Cette fois, le vote doit aboutir à une Assemblée nationale presque unanimement acquise au parti du président Abdoulaye Wade, jetant une ombre sur le "modèle démocratique" sénégalais, à la veille d’une rencontre prévue à Paris entre M. Wade et Nicolas Sarkozy.
Sur les 150 sièges de députés, 130 devraient revenir à la majorité présidentielle, les autres revenant à des personnalités isolées souvent liées au pouvoir.
Trois mois après l’élection présidentielle triomphalement remportée par M. Wade, qui l’avait laissée groggy, l’opposition interprète le faible taux de participation comme un succès de son appel à la "désobéissance civile" et apparaît ragaillardie. L’appel au boycottage, le renoncement aux postes de députés et la perte de ressources financières qui en résulte avaient pourtant été jugés risqués. "Le désaveu flagrant du pouvoir aux législatives confirme notre conviction : les 56 % prétendument obtenus par M. Wade à la présidentielle résultent de la fraude, estime Aïssata Tall-Sall, porte-parole de Siggil Sénégal, la coalition de l’opposition. Aujourd’hui, la société politique est complètement bloquée. Le président doit entendre notre appel au dialogue."
De fait, les rangs du pouvoir paraissent secoués par l’ampleur de l’abstention, qui atteint 75 % à Dakar et 85 % dans certains quartiers populaires. Le président Wade lui-même a ajourné son départ à l’étranger pour présider, lundi, une réunion de sa formation, le Parti démocratique sénégalais (PDS). Sur un ton très cassant, selon la presse, il a promis de "régler leur compte" aux responsables du PDS, accusés d’avoir prôné l’abstention, afin de savonner la planche du premier ministre qui conduisait la liste de la majorité présidentielle aux élections législatives. Ce dernier, Macky Sall, s’est félicité d’avoir obtenu "une majorité non seulement qualifiée mais historique", mais son sort apparaît incertain.
Le scrutin de dimanche a en effet révélé au grand jour la rivalité qui oppose le premier ministre au clan constitué autour de Karim Wade, filset "conseiller spécial" du président, et patron de l’agence chargée d’attirer les investisseurs pour les grands travaux de Dakar en vue de la conférence islamique prévue en 2008. Banquier de formation, Karim Wade restait jusqu’à présent discret sur la scène publique. La récente transformation en intitulé d’association de son slogan "Génération du concret" pourrait marquer un tournant à cet égard. Elle alimente en tout cas les rumeurs anciennes sur des ambitions politiques et un éventuel relais entre M. Wade et son fils.
Ce contexte politiquement incertain pèse sur la rencontre programmée à Paris entre les présidents Sarkozy et Wade pour le lundi 11 juin, alors que l’Union européenne a déjà appelé au "dialogue" politique. Le président sénégalais, avocat du libéralisme économique et partisan du contrôle de l’émigration, peut en attendre une reconnaissance. Pour le président français, qui a promis de "définitivement tourner la page des complaisances" en Afrique, le message délivré à cette occasion pourrait prendre valeur de test.
Philippe Bernard
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