«Tout ce qui brille n’est pas de l’or ». Ce proverbe très populaire va sans doute inspirer le chef de l’Etat Me Abdoulaye Wade, les ministres d’Etat Karim Wade, Abdoulaye Diop, la directrice générale de l’Agence de promotion des travaux publics (Apix), Aminata Niane, pour ne citer que ceux-là. Une vaste opération d’escroquerie et/ou de blanchiment, portant sur cinq titres au porteur, portant chacun sur la somme d’un milliard et demi d’euros, soit près de 5000 milliards de francs Cfa au total, a été éventée par la Division des investigations criminelles (Dic). Qui a déféré au Parquet deux Turcs Mehmet Yilmaz, Yahya S. Ozavci et Charles Thomas, un ressortissant guinéen, en connexion d’affaires avec les derniers cités.
La patate est réellement chaude pour le Procureur de la République qui a hérité du dossier depuis avant-hier. Le scénario de cette affaire ressemble fort aux scènes d’arnaque sur Internet. Sauf que cette fois, c’est l’Etat qui est au centre des micmacs. Mehmet Yilmaz, Yahya S. Ozavci et Charles Thomas, qui sont à la disposition de la Justice, ont en effet pu rencontrer le chef de l’Etat Me Abdoulaye Wade au cours d’une audience, au mois de décembre 2009, au Palais présidentiel.
La machine à milliards des Turcs
Les
Turcs, munis de cinq titre au porteur, d’un milliard cinq cent millions
d’euros l’unité, se sont donc présentés aux autorités comme des hommes
d’affaires, représentant les intérêts de la Bedford international
financial group, filiale de la Bedford international financial
corporation, des sociétés basées au Canada et en Colombie. Les titres au
porteur, qui sont des documents qui attestent de l’existence de fonds,
sont signés par le Docteur Berdik-Albert Zvonko, Président du groupe
financier. Un sombre personnage mêlé à une affaire de faux titres au
porteur en République dominicaine en 2004.
Pourtant l’Etat du
Sénégal n’a rien vu venir. En fait, c’est en septembre 2009 que la
nébuleuse opération va s’enclencher. L’affaire met d’abord en scène les
présumés escrocs et Cheikh Saadibou Diack, expert judiciaire et
responsable de la Génération du Concret à Kébémer. Et lorsque Mehmet
Yilmaz débarque à Dakar, en provenance de la Gambie, c’est sur
invitation du Directeur de l’Agence de régulation des marchés (Arm),
Mbaye Kébé. Mehmet Yilmaz révèle aux enquêteurs de la Division des
investigations criminelles avoir fait la connaissance de Mbaye Kébé, en
septembre 2009, parce que la Bedford international financial group
essaie de dénicher les secteurs porteurs où elle peut placer ses fonds.
Mehmet Yilmaz révèle aussi avoir travaillé avec les autorités de la
Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (Bceao). En adressant
un courrier au gouverneur de cette institution financière
sous-régionale pour l’informer de l’existence de la fortune de 30
milliards d’Euros du Fonds pour lequel il travaille. Le supposé
financier Turc indexe, dans la documentation livrée à la Banque
centrale, les numéros de séries des titres au porteur.
Mais une
petite curiosité que n’ont pas relevée les autorités de l’Etat, malgré
toute cette fortune déclarée, Mehmet et ses compagnons logent dans un
modeste hôtel de Dakar, en oubliant de régler d’ailleurs les notes.
C’est Cheikh Saadibou Diack, dont la naïveté n’a d’égal que l’espoir de
voir les Turcs déverser des milliards au Sénégal, qui va se charger de
régler en partie les frais d’hôtels des Turcs. L’Etat ne voit rien venir
et c’est par le jeu des intermédiaires que le dernier maillon de la
chaîne pour atteindre les autorités, va rencontrer Mehmet. Il s’agit du
sénateur Cheikh Meïssa Ndiaye qui va être le lien entre les Turcs et le
ministre d’Etat Karim Wade. L’audience entre le supposé financier Turc
et Karim Wade a lieu au 2ème étage du Building administratif. A ce
dernier, les titres au porteur, seront remis pour vérification.
Wade père et fils au centre de
l’affaire
Et Karim Wade ne tarde pas à manifester son
intérêt en demandant aux « investisseurs » Turcs de bien vouloir
identifier les secteurs dans lesquels ils comptent mettre leur argent.
C’est encore Karim Wade, selon l’interrogatoire de Police, qui va mettre
en contact les Turcs avec le ministre de l’Economie et des Finances
Abdoulaye Diop qui, lui-même va les connecter à ses services,
précisément avec le Directeur de la dette et de l’investissement (DDI),
Mamadou Faye. L’affaire fait grand bruit dans le cercle restreint des
décideurs. Au sommet de l’Etat, on ne parle que de ces milliards tombés
du Ciel. Et Me Abdoulaye Wade, mis au parfum ne tarde pas à manifester
son intérêt. Il décide de les recevoir en audience, courant décembre
2009 et instruit, après le ministère des Finances, les services de
l’Apix de piloter l’affaire avec la plus grande diligence. Cette
audience sera suivie d’autres. Les secteurs d’investissement sont
rapidement identifiés. Il s’agit de la construction d’un gazoduc de
l’Algérie au Sénégal, d’une unité de production de pétrole, de la
réalisation d’une ligne ferroviaire entre le Sénégal et la sous-région,
de compagnies aériennes et de services aéroportuaires etc. Karim Wade a
aussi manifesté, selon les confidences des Turcs, la volonté de se faire
construire, 20.000 logements sociaux.
Comment la France a découvert le
pot aux roses
Mais alors que tout semblait se passer comme
dans le meilleur des mondes, voilà qu’un fait inattendu se produit. Nous
sommes le 15 février 2009, Interpol Paris contacte Dakar pour avoir des
renseignements sur l’expert sénégalais Cheikh Saadibou Diack. La Douane
française avait en effet interpellé un certain Yahya Sukru Ozavci,
dans la ville de Metz, en possession d’un titre au porteur d’une valeur
d’un milliard cinq cent millions d’euros. Yahya était accompagné de
Cheikh Saadibou Diack pour, a-t-il expliqué aux douaniers français,
authentifier le titre au porteur, auprès d’un courtier du nom de Daniel
Thiel. Les Douaniers vont confisquer le précieux document pour laisser
les deux « oiseaux » filer. Sans doute pour mieux identifier le réseau
qui est derrière. Contactés par leurs collègues français, les services
de la Police judiciaire sénégalaise ne tardent pas à remonter la filière
pour appréhender et démanteler le réseau. Aux dernières nouvelles, les
personnes mises à la disposition du Procureur bénéficient d’un retour de
parquet. Une affaire à suivre dans notre prochaine édition.
0 Commentaires
Participer à la Discussion