Ce peut être un hommage glorieux à la Renaissance africaine comme le proclame le gouvernement sénégalais, ou un symbole grossier de la vanité outrageuse du Président Abdoulaye Wade, ce que tant de sénégalais croient. Dans l’un ou l’autre cas, l’énorme statue qui domine maintenant l’horizon dakarois ne laisse personne indifférent. Avec 50 mètres de hauteur, un plus que la Statue de la Liberté de New York, ce monument est conçu pour provoquer.
Pour M. Wade et ses partisans, la reproduction d’une famille nucléaire en statue de bronze représente l'Afrique se relevant de siècles "d’ignorance, d'intolérance et de racisme". L’altruisme du Sénégal dans l’élaboration d’une version matérielle de ce grand thème africain doit refléter la position exaltante de ce pays sur le continent. Après tout, c'est le leader en Afrique francophone – du moins depuis l’implosion de la Côte d'Ivoire - et est la seule expérience démocratique réussie dans un pays musulman africain. Les défenseurs de la statue, qui doit être inaugurée officiellement en avril, soutiennent qu’elle deviendra une des principales attractions touristiques du continent.
Mais les critiques entonnent que "le Monument de la Renaissance africaine", du nom de ce monstre, résume la tournure négative prise par la présidence d’Abdoulaye Wade, jadis un leader populaire qui a mis fin à des décennies de règne socialiste, en remportant les élections générales de 2000. Un des points focaux de cette critique est le coût de la statue, estimé à 27 millions de dollars, dans un pays où des millions de personnes vivent dans la pauvreté alors que des milliers sont toujours sans abri suite aux inondations de l'année dernière. Aux yeux de beaucoup de sénégalais, la statue révèle à quel point M. Wade a oublié les priorités du sénégalais moyen.
Vient la question du sexe. Les petits morceaux de tissu sur l'homme de la statue, la femme et l'enfant portent peu à l'imagination. Mme Renaissance en particulier, se meut et déhanche comme si elle posait pour la couverture du magazine Playboy. Dans un pays à majorité musulmane profondément pieuse, quoique pas du tout fondamentaliste, la sensualité des figures en a offensé plus d’un. Certains imams considèrent la statue comme "idolâtre" et "non islamique". M. Wade a essayé de parer à cette raillerie en comparant sa statue aux images de Jésus dans les églises. Mais cela a simplement choqué la minoritaire, mais importante communauté catholique du pays. Encore une fois, disent les critiques, M. Wade a montré qu’il a perdu le sens de la réalité.
Mais le président sénégalais a probablement surtout desservi par sa décision de s’octroyer 35 % des revenus générés par les visiteurs, en déclarant que les revenus doivent aller à perpétuité à sa propre fondation, qui sera dirigée par sa fille. M. Wade soutient que c'est une juste récompense de l'énergie débordante et la créativité avec lesquelles il a conçu ce projet (réalisé par des nord-coréens), quoiqu'il ait été financé par des fonds publics. L’idée que le président de la République exploite la statue au seul bénéfice de sa famille est l’aboutissement d’une controverse longtemps entretenue au sujet de son fils de 41 ans, Karim. Il a été nommé le ministre le plus puissant dans le gouvernement, malgré son manque d'expérience ministérielle et sa lourde défaite aux élections, il y a un an, quand il s’est présenté à la course pour la mairie de Dakar.
Les opposants comme Abdoulaye Bathily, le leader de la Ligue Démocratique, allèguent que ce sont des signes inquiétants qui indiquent que le Sénégal vire vers une forme de gestion patrimoniale du pouvoir. Les inquiétudes augmentent au Sénégal et parmi ses alliés occidentaux, que la gestion de M. Wade est devenue de plus en plus autocratique. La corruption a augmenté. Le gouvernement est devenu de plus en plus intolérant vis-à-vis de l’opposition.
Avec une majorité écrasante à l'Assemblée nationale, en partie due au boycott des dernières législatives par l'opposition, M. Wade a été capable d’agir presque selon son bon vouloir; déclare M. Bathily, pour qui les députés sont devenus « des faire-valoir » pour ses ambitions personnelles ». M. Wade déclare qu'il veut se présenter de nouveau à la présidentielle de 2012, quand il aura 86 ans. Certains se demandent si la Constitution le lui permet, mais elle a été changée si souvent par des législateurs à sa solde, qu'il le peut probablement et le fera.
Cela isolerait davantage la famille Wade, et menacerait la stabilité politique et économique du Sénégal, soutient l’opposition. Mais l’issue dépend pour beaucoup de la capacité de l’opposition à s’unir pour battre M. Wade aux élections. Il a jusqu’ici été capable de se jouer d’eux; le Sénégal, avec une population d'environ 13 millions d’habitants, compte plus de 150 partis politiques. Une coalition de sept groupes d'opposition est sur le point de s’entendre sur une plate-forme commune, y compris un engagement pour réduire les pouvoirs du président de la République. Mais pour battre M. Wade, ils devront s’entendre sur une candidature unique, une tâche qui semble au-dessus de leurs moyens.
Traduit par Seneweb-News
Voir l'article paru dans "The Economist"
http://www.economist.com/world/middle-east/displaystory.cfm?story_id=15581322
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