Révélations sur la crise casamançaise : Nkrumah Sané, liens et correspondances avec Mamadou Dia

Mamadou Nkrumah se réclame secrétaire général du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance dont il incarne l’aile radicale. Une semaine après la mort de Mamadou Dia, il est revenu sur le rôle de ce dernier dans le conflit casamançais, en révélant les lettres adressées, à l’époque, à l’abbé Diamacoune Senghor et au Président Abdou Diouf.

Mamadou Dia, ancien président du Conseil du Sénégal, n’est plus. Que pensez-vous de cet homme politique sénégalais qui fut un ancien compagnon de Léopold Sédar Senghor ?

Mamadou Dia est un vrai homme politique du Sénégal au sens noble du terme. Le vrai patriote et nationaliste que le Sénégal n’ait jamais eu. C’est aussi un Africain et le peuple sénégalais vient de perdre, à jamais, un de ses fils politiques qui est incompris de son peuple.

Apparemment, le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance a beaucoup d’estime, de respect pour Mamadou Dia. Qu’est-ce que cet homme politique a dit à propos de la Casamance ou a fait de bon pour votre organisation qui puisse justifier cette reconnaissance ?
Oui, mon mouvement a beaucoup d’estime, de respect pour Mamadou Dia, pour deux raisons : la première, il était le seul homme politique à avoir répondu à notre lettre d’interpellation à propos de leur responsabilité politique dans la crise casamançaise qui nous oppose à l’Etat sénégalais ; une responsabilité qui incombe aux trois personnes : Léopold Sédar Senghor, Mamadou Dia et Karim Gaye, tous décédés comme vous le savez aujourd’hui (L’interviewé livre la réponse écrite du président Dia, adressée à la fois à l’abbé Augustin Diamacoune Senghor et au Président Diouf. Lire les correspondances extraites de l’entretien ailleurs : Ndlr).
Mamadou Dia n’a rien fait de bon pour la Casamance et ne pourrait pas le faire puisqu’il est Sénégalais et un Sénégalais ne fera jamais rien pour la Casamance à la place des Casamançais. Jamais ! Ce qui justifie la reconnaissance envers lui, c’est qu’il a été le seul homme politique responsable parmi ceux que j’ai cités, à avoir répondu à notre courrier.

Selon vous, pourquoi il avait des problèmes avec Léopold Sédar Senghor? Est-ce qu’il a été à l’origine de leur différend ?
Mamadou Dia avait un seul problème avec Senghor : le pouvoir politique. Après avoir collaboré avec Senghor pour faire éclater la Fédération du Mali et renvoyer tous les Maliens chez eux, il s’est retrouvé seul avec tous les pouvoirs politiques. Car Senghor, bien qu’il soit président de la République du Sénégal, avait un titre purement honorifique, vu la Constitution de l’époque. Mamadou Dia qui avait tous les pouvoirs politiques : c’est le président qui a négocié et signé l’Indépendance dans le cadre de la Confédération du Mali avec la France ; donc, Senghor n’avait réellement aucun pouvoir politique devant Mamadou Dia. Voilà le seul différend d’ordre politique qu’il avait avec Senghor. Mamadou Dia ayant tous les pouvoirs politiques, il n’a nullement comploté contre Senghor. C’est plutôt Senghor qui a comploté contre Mamadou Dia. Je le dis pour que les Sénégalais sachent que Senghor les a leurrés.

Pourquoi, selon vous, l’Etat sénégalais avait «trahi la Casamance» comme le disait le défunt Mamadou Dia ? Pourquoi Senghor ne voulait pas suivre ses consignes ?
C’est Mamadou Dia lui-même qui pensait qu’il pourrait trahir la Casamance car, il incarnait lui-même l’Etat sénégalais en novembre 1962, quand il se rendait en visite en Casamance en tant que président du Conseil du Sénégal, Il faut voir le discours qu’il avait prononcé à Oussouye à l’occasion de sa première visite en terre casamançaise en tant que président du Conseil du Sénégal. Les consignes de Mamadou Dia que Senghor n’aurait pas suivies, en fait, c’était leurs consignes à eux deux pour tromper les Casamançais. Mais dés l’instant où il était face à Senghor, il était clair que Senghor non plus ne pouvait pas les suivre face à la vigilance du peuple casamançais.

