Dimanche 19 Mai, 2024 á Dakar
Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Contribution

Le Système de Marchés Publics Sénégalais à l’ère du Souverainisme (Par Dr Oumar DIOKHANE)

Single Post
Le Système de Marchés Publics Sénégalais à l’ère du Souverainisme (Par Dr Oumar DIOKHANE)
Au début des années 2000, un mouvement mondial a été observé au niveau de la plupart des pays et qui tendait à réformer leurs systèmes de marchés publics. Ce mouvement qui a été amorcé dans les pays du Nord a peu à peu gagné les pays du Sud. La dernière décade du vingtième siècle avait été témoin d’un début de révolution globale dans la régulation des marchés publics (Arrowsmith and Trybus, 2003, p.9).

La commande publique, composée des marchés publics, des délégations de service public et des contrats de partenariat public-privé, constitue un enjeu majeur de développement économique et social pour les Etats, soit 15 à 17% du Produit intérieur brut des Etats membres de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA).

Au Sénégal, les marchés publics constituent à eux seuls 15 et 20% du PIB. En 2017, les marchés immatriculés se chiffraient à 1545 milliards de francs CFA pour culminer à 4000 milliards en 2024 (source : ARMP).

Hormis l’importance sur le plan économique, les marchés publics restent sur le chemin critique de la gestion des projets et doivent amener les états et les managers publics à leur accorder toute l’attention requise.

Le Sénégal étant signataire du traité de janvier 1994 instituant l’UEMOA, a internalisé en 2007 les directives édictées par cette organisation en matière de marchés publics. Cela s’est traduit notamment par l’avènement de la fonction régulation, du statut d’entreprise communautaire et par le remodelage du contrôle a priori.

La régulation des marchés publics peut être définie comme l’ensemble des actions destinées à prévenir ou à corriger les écarts dommageables au système de passation dans son ensemble et à envisager les évolutions propres à assurer son adéquation avec les réalités du moment, dans le respect des fondamentaux qui gouvernent la commande publique. Elle tire sa légitimité, outre des directives susvisées, de réalités d’ordre sociopolitique.

Avec la réforme du système des marchés publics actée en 2007, c’est le Ministre chargé des Finances qui revêt dorénavant les habits de Responsable au premier chef des marchés publics, sachant par ailleurs que le Premier Ministre s’est dessaisi de son pouvoir d’approbation en sa faveur.

Il faut juste rappeler que l’objectif visé est d’aligner le système de marchés publics sur les standards internationaux et de permettre à terme, l’utilisation du système pays pour gérer toute la commande publique. En dépit des efforts consentis par l’Etat et l’autorité de régulation, force est de reconnaitre aujourd’hui que le Sénégal à l’instar de beaucoup de pays de l’UEMOA, est encore loin de cet objectif.

C’est pourquoi au regard des espoirs légitimes que suscite l’avènement d’un nouveau leadership politique porteur d’un projet souverain, le besoin se fera sentir d’accélérer la mise en œuvre des nombreux projets et programmes vendus aux sénégalais par l’amélioration de la performance de notre système de marchés publics. Il est également question d’intensifier la lutte contre la corruption dans un secteur où tous les chercheurs s’accordent à dire qu’il est fortement gangréné par ce fléau.

Ainsi, on est en droit de se demander si malgré toutes les réformes que le Sénégal a connues depuis 1960, notre système de marchés publics répond aux enjeux de l’heure ?  Il faut constater pour le regretter que 64 ans après notre indépendance, le Sénégal n’arrive toujours pas à s’affranchir d’un système de marchés publics hybride, à l’instar de beaucoup de pays de la zone UEMOA.

