On le peindrait joyeusement, naïvement, sous les traits d’un Moukhadam Tidiane (Ndlr : disciple d’El Hadj Malick Sy) tant il en dégage par sa mise : bonnet rouge ou bleu, souvent en boubou traditionnel si le costume trois-pièces ne s’impose pas, chapelet virtuellement au poignet, barbichette bien soignée, le tout sous des dehors calmes et plats.
En réalité, il s’apparente davantage à un « tueur », au sens politique du terme, mais un tueur plus attiré par les ombres que par des proies réelles. A ce jeu là, il manque sûrement d’adresse et de raffinement. Sous les feux d’un climat délétère qu’il a contribué à alourdir, Cheikh Tidiane Sy (CTS), ministre d’Etat en charge de la Justice, est un précipité d’autoritarisme, d’intransigeance et d’antipathie.
En d’autres circonstances, l’on aurait parlé d’une triple déformation professionnelle incompatible avec les charges très politiques qui sont siennes. Or, dans ce domaine là, la lucidité n’est jamais une tare. C’est elle qui aurait pu lui éviter, hier, d’assimiler Macky Sall à un vulgaire convoyeur de mallettes d’argent destiné à financer ses activités politiques ; aujourd’hui, cette même lucidité lui aurait également épargné le contrecoup public infâmant d’une accusation de coup d’Etat sans fondement proféré contre de jeunes activistes politiques en phase avec leurs droits d’expression constitutionnels.
Paradoxe : comment un homme si diplômé, si expérimenté mais si peu éclairé dans ses jugements pourrait-il continuer à être le responsable moral et opérationnel d’une machine judiciaire censé dire le droit au nom du peuple souverain ?
Réponse : Cheikh Tidiane Sy fait partie de cette race d’hommes intimement convaincus, du haut de ses certitudes – d’autres diraient de son arrogance - que sa foi, sa position sociale et ses fonctions régaliennes suffisent à le mettre au-dessus de ses semblables. Il n’est point besoin de l’avoir fréquenté pour déduire des actes qu’il pose que ce dignitaire de la République pourtant double diplômé de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et de l’Ecole pratique des hautes études de Paris, n’est pas un génie des contradictions fécondes. Il préfère les oukases : c’est un bonapartiste virtuel, mais sans l’envergure du fils de Laetizia Ramolino.
Au ministère de la Justice, CTS n’est donc pas au bon endroit, là où son tempérament de Duce alarmiste donnerait libre cours à son imagination. Le secteur privé doit être son espace naturel. Il est vrai, à sa décharge, que ce grand introverti qui voit des complots partout, de nuit comme de jour, – la marque d’une carence en sérénité dangereuse pour la République, ses institutions et pour la paix sociale – aurait souhaité, dit-on, diriger le ministère de l’Agriculture au lendemain de l’alternance, un souhait auquel Wade n’a pas donné suite.
C’est vrai, on le verrait bien en gentleman-farmer, le chapeau yankee à la place du bonnet, bottes contre babouches, au milieu de son troupeau de bœufs racés et croisés importés d’Amérique ou d’Europe, gesticulant ordres et contre-ordres à des ouvriers agricoles complètement dévoués. A la Justice, lieu de sérénité et d’équilibre autant par nécessité que par choix républicain, notre Garde des Sceaux n’est pas à sa place. Sa prestation du 18 mars au (tardif) soir a renvoyé à l’opinion l’image d’un dictateur en fin de règne, ne sachant sur quel registre danser, mal à l’aise face à la caméra, tantôt courbé à gauche, tantôt basculé à droite, une bonne partie de son boubou recouvrant son pupitre. Et il n’aura même pas eu l’élégance de dire à ceux qui le l‘écoutaient : « Bonsoir ». Au début comme à la fin.
Une seconde et dernière fois, on peut être indulgent envers CTS. Il est important de savoir si ses propos accusatoires de coup d’Etat relevaient de sa propre initiative, où s’ils émanaient de ce qui est appelé dans les cabinets politiques bien ordonnés un ORDRE EXECUTIF, directive écrite et motivée venue du haut sommet du pouvoir. Dans les deux cas, rien ne change car, en bon militant, il a accepté de se mouiller pour protéger les intérêts de son camp.
C’était un instant de panique au sommet dont l’objectif était de cloîtrer le peuple du 19 mars hors des rues. Après la gaffe, le remord ? La probabilité est faible de la part de cet ancien conseiller aux Affaires étrangères du président Mobutu Sese Seko du Zaïre. Sa froideur humaine et sa cohérence dans l’action restent imperturbables, relevant presque du domaine de l’inné. On sait bien que Cheikh Tidiane Sy n’est pas du genre à proclamer, comme Joseph Bonaparte, le frère de l’autre : « Je serai longtemps un objet de terreur et d’exécration.
Je suis trop vieux pour avoir le temps de réparer tant de maux. » On ne rêvera pas jusqu’à cet extrême. A cet homme qui a sûrement dépassé l’âge où la sagesse devient une exigence minimale sur le chemin de la respectabilité, nous ne demandons pas de réparer les dégâts de son magistère. Nous le supplions simplement de s’en aller ! Les Sénégalais ne s’en porteront pas forcément mieux, mais ce serait une bonne bouchée d’air.
6 Commentaires
Elhadjmoussa
En Mars, 2011 (02:49 AM)Undefined
En Mars, 2011 (03:43 AM)Mako Wokh
En Mars, 2011 (07:35 AM)Ma
En Mars, 2011 (08:29 AM)Ibis
En Mars, 2011 (10:48 AM)Boy Ndar
En Mars, 2011 (09:31 AM)Participer à la Discussion