ministre de la Culture durant quelques mois en 2001, elle enseigne l'histoire du Moyen Age ainsi que celle des religions à l'université Cheikh-Anta-Diop de Dakar.

Le cinquantenaire suscite-t-il au Sénégal des débats passionnés?

Depuis 1960, la perception de l'indépendance a beaucoup changé. L'intérêt, au fil des ans, s'est estompé. On est loin de la ferveur populaire palpable durant la première décennie de l'ère post-coloniale. Ce qui n'empêche pas certains acteurs politiques d'utiliser cet anniversaire sur un mode populiste. En clair, le pouvoir a voulu en faire sa chose. Au sein de la population, on ne sent pas réellement de dynamique ni de mobilisation. D'autant que nous n'avons pas pris le temps d'engager le débat sur le contenu de cette indépendance, ni sur notre trajectoire au long du demi-siècle écoulé. Deux nuances toutefois. Dans la diaspora, il existe un effort de réflexion, comme l'atteste une conférence tenue récemment à New York. Et au pays, dans le cadre des Assises nationales, on a planché pendant deux ans sur la situation politique, économique et sociale du Sénégal. Avec à la clef un rapport de 300 pages, présenté comme une contribution importante au cinquantenaire.

Comment s'inscrit, dans un tel contexte, l'inauguration sur les hauteurs de Dakar, le 3 avril dernier, du très controversé Monument de la renaissance africaine, si cher au président Abdoulaye Wade?

On a vu dans cette période éclore des polémiques sans lien véritable avec la commémoration de l'indépendance elle-même, au risque de focaliser les esprits sur d'autres enjeux. Tel fut le cas au sujet de ce fameux monument. J'observe que la beauté du spectacle proposé à cette occasion n'a pas suffi à remplir le stade de Dakar. Le résultat de la tentative de récupération politique me paraît pour le moins mitigé. Tout le monde peut s'accorder sur le thème de la renaissance du continent ou de l'idéal panafricain. Mais il ne s'agit pas là du meilleur facteur de mobilisation : l'objectif unitaire semble tellement difficile à atteindre au regard des difficultés qu'éprouvent les citoyens au jour le jour... Il dessine certes une ligne d'horizon, mais ne résout pas les tracas du quotidien.

Comment, à vos yeux, aurait-il fallu contourner cet écueil?

On aurait pu, on aurait dû creuser notre projet de société, nos rapports avec l'ancienne puissance coloniale, s'interroger sur notre héritage de pays leader, dont la capitale fut aussi celle de l'Afrique occidentale française, prompt à revendiquer son rôle historique. Après tout, l'intelligentsia africaine francophone a été formée ici. Il aurait été utile de se demander ce qu'il convient de faire pour aller de l'avant sur la voie de l'intégration continentale, ne serait-ce qu'à l'échelon sous-régional. Cette introspection n'a, hélas, pas eu lieu. Il y aurait tant à faire dans les écoles, les médias, à la télévision nationale. Mais Abdoulaye Wade occupe trop de place dans l'espace public, au détriment de notre véritable histoire. Il veut tout ramener à lui, à sa personne. Et prétend apparaître comme le leader incarnant à la fois l'indépendance et la renaissance. D'où les relents de populisme évoqués précédemment.

Doit-on attribuer aux impératifs du calendrier - le cinquantenaire cette année, l'échéance présidentielle de 2012 - l'apparent durcissement du discours d'Abdoulaye Wade envers Paris, patent lors du processus de rétrocession des bases militaires françaises?

Il faut remonter plus loin dans le temps. A l'époque où Jacques Chirac, alors à l'Elysée, a voulu mieux honorer la mémoire des anciens combattants venus d'Algérie. Wade s'est senti relégué au second plan. C'est alors qu'il a lancé la Journée du tirailleur. Les rapports avec la France connaissent ainsi des hauts et des bas. Et le président en joue pour mieux négocier le soutien de l'ex-puissance coloniale. Depuis l'accession d'Abdoulaye Wade à la présidence, le discours s'est d'ailleurs focalisé sur les dossiers conflictuels.