Même si on a connu à partir de 2007 une réforme en profondeur, certains projets appuyés par des partenaires extérieurs sont mis en œuvre avec les directives émanant de la coopération sur le plan bilatéral et multilatéral. Cette situation donne le tournis à nos gestionnaires de projets qui doivent se mouvoir dans un environnement caractérisé par une multitude de règles qui évoluent en permanence. En clair, notre système de marchés publics est piégé par des procédures sur lesquelles, le Sénégal n’a aucun contrôle et dont la conséquence est le ralentissement de la mise en œuvre des projets de développement.

En même temps, les praticiens et acteurs de la commande publique se posent encore la question de savoir si le système est suffisamment robuste pour lutter efficacement contre la corruption et déjouer toutes les stratégies de capture des acheteurs ? La transparence, l’impartialité et le libre accès à la commande qui sont les maitres mots depuis la réforme de 2007, n’ont-ils pas pris le dessus sur la performance et l’efficacité dans l’achat public ?

Pour répondre à ces questions, il nous semble utile de jeter d’abord un regard sur l’évolution du système depuis 2008, date de l’effectivité de la séparation du contrôle a priori et a postériori et de l’introduction d’autres innovations majeures sur le plan procédural.

Ensuite, nous tenterons à partir de résultats de recherches récentes sur le système de marchés publics sénégalais, de mettre en exergue les défis et les perspectives qui se dégagent au regard des nouveaux enjeux.

Le système des marchés publics à l’épreuve des réformes

Depuis le début de la réforme du système national de passation et de gestion des marchés publics, la règlementation y relative a connu des modifications successives qui avaient abouti à l'adoption du décret n° 2011-1048 du 27 juillet 2011 portant Code des Marchés Publics.

La mise en application dudit code a permis d’enregistrer des avancées notables qui ont propulsé le dispositif au niveau des standards internationaux, tant du point de vue de la transparence, de l’économie, de la rationalisation de l’utilisation du budget de l’Etat, que de la participation du secteur privé national aux appels d’offres, notamment les petites et moyennes entreprises (PME).

Cependant, il faut admettre que malgré la refonte du texte, l’évolution des marchés publics est celle d’un processus dynamique, où il faut garder une vigilance permanente dans les procédures tout en cherchant à les rendre plus transparentes, mieux adaptées et davantage efficaces, à la satisfaction de l’intérêt général et pour la vitalité de l’économie nationale. La réforme des systèmes de passation des marchés publics s’est toutefois révélée très difficile à mettre en œuvre dans toutes ses composantes.

A partir de 2010, s’ouvre une ère d’instabilité dans la réglementation des marchés publics au Sénégal. En effet, alors que le consensus qui avait présidé à la mise en place du code de 2007 laissait croire que le nouveau système allait connaître une certaine longévité, le gouvernement en décida autrement. Plusieurs modifications incohérentes et inopportunes sont introduites.

D’abord, on accusa le texte de ‘’frein à l’action du gouvernement’’ en lui imputant la responsabilité de ‘’faire perdre le bénéfice de projets par rejet systématique de demandes de signatures de marchés de gré à gré’’, dixit le rapport de présentation du décret n° 2010-1188 du 13 septembre 2010 modifiant et complétant le décret n° 2007-545 du 25 avril 2007 portant code des marchés publics.

Seulement, comme solution au problème, ce sont les marchés de ‘’travaux immobiliers réalisés à la Présidence de la République’’ et les marchés classés ‘’secret Etat’’ et ‘’secret défense’’ passés par les ministères de souveraineté qui sont dispensés de procédure de mise en concurrence.

On ne put s’empêcher de voir dans ce remède comme un subterfuge d’Etat destiné à exempter d’appel d’offres ‘’les marchés de travaux immobiliers ou de prestations’’ qui relèvent habituellement de cette procédure à moins de considérer que l’acquisition de matériels de maintien de l’ordre ou l’équipement des corps de troupe en véhicules gamme tactique, par exemple, peuvent être qualifiés de projets de développement au même titre que la construction de lycées, d’hôpitaux ou de routes.

