La polygamie est en voie de disparition forcée. Un tiers des mariages vole en éclats dans les cinq premières années. La femme sénégalaise hésite de plus en plus à se marier sur un coup de tête. Pour sauvegarder son ménage, mieux vaut ne pas partager le même toit avec la belle mère. L’évolution de la famille sénégalaise a fait l’objet d’une enquête menée par une équipe de l’Institut de recherche pour le développement (Ird) dirigée par Philippe Antoine. Les résultats de ce travail ont été partagés avec le public, mercredi dernier, à l’Institut français.
Si le ménage est considéré comme un baromètre social, notre société est en proie à de profondes mutations. La famille sénégalaise, parmi les plus grosses en Afrique avec environ neuf individus, subit des mutations profondes qui ont une prise directe sur les politiques de logement, d’urbanisation et de scolarisation. Pour Philippe Antoine, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (Ird), cette mutation est à placer dans le contexte d’une transition démographique, un phénomène marqué par une réduction de la mortalité infantile et une baisse de la fécondité chez la femme.
Cette tendance devrait se poursuivre, de sorte que d’ici une cinquantaine d’années, les couples sénégalais se contenteront de deux enfants. Ce qui fait dire à M. Antoine, qu’à l’instar des pays du Maghreb et de l’Iran, le Sénégal est en phase de rectifier sa pyramide des âges qui correspond à un changement dans la façon de vivre de la femme sénégalaise. Ce recul de la natalité est fortement influencé par le recul de l’âge du premier mariage. «Le mariage est de moins en moins précoce chez la femme sénégalaise», constate le démographe qui note cependant de fortes disparités entre les milieux rural et urbain.
L’âge moyen d’entrer en union chez la femme sénégalaise est actuellement de 21 ans. Selon les chiffres du conférencier, près de 15% des femmes sénégalaises âgées entre 25 et 30% ne sont pas encore mariées. Il y a moins de dix ans, en 1998, celles-ci ne représentaient que 5 %. Aussi, les femmes des générations 1947 et 52 issues du milieu urbain trouvaient un mari dès l’âge de 16 ans. Tandis que celles qui sont nées entre 67-79 voient leur célibat se prolonger de 4 ans de plus que leurs aînées. Cette tendance s’explique surtout, selon M. Antoine, par un «allongement de la durée d’études» des jeunes, «le choix du libre conjoint» qui prime maintenant sur le mariage arrangé ou forcé. De même que les difficultés économiques des jeunes, l’accès au logement, à l’emploi contribuent à différer le mariage. Résultat : «En 25 ans, l’âge du premier mariage a connu un recul de 9 ans à Dakar», note le chercheur. Les Sénégalaises se marient de moins en moins jeunes ; la conséquence est que les deux conjoints ont plus de chance d’être de la même génération. En effet, l’écart d’âge entre conjoints se réduit et tourne aujourd’hui autour de 10 ans.
INFLUENCES L’autre tendance notée c’est les ménages sénégalais c’est la fréquence élevée de divorces chez les jeunes couples. Le plus grand défi pour les nouveaux mariés est de passer la période d’observation. Un plus grand risque de séparation est notée dans les cinq premières années, puisque, c’est pendant cette période que le tiers des mariages se brise en milieu urbain, selon les calculs du démographe. Le rythme des séparations entre conjoints n’a pas tout à fait varié dans le temps, mais les difficultés économiques tendent à l’accélérer.
La crise de logement notée à Dakar peut aussi influencer l’avenir du couple. Beaucoup de nouveaux mariés s’installent dans les maisons de leurs parents. Or, note le chercheur, la présence sous un même toit de la belle mère et sa bru augmente les chances de brouille. Le divorce est associé à un nouveau profil de femmes chefs de ménage qui ne se retrouvent véritablement autonome que passée la trentaine. Puisqu’elles ont une grande tendance à passer sous une autre tutelle, par le biais du remariage. Reste que le lévirat, pratique en désuétude, pousse de plus en plus les femmes veuves à assumer le rôle de chef de famille.
Le célibat définitif est quasi inexistant, selon le scientifique. Presque toutes les femmes finissent par se marier, se conformer à cette «forte prescription sociale», et beaucoup se retrouvent dans des ménages polygames. «Malgré les difficultés économiques, la polygamie reste une institution bien ancrée au Sénégal», soutient Philippe Antoine. Même si en milieu urbain on note une tendance à la baisse, 45-50 % des Sénégalaises partagent leur homme avec une autre.
Le phénomène est encouragé par différents facteurs. Comme ce que le chercheur appelle la «polygamie du pauvre» : stratégie consistant à épouser plusieurs femmes ayant une activité rémunératrice. La polygamie peut résulter d’un effet purement ostentatoire, pour afficher ses richesses, ou pour marquer son ancrage à un régime traditionnel. Mais, pour Philippe Antoine, il sera de plus en plus difficile pour un homme de trouver une deuxième femme dans les années à venir, quand la transition démographique en cours finira de s’opérer. D’ici à l’an 2030. <10>[email protected]
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