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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
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Univers des cuup kaat : Le marché perd des couleurs au mauvais moment

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Univers des cuup kaat : Le marché perd des couleurs au mauvais moment

De la psychose des cas de vols répétitifs de pagnes aux faibles recettes en passant par les grosses commandes sans suite, les teinturiers, célèbres au Sénégal sous le patronyme Cüup kaat, vivent des périodes difficiles. Une situation, diversement appréciée, en ces moments préparatifs de la fête de Tabaski. Ballade dans l’une des plus denses, de par son caractère pluriethnique, commune d’arrondissement de Dakar : Grand Yoff où les Cüup kaat cherchent où se tourner les pouces.

Ici, l’ambiante fébrile n’est pas au rendez-vous des grandes veilles de fêtes. C’est à croire que ce n’est pas pour ce mardi 9 décembre la Tabaski. Et pour cause, tellement les rues et autres artères adjacentes sont calmes et quasi désertes à l’heure de notre passage à 16 heures chez les teinturiers à Maka III. Ce quartier, qui surplombe la grande mosquée, est un temple de la teinture, vu le grand nombre de professionnels qui y sont installés depuis plusieurs décennies. Mame Khadidiatou Camara est aujourd’hui une teinturière reconnue et elle excelle dans ce milieu depuis maintenant 35 ans. Dans son ancien grand boubou wax froissé, ‘Mame’, du fait de son âge assez avancé, supporte sur ses frêles épaules, le poids du travail des pagnes qu’elle se met à façonner de la levée au couché du soleil à son domicile, un vieux bâtiment aux murs décrépis. Le seul bruit perceptible ‘pak pak, doug doug’ émane des coups de gourdins, exercés sur les habits pour les aplatir afin de leur redonner leur éclat original. Ceux qui s’activent dans cet exercice sont nommés au Sénégal : ‘Taapakat’. Et exercice favori taquine les tympans.

Aujourd’hui, (ndlr : hier vendredi) pis que les autres jours, les choses ne marchent pas et la vieille dame ne tarde pas à afficher son mécontentement. ‘Cela fait plus d’une semaine maintenant que je n’ai pas accueilli de clients qui désirent faire de commande de cüup, il n’y a que des cas de réparation comme les deux ensembles (de couleur bleue et marron foncé) que vous voyez sur la ligne de séchage’, se lamente-t-elle.

A quelque cent mètres sur le même boulevard, Mme Diouma Diawara ressent cette situation de crise économique que vit sa collègue aînée, Khady Camara. Cette dernière revoit complètement à la baisse sa clientèle cette année. ‘C’est pire que les années précédentes, où je me retrouvais avec une clientèle à rayon, rien que pour les commandes dont les prix varient entre 12 500 et 35 000 F Cfa. Les clients ne font plus de commandes, ils ne présentent que des habits pour qu’on les répare’, déplore Mme Diawara. A notre arrivée, elle s’activait avec ses deux filles, Diabou et Ndèye Fatou Ciss, les mains bien enfourchées dans des gants de protection pour braiser le gigantesque fourneau. On y remarque une bassine volumineuse contenant du liquide colorant mélangé aux produits chimiques, tels que le Xémé et le Séggé, apparemment du sel ou de la farine. Elle s’affairait autour des nœuds de décoration sur un tissu jaunâtre aux motifs divers.

L’humeur assombrie, la jeune Fatou, que tout homme aimerait avoir à ses côtés, une vraie perle noire bien sculptée, est hélée par la maîtresse des lieux qui lui reproche son attitude de ‘paresseuse’. Mais tous leurs échanges se font dans une ambiance familiale, détendue. Le souci, note-t-elle, c’est d’achever avant le week-end le volume de travail réduit. Mais, derrière cette apparence joviale, se cachent plusieurs inquiétudes que ‘Mère Diouma’, qui capitalise plus d’une dizaine d’années d’expérience dans le domaine, évoque avec regret.