Avec ce changement, le Président de la République accapare le pouvoir d’apprécier du caractère secret des marchés (article 3- 3.2) tandis que le Premier ministre reçoit habilitation de classer ‘’Priorité absolue’’ ‘’les cas où le marché ne peut pas être différé devant l’imminence de dangers liés à la survenance de catastrophe naturelle…’’ (article 76 d).

Ledit projet suscita une levée de boucliers venant des bailleurs de fonds du Sénégal et des organisations citoyennes. Ainsi, moins de quatre mois plus tard, le décret n° 2011-04 du 6 janvier 2011 est signé et abroge le décret de 2010.

Toutefois pour faire face à la crise énergétique très aiguë qui pénalisait sévèrement l’économie et les ménages, le décret n° 2012-01 du 2 janvier 2012 modifiant l’article 3 du code des marchés est adopté.

Il avait pour seul objet de soustraire des dispositions dudit code, les marchés d’acquisition de combustibles, les opérations et la maintenance d’installations destinées à produire de l’énergie électrique lorsqu’elles sont confiées aux fabricants des machines concernées ainsi que les marchés de conseil juridique.

Par ce texte, l’Etat avait décidé que la quasi-totalité des dépenses afférentes à la production de l’énergie électrique pouvaient être effectuées en marge des règles de mise en compétition édictées par le code des marchés publics. Tout cela démontre à suffisance que l'ingérence politique dans le processus d'approvisionnement constitue également un grand défi pour la réforme des marchés publics. En effet, un bon nombre de politiciens pensent qu'ils ont le droit d'intervenir dans les procédures de passation de marchés conduisant à des décisions capricieuses. Il n'est pas rare dans la plupart des politiques pour influencer le processus d'appel d'offres, d’instaurer des contrats particuliers d’individus ou d’entreprises de leur choix (Banque Mondiale, 2004).

Un sujet de préoccupation majeure noté ces dernières années pointait du doigt la question de l’expertise des acheteurs malgré des efforts consentis par l’ARMP devenue ARCOP, nouvelle entité en charge de la régulation dont les prérogatives ont été largement renforcées. L’ARCOP poursuit sa mission de pilotage du dispositif de formation en marchés publics cumulativement avec son rôle de régulateur.

L’ARCOP à la faveur de l’adoption du Décret n°2022-2295 du 28 décembre 2022 portant Code des marchés publics, ne pourra pas à elle seule couvrir les besoins de formation des différentes autorités contractantes ainsi que du secteur privé ; d’où l’impérieuse nécessité de mettre en place un dispositif pour le développement des compétences et d’entretenir cette capacité au niveau des opérateurs de formation.

De même, la prise en compte de la spécificité des missions de certains organes, la réforme institutionnelle de l’organe de régulation et le rôle de premier plan que le secteur privé devra jouer dans le financement des besoins de l’économie, devraient inspirer cette évolution du dispositif de formation en commande publique.

Les managers de projets de développement financés sur ressources extérieures (crédit ou dons) dépendent pour une large part des avis de non-objection (ANO) qui émaillent toute la procédure de passation et d’exécution des marchés publics allongeant de façon notable, le délai de mise en œuvre des projets.

Il est regrettable de constater que certains partenaires de la coopération bilatérale financent des projets et confient systématiquement l’exécution à des agences de la nationalité de leurs pays d’origine. D’autres, plus subtils, positionnent des cabinets étrangers sur les procédures d’appels à la concurrence dont l’issue leur est souvent favorable.

Nous avons observé sur certains projets financés par des partenaires que la durée de la phase de passation de marchés, pouvait aller jusqu’à un an. Même si certains partenaires au développement ont assoupli ou abandonné le système du double contrôle, cette pratique dans la mise en œuvre des projets subsiste dans bon nombre d’interventions financées avec l’aide extérieure.

