Wade peut-il souffrir l’existence (politico-sociale) de quelqu’un d’autre que lui ?

A la suite des événements de février 1994 qui avaient entraîné la mort de six policiers à Dakar et consécutive à un meeting populaire tenu sur le Boulevard du Général de Gaulle et organisé par l’opposition d’alors dirigée par Abdoulaye Wade, ce dernier est arrêté en compagnie de Landing Savané et incarcéré à la prison centrale de Reubeuss 

Les démocrates du monde entier se mobilisèrent pour la défense de la liberté et la présomption d’innocence. La presse indépendante fit son travail, en livrant aux Sénégalais et au reste du monde, une information fiable et crédible.

Les supporters du “Pape du Sopi” vivant aux Etats unis, coachés par un des ministres inamovibles du président actuel, y organisèrent de grandes manifestations anti Abdou Diouf. Ces manifestations et la réaction de la Maison blanche contrarièrent profondément Abdou Diouf. Quand un journaliste qui avait rendu compte le plus fidèlement possible, rencontre Abdoulaye Wade qui est libéré entretemps, la première réaction de ce dernier est de dire au journaliste : « nous n’étions pas contents de vos reportages ». Et le journaliste de lui répondre que l’objectif de ses reportages n’était pas de faire plaisir mais plutôt d’informer. C’était la manière de Abdoulaye Wade de dire que, pour cet événement, il n’y avait que lui, qui devait être mis en avant.

Il eut le même type de réaction quand “Sud Quotidien”, révéla que les députés recevaient deux enveloppes par mois. L’une représentant leur salaire mensuel , l’autre en parfaite violation de la loi, leur était remise sous la table. En effet, Abdoulaye Wade, toujours prompt à se mettre en vedette, affirme que c’est lui qui avait informé le journal.

Mais l’épisode le plus caractéristique de cette personnalité de notre Président est cette conversation qu’il a eue avec des cadres sénégalais à qui il avait confié une tâche qui lui tenait à cœur. S’adressant au président de la République, au terme de la mission,le diplomate qui supervisait le travail et conduisait la délégation lui dit : « Monsieur le Président, il faut vraiment féliciter ces gens là. Ils ont vraiment bien travaillé ». Et Abdoulaye Wade de répliquer. « C’est à moi d’être félicité pour les avoir choisis ».

La propension de Abdoulaye Wade à vouloir être le seul maître à bord est si profonde que même pour son fils Karim Wade, le père a beaucoup résisté avant de lui confier des missions importantes au début de l’Alternance. A un de ses conseillers qui lui disait que la position hybride et transversale de Karim Wade posait une question d’éthique et qu’il était plus judicieux de lui confier un portefeuille dans le gouvernement, Abdoulaye Wade avait répliqué : « Danga maa bëggë ëndil coow. (Tu veux faire lever la clameur). Si je nomme à un poste de ministre ce garçon qui pense que je suis trop ringard, complètement dépassé, il va m’obliger à le renvoyer au bout de quelques mois. Et je vais rester avec cette clameur dont je n’ai pas besoin ». Une autre illustration qui montre combien Abdoulaye Wade tient à être la seule vedette en tous lieux et en toutes circonstances est ce jour de janvier 2001 où il était invité par le Forum civil pour présenter son projet de Constitution qui devait être soumis à référendum. Quand Youssou Ndour, après plusieurs personnes qui se sont succédé au micro , vient pour poser une question, le Chef de l’Etat fait semblant de ne pas le reconnaître et s’exclame : « C’est qui ? Ah c’est toi Youssou ! Je ne t’avais pas reconnu ». Un ancien collaborateur du Président racontait un jour à un expert en communication qui lui proposait un plan pour mettre en évidence les réalisations de l’Alternance que le projet soumis était très bien pensé, mais il manquait une chose essentielle : la compréhension de la communication de son patron se limitait à dire tous les jours « préparez-moi à aller à la télé ». Or, la proposition qui lui était soumise n’avait pas prévu cette partie importante. Donc l’expert ne pouvait pas être retenu comme prestataire de services pour le gouvernement de Abdoulaye Wade.

Une fois cette facette de la personnalité de l’ex opposant devenu pour la première fois, président de la République en 2000 campée, il est facile de comprendre dès lors, que Macky Sall, le premier Président de l’Assemblée nationale sous la présidence de Abdoulaye Wade à être un cadre (il est ingénieur, membre fondateur et premier président de la Cellule initiatives et stratégies, un regroupement des cadres du Pds), et à ce jour, le seul président de la chambre des députés à occuper, en même temps, un poste aussi important au Pds, (Secrétaire général adjoint), se prépare à initier des réformes pour redonner à l’Assemblée nationale une certaine respectabilité, que Abdoulaye Wade veuille le court-circuiter avec ce fameux message solennel.

Autrement, comment apprécier la solennité mise dans la délivrance du message du chef de l’Etat lu par le Premier ministre, Haguibou Soumaré, à énoncer des questions qui pouvaient être réglées par un simple coup de téléphone ? Le président de la République aurait pu se limiter à dire : « Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, je vous suggère d’opèrer ces changements pour mieux faire fonctionner votre institution ». Doit-on mobiliser toute la République pour proposer des innovations qui, pour la plupart, étaient déjà inscrites dans l’agenda de l’Assemblée nationale ? A moins que tout ce tapage (un communiqué diffusé par l’Agence de presse sénégalaise, l’alerte à tous les sites Internet qui diffusent sur le Sénégal, la mobilisation des membres du gouvernement, ainsi que les médias) n’ait qu’un seul objectif : divertir l’opinion qui commence à se demander si le Président est toujours apte à conduire les affaires importantes de notre République.