Aviez-vous des contacts avec Mamadou Dia ? Si oui, où et de quoi parliez-vous exactement ?
 Oui, je l’ai rencontré pour la première fois à Paris, le 25 juillet 1995, à sa demande pour me remettre la lettre qu’il avait adressée à l’Abbé à Ziguinchor. Bien que recommandée, l’Administration de Abdou Diouf avait refusé de la remettre à l’Abbé ; donc, c’était pour me remettre cette lettre qu’il avait demandé à me voir pour je puisse la lui acheminer. Et naturellement, l’occasion était belle pour moi, vous imaginez pour lui parler du problème casamançais dont je suis porteur, bien entendu. Le résultat de notre entretien  du 25 juillet 1995 à Paris, vous le trouverez dans son journal Yaakaar du 6 janvier 1996. Je vais vous le livrer tel qu’il l’a prononcé lors de son meeting à Dakar. «S’agissant de la situation en Casamance, tous s’accordent à reconnaître son exceptionnelle gravité. Les deux camps se rendent coupables de violations inacceptables des droits de l’homme qui ont été dénoncées par certaines organisations comme Amnesty International ou la Raddho. Le problème casamançais est un vieux problème. C’est pourquoi mon gouvernement avait fait de l’intégration de la Casamance dans l’ensemble sénégalais la priorité. Un plan intérimaire avait été conçu pour résorber les tendances séparatistes décelables dès l’époque car, il faut le reconnaître et le dire, le colonisateur n’avait pas intégré la Casamance dans le Sénégal. Après décembre 1962, ce plan a été abandonné et nous vivons aujourd’hui les tragiques conséquences de cet abandon. C’est pourquoi, j’ai certaines propositions qui sont très claires. Ces propositions, je les ai adressées à Abdou Diouf qui n’a pas eu la courtoisie de me répondre. Senghor, lui, aurait répondu. J’ai également adressé une correspondance à l’Abbé Diamacoune Senghor, Secrétaire général du Mfdc, laquelle m’a été, purement et simplement, retournée au motif qu’elle «n’aurait pas été réclamée par le destinataire». Comment l’Abbé, mis en résidence surveillée dans les conditions les plus strictes, pouvait-il deviner l’existence de cette correspondance et la réclamée ? Je crois qu’il est urgent d’intervenir sur ce dossier casamançais, avant qu’il ne soit trop tard. Toutes les forces nationales sont interpellées pour ouvrir la voie à des négociations sincères et loyales. C’est pourquoi j’exprime mon accord avec certaines propositions faites notamment par Landing Savané, qui vont dans le sens d’une concertation sur ce dossier.»

Est-ce qu’il y a un autre homme politique sénégalais encore vivant à qui votre mouvement fait confiance ?
 Bien sûr. Mais cet homme politique sénégalais de confiance, le Mfdc ne l’a pas encore rencontré.

Pourtant le Président Wade a beaucoup fait pour le retour de la paix en Casamance. Qu’est-ce qui vous empêcherez de négocier avec son gouvernement puisque Abdoulaye Wade a privilégié le dialogue au lieu des armes afin de régler définitivement ce conflit qui a trop duré ?
Le Président Wade n’a rien fait pour le retour de la paix en Casamance ; au contraire, il n’a fait qu’aggraver la situation en pensant qu’il peut acheter les Casamançais avec de l’argent. On constate qu’il n’en est rien. Quant aux négociations avec son gouvernement, je vous renvoie cette question. Allez la poser au Président Abdoulaye Wade lui-même car, c’est lui qui détient la réponse ; ce n’est pas à moi de vous la donner à sa place. Il est assez grand pour vous la donner. Le conflit n’a pas encore duré car, la lutte pour libérer un peuple n’a jamais été inscrite dans le temps et encore moins dans la durée.

Ne pensez-vous pas que si l’Etat sénégalais ne peut pas entamer des négociations avec vous, c’est parce qu’il n’a pas d’interlocuteurs fiables à cause de la division de votre mouvement et que, jusqu’à nos jours, on ne peut pas savoir qui est réellement le Secrétaire général du mouvement ? En plus, vos combattants ne parlent plus d’une même voix.

Non. Je pense plus que c’est l’Etat sénégalais qui a choisi ses interlocuteurs qui sont fiables pour lui, avec qui il négocie et pour qui il déverse de l’argent. Mais, ce problème n’est pas le mien, en tant que Secrétaire général du Mfdc. L’Etat sénégalais lui, sait qui est réellement le Secrétaire général, mais s’il ne sait pas, c’est son problème encore une fois, pas le mien. Mes combattants à moi, Secrétaire général du Mfdc, s’entendent bien et parlent d’une même voix. Sauf ceux que le gouvernement sénégalais nourrit quelque part dans le maquis, mais ceux-là savent parfaitement bien qu’ils n’empêcheront pas l’Indépendance de la Casamance, mon pays.

Avez-vous des nouvelles de vos combattants en Casamance ?
Oui, tous les jours et toutes les minutes de la journée comme de la nuit et comme le Président Abdoulaye Wade en reçoit de ses militaires qui occupent la Casamance.

Avez-vous reçu dernièrement des nouvelles sur le terrain en Casamance ?
Comme je viens de vous le dire, je reçois toutes les nouvelles sur le terrain minute par minute, nuit et jour.

Quel message voulez-vous lancer à l’endroit de Wade et de son gouvernement?
Je n’ai aucun message à l’endroit de Wade et de son gouvernement, mais le seul message que je lance à l’endroit de mes combattants c’est de faire leur travail, puisque la Casamance est de nouveau envahie par des militaires de Wade qui, eux, n’entendent que  le seul langage des armes et je sais que je peux leur faire confiance.