La satisfaction par rapport aux délais d’exécution est extrêmement importante et constitue l’une des problématiques qui retient le plus l’attention des gestionnaires de projets et les candidats aux marchés. Dans notre échantillon, on peut noter que plus de la moitié des répondants ont marqué leur insatisfaction par rapport aux délais dans la phase de passation de marchés et d’exécution des contrats (cf. figure 1).

Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer à savoir la disponibilité de ceux qui ont en charge l’examen des livrables et de formuler les avis, la difficulté à mobiliser les acteurs impliqués dans la réalisation des études ou le ciblage dans le cadre d’actions de formation et enfin les retards de paiement qui peuvent conduire à la démobilisation. Dans le cadre des missions de maitrise d’œuvre, tout retard noté dans la réalisation des travaux a des répercussions sur le respect des délais ; ce qui donne lieu à la signature d’avenants dont la première conséquence est la revue à la hausse du coût global du contrat.
    
Figure 1 : Niveau de satisfaction par rapport au délai d’exécution
Source : Enquêtes Thèse de Doctorat, O. Diokhané, Nov.2018

Des recherches récentes s’appuyant sur le modèle de performance des marchés publics (O. Diokhané, 2018) ont montré que les modalités de la concurrence de marchés influencent de façon négative la performance et cette relation est très significative.

On sait que malgré les avancées qui sont faites depuis 2008 en matière de réforme du système de marchés publics sénégalais, le pouvoir discrétionnaire des autorités contractantes reste assez significatif. Cela a été renforcé depuis 2012 où on a assisté à un relèvement des seuils et une plus grande responsabilisation des autorités contractantes au nom de l’accélération de la mise en œuvre des projets.

Cette pratique peut introduire certains biais et amener les candidats aux marchés à développer des stratégies pour limiter la concurrence ou alors capturer les acheteurs. Même si les règles sont définies et connues de tous, on cherchera toujours à nouer ou à réactiver une relation au niveau de l’autorité contractante directement ou indirectement au moment de soumettre une offre. Cette démarche va viser à collecter des informations qui, globalement peuvent permettre d’avoir une meilleure position concurrentielle. Ces pratiques même si elles ne sont pas généralisées, auront tendance à créer des dysfonctionnements au niveau du système et à hypothéquer son fonctionnement optimal.  Cela confirme le point de vue de beaucoup d’auteurs selon lequel il n’existe pas de forme d’attribution robuste à la capture et à la collusion.  

En sus des risques liés à la capture et des pratiques corruptrices ou frauduleuses, le système fait face au manque d’expertise des acheteurs dans la préparation et le suivi de l’exécution des marchés. Cela est à l’origine de contraintes notées dans la préparation des marchés (définition des spécifications techniques, des termes de référence, des profils des consultants, détermination des montants des budgets). Dans le cadre de marchés complexes, cela peut avoir des conséquences très graves puisque cela peut décourager les candidats sérieux à prendre part à la consultation et conduire à des situations d’anti sélection et à ce que certains auteurs appellent l’incomplétude contractuelle.

Cette attitude des candidats aux marchés confirme la recherche de Granovetter selon laquelle dans les sociétés modernes, l’économie demeure encastrée dans des relations sociales qui en assurent le fonctionnement. Il développe des analyses tout à fait originales du marché du travail dans lesquelles il identifie les rapports sociaux et les institutions qui permettent à ce marché de fonctionner. La structure et la dynamique d'un tel réseau, aussi difficile que soit leur analyse, déterminent largement quelle information sera à la disposition d'un individu et dans quelle mesure une opportunité s'offre à lui.

L’influence négative des règles de la concurrence sur la performance se justifie par l’état actuel du dispositif mis en place dans le cadre de la réforme intervenue en 2008 suite à la transposition des directives notamment dans ses aspects en rapport avec les modes de passation des marchés.