Dêche ou irrespect des clients ? : Quand des commandes de Cüup passent plus de dix ans dans les armoires !

Si ce ne sont pas des voleurs, qui écument de rage en ayant à l’idée que les teinturiers amassent une fortune avec le Cüup, c’est bien l’attitude quelque fois ‘irrespectueuse’ de certains clients, qui semblent oublier chez les Cüup kaat des commandes faites, il y a de cela, dix ans, qui dérange. Pour nous en persuader, ‘Ina’ Diouma, une appellation à connotation Mandingue, qui signifie ‘mère’ dans la langue de Molière, nous conduit dans sa chambre conjugale où se trouve dressée une grande armoire à six battants, qu’elle s’est achetée à 500 mille F Cfa grâce à la teinture. Un métier qu’elle dit hériter de sa mère, feu Gnagna Diawara.

Les dégâts sont énormes. ‘Ina’ doit réparer quatre des six battants, usés par le volume encombrant des habits. ‘Tous ces habits et pagnes Cüup que vous voyez sont des commandes de gens que je n’ai pas revus depuis plus de cinq voire dix ans. Je suis obligée de ranger les plus vieux dans des sacs de riz vides’, fulmine-t-elle tout en estimant que ‘c’est du gâchis’ parce qu’elle y aurait versé ‘une somme non négligeable d’argent’. Va-t-elle les revendre ? Ina Diouma Diawara semble être indécise, contrairement à la grande Sérère, Mme Binta Diop.

Selon cette dernière, le métier de teinturier n’est pas l’apanage de l’ethnie Mandingue. Il suffit de s’y mettre et tout finit par se maîtriser, note-t-elle. ‘Quand je me suis rendue compte que les clients, qui avaient fait leurs commandes depuis plus de huit ans, ne revenaient plus, je suis allée au village les offrir à mes parents qui ont beaucoup prié pour moi ’, confie Mme Binta Diop également teinturière installée un peu plus loin sur le même boulevard. Quelques minutes auparavant, au moment des traditionnels Salamalek d’usage, apparaît la dame Rokhaya, une liane, venue récupérer son grand boubou ‘gagnila’, qu’elle avait déposé à la veille de la de Tabaski 2007. Souriante à son arrivée, la belle Rokhaya va perdre cette astuce des grands tombeurs d’hommes, dès que Mme Diop lui pointe de l’index l’amas de sacs remplis de boubous sous les escaliers du bâtiment.

Mohamed Lamine SYLLA, moniteur : ‘En cinq ans, des voleurs m’ont subtilisé un million 900 mille’

Grand Yoff sombrait déjà dans le noir quand l’aiguille de la montre indiquait 18 heures. Un moment propice pour les voleurs d’assouvir leurs sales besognes, comme à l’accoutumé, en ces périodes de veille de fête. Mohamed Lamine Sylla, ayant servi de moniteur à Binta Diop et ses trois sœurs, plusieurs années durant, fait une incursion dans le débat. Il dit avoir été victime des larrons qui l’auraient dépouillé de tous ses biens. ‘Rien que l’année dernière, des voleurs m’ont subtilisé des pagnes Cüup, exposés au soleil d’une valeur totale d’un million 900 mille F Cfa. Et il y a cinq ans, auparavant, j’allais perdre un effort estimé en valeur numéraire d’un million 700 mille F Cfa’, dénonce M. Sylla. Et ce, après, dit-il, plus de 21 ans d’expérience.

Mohamed Lamine Sylla, qui traîne actuellement un ulcère de l’estomac contracté dans le métier, n’est pas le seul à vivre avec ce cauchemar, même si bien évidemment il n'y a pas photo au sujet des dommages qu’il a subis. Bon nombre de ses collègues, la plupart des femmes, se plaignent des cas de vols répétitifs matérialisés par des disparitions mystérieuses de ‘Cüup gagnila’, séchés au soleil. Elles ne demandent que le soutien de l’Etat à travers le financement des Gie ou groupements de femmes.



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