Quel souvenir personnel gardez-vous du printemps 1960?

J'étais très jeune, mais je me souviens fort bien de l'ardeur et de l'enthousiasme qui régnaient alors. Tout le monde croyait avoir brisé les chaînes de la domination coloniale. Chacun avait envie de construire le pays, de montrer son savoir-faire. Je vois encore le défilé des tisserands et des artisans. Nous avions devant nous une perspective exaltante. A la différence de la jeunesse actuelle, confrontée notamment à la pénurie d'emplois et aux carences du système éducatif. Qu'on songe à la vague d'émigration sauvage de 2006-2007, des candidats à l'exil entassés au péril de leur vie sur des rafiots de fortune. Autant dire que l'adolescent de 1960 était beaucoup plus idéaliste que celui de 2010. Reste cette question : comment galvaniser aujourd'hui les énergies ?

Quelles icônes peuplent aujourd'hui le panthéon des élites sénégalaises?

Il est plus que jamais dominé par la figure du Ghanéen Kwame Nkrumah, incarnation du dessein panafricain et, pour reprendre la formule qu'emploie Robert Badinter à propos de Condorcet, de l'intellectuel en politique. Mais d'autres pionniers bénéficient d'une excellente image : le Tanzanien Julius Nyerere, respecté pour son intégrité, le Bissau-Guinéen Amilcar Cabral, le Burkinabé Thomas Sankara. Chez nous, aujourd'hui, le rappeur Didier Awadi a le mérite de ramener de tels personnages sur l'avant-scène. En revanche, l'aura du Guinéen Ahmed Sékou Touré, jadis admiré pour son "Non !" à de Gaulle, a perdu de son éclat. On admet désormais qu'il fut un tyran sanguinaire, qui a beaucoup fait souffrir son peuple.

Qu'en est-il en dehors de la sphère intellectuelle?

Un phénomène vaut d'être souligné : le rôle éminent dévolu aux figures religieuses, notamment aux marabouts. Il y a là encore récupération politique des chefs de file emblématiques des confréries mouride ou tidjane. Lesquels tendent à supplanter dans la mémoire collective les héros de l'accession à la souveraineté. Voyez à qui sont dédiées maintes rues et avenues... Je viens de participer à une session de formation de jeunes leaders politiques : eux-mêmes invoquent souvent des référents religieux. Dans le même temps, de nombreux jeunes ignorent quasiment tout de personnages tels qu'Alioune Diop [fondateur de la prestigieuse revue Présence africaine, NDLR] et Mamadou Dia - le premier chef de gouvernement du Sénégal indépendant - ou de l'aventure du PAI, le Parti africain de l'indépendance. Quant à Senghor, on commence à l'oublier.

Léopold Sédar Senghor ne serait donc plus la figure tutélaire du paysage sénégalais?

Il demeure le père de l'indépendance et celui qui a construit l'Etat moderne. Nul ne conteste qu'on lui doit la mise en place d'institutions solides et une louable ambition en matière d'éducation. Bien sûr, certains l'accusent d'avoir servi trop docilement les intérêts de la France. Ce n'est pas mon opinion. Il a voulu hisser le Sénégal vers les sommets, quitte à placer la barre très haut.

Le Sénégal a-t-il atteint, selon vous, l'âge adulte de l'indépendance?

Il me paraît difficile de prétendre que le pays est authentiquement indépendant. L'indépendance n'est pas que politique. Si vous n'avez pas les moyens de votre développement économique ou de votre projet de société, s'il vous faut compter sur l'aide extérieure pour votre subsistance, votre souveraineté n'est pas totale. Nous vivons sous l'influence de plusieurs formes d'acculturation. Des tas de pays nous soumettent ainsi leurs projets éducatifs, et nous ne parvenons pas à garantir une école digne de ce nom à tous les enfants du pays.



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