Quant aux méthodes de sélection des consultants, on note que 81pcent des opérations sont exécutées par des prestataires retenus suivant la méthode basée sur la qualité et le coût. Cette méthode requiert des validations intermédiaires, souvent sources de lenteurs. (Cf. Figure 2).
En effet pour cette méthode, les avis de non-objection sont de rigueur à chaque phase importante de la procédure et cela, aussi bien pour les procédures nationales que pour les opérations appuyées par les partenaires au développement en fonction des seuils fixés.

Par conséquent, les managers des cabinets conseils attendent souvent longtemps avant de signer le contrat et de démarrer les prestations. Il arrive fréquemment que l’on soit attributaire d’un marché à l’année n et que les effets sur la trésorerie de l’entreprise ne se fassent sentir que bien après.

Figure 2 :  Méthode de sélection

Source : Enquêtes Thèse de Doctorat, O. Diokhané, Nov.2018
 
L’autre problème identifié dans le système de marchés publics Sénégalais est relatif à l’existence d’offres anormalement basses et à l’absence d’outils efficaces pour les gérer. Le choix des offres anormalement basses a des incidences non seulement sur la satisfaction financière mais il est souvent à l’origine du défaut de qualité, d’allongement des délais ou de la survenue de litiges.

Les enquêtes menées récemment chez les attributaires de marchés de prestations intellectuelles montrent la faible fréquence d’utilisation des méthodes de sélection rapides qui permettent d’aller vite tout en garantissant la concurrence à l’image de la méthode sur la qualification des consultants. Malheureusement cette méthode de sélection n’est pas, pour le moment, intégrée dans la réglementation nationale.

Sur la question du développement des compétences, l’on notera que l’offre de formation actuelle ne prend pas en compte suffisamment les besoins spécifiques des acteurs aux missions complètement différentes. Si rien n’est fait dans les années à venir en termes de rupture dans les stratégies de formation mises en œuvre, les contreperformances d’une partie des acheteurs publics vont être exacerbées et cela aura des incidences sur la performance globale. Dans les années à venir, le système fera face à de nouveaux besoins en formation qui vont se diversifier. En effet, le contexte actuel renvoie à la montée en puissance des collectivités territoriales avec des responsabilités de plus en plus grandes dans la chaine de dépenses et l’arrivée probable dans le système de marchés publics, de nouvelles autorités contractantes, avec la généralisation des budgets-programmes.

Par ailleurs sur la question du règlement des marchés, les retards de paiement sont monnaie courante dans le système et paradoxalement, les ressources budgétaires pour faire aux intérêts moratoires, ne sont pas provisionnées pour faire face à ce phénomène et le secteur privé devra prendre en charge le plaidoyer pour apporter les correctifs nécessaires (cf. Figure 3).

Figure 3    : Satisfaction par rapport aux conditions de règlement
Source : Enquêtes Thèse de Doctorat, O. Diokhané, Nov.2018

L’externalisation raisonnée de la fonction fiduciaire pour certaines structures aurait l’avantage de sécuriser les fonds et d’améliorer la performance dans l’exécution des marchés publics.

L’intervention des banques, le non-respect des échéances et l’accumulation des retards dans le traitement des demandes de paiement, peuvent impacter négativement sur la satisfaction financière et conséquemment sur la performance globale dans l’exécution des marchés publics.

L’idée de recruter un Agent de passation de marchés (cabinet) présente également un intérêt certain et pourrait être testée au niveau de certaines agences qui interviennent dans des domaines stratégiques et qui lancent un nombre élevé de marchés. Sur la base des résultats et acquis enregistrés, la possibilité pourra être envisagée de l’étendre à d’autres secteurs pour accélérer la mise en œuvre des projets.

Des exemples de ce schéma de séparation des fonctions existent dans certains pays comme la Mauritanie où sur le plan institutionnel, on note une séparation nette entre les commissions de marchés et les autorités contractantes.  Cependant, le modèle qui retient le plus notre attention, est celui du Millenium Challenge Corporation (MCC), une agence américaine dans le domaine de la coopération internationale.

L’exemple du Programme d’Urgence pour le Développement Communautaire (PUDC) est assez révélateur à ce niveau. Il procède de cette logique de dissociation ou de séparation des fonctions entre ceux qui expriment les besoins et ceux qui ont en charge de les traduire à travers la fonction passation de marchés.

Le Gouvernement du Sénégal en 2012 avait pris la décision de confier un pan entier de la commande publique à une agence des Nations Unies (PNUD). Le retour d’expériences quelques années plus tard, permet de conclure à la réalisation de performances dans l’exécution des projets. Même si cette option de confier la passation de marchés à une agence des Nations Unies a été abandonnée pour des raisons liées au coût assez élevé de l’opération, cette expérience devrait être mieux analysée, capitalisée et étendue au secteur privé. La possibilité pourra être examinée d’intégrer dans le dispositif, des sociétés de conseils spécialisées en marchés publics.

En matière de protection des entreprises nationales suite aux complaintes du patronat relativement à la question de l’accès à la commande publique, il est à peu près sûr que les états vont avoir de plus en plus de difficultés à concilier les objectifs de politique intérieure et l’exigence d’une compétition ouverte qui tienne compte d’accords sur le plan régional et mondial.
Depuis la réforme d’envergure de notre système de marchés publics en 2007 et la transposition des directives 4 et 5 dans la réglementation des pays de l’UEMOA, aucune étude d’envergure pour mesurer l’impact sur les performances et le développement du secteur privé communautaire, n’a été menée à notre connaissance. Le Sénégal devra prendre le leadership pour que ce travail soit fait et qu’on en tire toutes les conséquences de la même manière qu’il envisage de le faire sur la question monétaire.

Les efforts fournis pour la régulation du système ne suffiront pas pour améliorer les performances dans la préparation, l’attribution, l’exécution et le contrôle des marchés publics. D’autres actions d’envergure devront être prises.

Défis et perspectives

On retiendra avec certains auteurs que le défi dans les années à venir en matière de réforme, devra intéresser les procédures, les méthodes, la structure organisationnelle du secteur des marchés publics et les ressources humaines.

Au vu de l’impact des modalités de la concurrence sur la performance, il sera certainement utile d’étudier la possibilité de recourir de façon plus fréquente à méthodes rapides pour améliorer les taux de décaissement et la performance financière des entités domestiques.
Il sera certainement utile de faire de la réforme du système de paiement des entreprises, en général, un chantier majeur pour régler de façon durable la question des conditions de règlement, élément essentiel d’une bonne exécution des missions.
    
Sur le plan managérial et relativement à la surveillance du système, il est noté aujourd’hui que l’accent est plus mis sur la perfection procédurale dans la phase de passation de marchés alors que les atteintes à l’intégrité, sont monnaie courante dans la phase d’administration des contrats.

Une des réformes phares qu’il faudra envisager est la dissociation entre les fonctions stratégiques d’identification de projets et celles opérationnelles concernant la conduite de la procédure de passation de marchés, à l’image de ce qui se fait dans d’autres systèmes de marchés publics où la performance globale est meilleure. Cela pose la question de l’externalisation de la fonction de passation de marchés pour améliorer les performances dans la mise en œuvre des projets. Elle suppose pour sa concrétisation, une forte volonté politique.

De même, il faudra que la nouvelle ARCOP qui a vu ses prérogatives considérablement renforcées avec le Décret n° 2022-2295 du 28 décembre 2022 portant Code des marchés publics, se recentre sur sa mission principale de régulation du système de marchés publics et s’appuie sur le secteur privé pour les questions qui touchent le développement des compétences des acteurs. Ce recentrage stratégique devra s’accompagner d’une véritable réingénierie de l’offre de formation en marchés publics et l’accompagnement des structures de conseils et de formation qui ont développé des compétences dans ce domaine. Cette recommandation est une attente forte du secteur privé. Elle devrait mettre fin aux distorsions constatées sur ce marché et constitue une opportunité pour les cabinets de conseils, opérateurs de formation. Elle ne remet pas en cause la mission de l’ARCOP en matière de développement de compétences. Elle en change les règles et les modalités. L’IRCOP (ex IRMAP) devrait à notre sens, faire l’objet d’un Partenariat Public Privé. Ce schéma nous semble le plus cohérent si l’organe de régulation opte pour le faire-faire et s’appuie sur des opérateurs de formation pour dérouler sa politique de formation.

Conclusion

De ce qui ce qui précède, il est permis de conclure que la réforme du système de marchés publics qui est en réalité un processus continu, ouvre de nouvelles perspectives aussi bien dans la gouvernance des entités publiques que des structures privées en général, des cabinets conseils et des autres entreprises dans le domaine des travaux, en particulier.

Au regard des marges de manœuvre que nous offre notre appartenance à l’UEMOA, il est crucial de poser la question de l’externalisation de la fonction passation de marchés pour certains secteurs stratégiques, pourvoyeurs d’un nombre important de procédures d’appels à la concurrence. Son adoption dans le système de marchés publics  nous permettra de faire des avancées importantes dans la lutte contre la corruption qui constitue une véritable gangrène de système de marchés publics.

L’apport des partenaires techniques et financiers a été indéniable dans notre marche vers le développement mais il devient urgent aujourd’hui, au regard des enjeux de l’heure, de nous réapproprier davantage les procédures pour la mise en œuvre des projets majeurs.  Cela passera par une redéfinition des rapports avec les partenaires bilatéraux et multilatéraux et un renforcement des capacités conséquent des acteurs de la chaine de commande publique.

En définitive, le Sénégal devra dans les années à venir travailler à avoir un système pays ; ce qui sera de nature à lui conférer une plus grande maitrise des délais de mise en œuvre des projets financés avec l’appui des partenaires internationaux. 

Il faudra bien accepter l’idée que sans la domestication de nos procédures de développement, gage d’un contrôle sur les ressources et d’une maitrise des agendas publics, la performance attendue de la réappropriation de la souveraineté nationale, restera un vain mot.


Dr Oumar DIOKHANE
Agroéconomiste ( économie et Gestion agroalimentaire)
Spécialiste sénior en Marchés Publics, PPP et Renforcement de Capacités
Directeur du cabinet AIDF Ingénieurs Conseils
Email : [email protected] , Tel :776382740/ 338327578

Références bibliographiques

Oumar DIOKHANE, Thèse de Doctorat (2018).: Choix stratégiques et performances des entreprises dans l’exécution des missions : une application au système de marchés publics Sénégalais

Kaplan, R. S., & Norton, D. (1992). L’évaluation globale des performances, outil de motivation. Harvard Expansion, 7-15.

Kaplan, R. S., & Norton, D. P. (1996). The balanced scorecard: translating strategy into action. Harvard Business Press.
Granovetter, M.-S. (1985). Economic action et social structure: problem of Embeddedness.

 Dza M., Fisher R., et Gapp R., (2013), « Procurement Reforms in Africa: The Strides, Challenges, and Improvement Opportunities », Public Administration Research; Vol. 2, No. 2; ISSN 1927-517x E-ISSN 1927 5188

Banque Mondiale, 2004

Arrowsmith, S., & Trybus, M. (2003). Public Procurement. The Continuing Transformation.


5 Commentaires

  1. Auteur

    il y a 2 semaines (10:05 AM)
    Souveraineté des marchés publics, souveraineté alimentaire, souveraineté numérique, souveraineté judiciaire mais ce nouveau régime ne connaît que le souverainisme hana? 
    Top Banner
    • Auteur

      Reply_author

      il y a 2 semaines (10:48 AM)
      Va voir dans le dictionnaire la signification du mot SOUVERAINISME pour comprendre les actions du nouveau régime. Macky SALL était juste un valet de la France à qui il avait délégué la gestion de ce pays. Le Sénégal s'est lourdement endetté auprès surtout de la France et l'on rembourse actuellement l'équivalent de 5 millards  FCFA par jour soit plus de 1 800 milliards par an.
    {comment_ads}
    • Auteur

      Reply_author

      il y a 2 semaines (11:06 AM)
      Souverainisme, panafricanisme, rupture, système, projet, voila le champ lexical du régime. Que des slogans rien de concret 
    {comment_ads}
    • Auteur

      Reply_author

      il y a 2 semaines (12:12 PM)
      Les entreprises qui respectent les regles ne gagnent pas de marche publics .il faut s entendre avec l administrateur de credit, surfacturer , monter le dossier concurrentiel pour gagner le dossier .C est ke cancer de l economie sénégalaise.C est une vrai mafia
    Top Banner
  2. Auteur

    il y a 2 semaines (10:29 AM)
    Cette contribution est apparemment écrite par quelqu'un qui n'a jamais exercé une fonction dans l'administration publique. Il ne comprend donc pas comment les décisions publiques sont prises dans l'Etat. 
    {comment_ads}
    • Auteur

      Reply_author

      il y a 2 semaines (13:34 PM)
      Je signale que je totalise plus de vingt ans dans l' administration publique et plus de 15 ans dans le privé!
    {comment_ads}
    Auteur

    il y a 2 semaines (10:47 AM)
    Merci Oumar Diokhané. 

    C'est bien décrit. Les marchés publics malgré la révision des Codes continuent de poser des problèmes.

    Il faut attribuer ces marchés à des entreprises nationales ou à des entreprises internationales qui vont s'installer et nouer un partenariat avec des sénégalais qui  détiendront plus de 40%. C'est ce que font les pays arabes depuis plus de 50 ans.

    C'est ce qui permettra de solidifier les entreprises nationales et le patronat sénégalais.
    {comment_ads}
    Auteur

    Saer

    il y a 2 semaines (13:13 PM)
    Il lorgne le fauteuil de Saer niang rek
    {comment_ads}
    • Auteur

      Reply_author

      il y a 2 semaines (15:40 PM)
      Article bien écrit avec l'expertise derrière.  C'est dommage que peu de sénégalais s'intéresse à ce genre de sujet. L'auteur ne s'adresse pas aux incultes.
      Merci Monsieur Diokhané
    {comment_ads} {comment_ads}
    Auteur

    It

    il y a 1 semaine (13:01 PM)
    C'est beaucoup trop long pour un cyber article sur ce genre de plateforme...A moins que l'objectif soit moins noble que celui d'éclairer !
    Top Banner

Participer à la Discussion

  • Nous vous prions d'etre courtois.
  • N'envoyez pas de message ayant un ton agressif ou insultant.
  • N'envoyez pas de message inutile.
  • Pas de messages répétitifs, ou de hors sujéts.
  • Attaques personnelles. Vous pouvez critiquer une idée, mais pas d'attaques personnelles SVP. Ceci inclut tout message à contenu diffamatoire, vulgaire, violent, ne respectant pas la vie privée, sexuel ou en violation avec la loi. Ces messages seront supprimés.
  • Pas de publicité. Ce forum n'est pas un espace publicitaire gratuit.
  • Pas de majuscules. Tout message inscrit entièrement en majuscule sera supprimé.
Auteur: Commentaire : Poster mon commentaire

Repondre á un commentaire...

Auteur Commentaire : Poster ma reponse

ON EN PARLE

Banner 01

Seneweb Radio

  • RFM Radio
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • SUD FM
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • Zik-FM
    Ecoutez le meilleur de la radio

Newsletter Subscribe

Get the Latest Posts & Articles in Your Email