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Politique

[Entretien] Bah Traoré : « Bassirou Diomaye Faye semble bien positionné pour exercer un leadership en Afrique de l’Ouest »

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[Entretien] Bah Traoré : « Bassirou Diomaye Faye semble bien positionné pour exercer un leadership en Afrique de l’Ouest »

La tournée annoncée du PASTEF vers de « partenaires » des pays de l’AES suscite bien des interrogations au moment où, le président Bassirou Diomaye Faye réaffirme son ancrage à la CEDEAO et mène des visites diplomatiques dans des pays voisins. Que retenir de cette optique du PASTEF et quel rôle le chef de l’Etat sénégalais pourrait jouer dans la stabilité de la sous-région, Bah Traoré, chargé de la recherche à WATHI Think Tank a répondu à ces questions. Entretien.

 

Le Sénégal est parvenu à réussir une transition politique pacifique après des années et des mois de tensions. Beaucoup à un moment donné ont craint une prise de pouvoir des militaires comme c’est le cas dans quelques pays de la sous-région et au-delà. Qu’est ce qui fonde selon vous l’exception sénégalaise ?

 

Le Sénégal se distingue en Afrique de l'Ouest par sa stabilité politique relative, malgré des alternances politiques parfois marquées par des tensions, mais sans rupture constitutionnelle. Cette stabilité trouve ses racines dans l'histoire et la trajectoire politique du pays. En contraste avec ses voisins du Sahel central tels que le Mali, le Burkina Faso et le Niger, qui ont connu des périodes de troubles politiques et militaires, le Sénégal a su maintenir un équilibre institutionnel et la neutralité politique de son armée.


“La neutralité est devenue une caractéristique culturelle au sein de l'armée sénégalaise, consolidant ainsi sa réputation à l'échelle régionale et internationale”


L'absence de coups d'État au Sénégal est attribuée en partie à la neutralité politique de son armée. Contrairement à d'autres pays de la région, l'armée sénégalaise s'est engagée à préserver son rôle institutionnel sans s'immiscer dans les affaires politiques internes. Cette neutralité est devenue une caractéristique culturelle au sein de l'armée sénégalaise, consolidant ainsi sa réputation à l'échelle régionale et internationale. Cette stabilité historique a contribué à forger l'exception sénégalaise, où les transitions politiques se sont généralement déroulées de manière pacifique malgré les tensions inhérentes au processus démocratique.

 

“L'ambition partagée du Sénégal à plus de souveraineté reflète une synergie avec les dirigeants militaires, qui cherchent à affirmer leur autonomie tout en naviguant dans le paysage complexe de la politique ouest-africaine”


Le nouveau Président sénégalais a affiché ses ambitions panafricanistes et sa volonté de renforcer l’intégration sous-régionale et continentale. Lors de son investiture, il a joué les équilibristes en invitant les chefs d’Etat de la CEDEAO et ceux ou leurs représentants des juntes au Mali, en Guinée, au Burkina et au Niger. Peut-il porter un leadership sous-régional ?

 

Le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye semble bien positionné pour exercer un leadership sous-régional en Afrique de l’Ouest dans un contexte où la région est divisée entre des régimes militaires dirigés par de jeunes leaders et des présidents démocratiquement élus, souvent plus âgés ou moins populaires. Sa démarche d'inviter, lors de son investiture, non seulement certains chefs d'État membres de la CEDEAO mais également les représentants des juntes militaires du Mali, de la Guinée, du Burkina Faso et du Niger, témoigne d'une stratégie d'inclusion et d'équilibre qu’il entend jouer. Son appel à des réformes au sein de la CEDEAO pour solidifier les fondations de l'organisation tout en rectifiant ses imperfections témoigne de sa volonté de renforcer l’intégration régionale. A travers cette démarche, il aspire à réintégrer les pays de l'Alliance des États du Sahel au sein de la CEDEAO, suite au retrait annoncé par les dirigeants militaires de ces pays en janvier dernier. Ces pays ont critiqué les sanctions économiques et financières imposées au Mali en 2022 puis au Niger 2023, ainsi que le manque de soutien de la CEDEAO dans leur lutte contre le terrorisme et l'insécurité. L'ambition partagée du Sénégal à plus de souveraineté reflète une synergie avec les dirigeants militaires, qui cherchent à affirmer leur autonomie tout en naviguant dans le paysage complexe de la politique ouest-africaine.

 

“Il est crucial de prendre en compte les idéologies et les positions de nouveaux acteurs politiques plus jeunes qui prônent la rupture avec les pratiques politiques anciennes”

 

Son parti PASTEF compte entamer une tournée pour, écrit-il, rencontrer ses partenaires au Mali, au Burkina, en Guinée et au Niger. Certains ont fustigé cela comme une légitimation pour les putschistes. Voyez-vous des convergences entre le pouvoir sénégalais et ces régimes ?

 

La tournée annoncée par le parti PASTEF pour rencontrer ses partenaires dans les pays voisins suscite des débats et des interrogations. Les rencontres envisagées, sous l’égide de Ousmane Sonko, président du PASTEF et premier ministre ne concernent pas uniquement l’Afrique de l’Ouest, bien que celles annoncées en Guinée, au Mali, au Burkina Faso et au Niger cristallisent l’attention en raison de l’actualité régionale. Le fait que PASTEF prévoit de rencontrer des partenaires politiques dans ces pays peut être interprété de différentes manières. D’un côté, cela peut être considéré comme une démarche normale pour renforcer les relations et la coopération entre partis politiques de pays voisins qui partagent les mêmes visions, ce qui est une pratique courante. De l’autre côté, certains voient cela comme une légitimation tacite des régimes militaires qui ont accédé au pouvoir de manière non démocratique. Il est important de noter que ces partenaires politiques peuvent être des partis politiques. Dans cette démarche, il est crucial de prendre en compte les idéologies et les positions de nouveaux acteurs politiques plus jeunes qui prônent la rupture avec les pratiques politiques anciennes. Ceci s'applique également dans les relations avec les partenaires extérieurs, une perspective partagée par une grande partie de la jeunesse ouest-africaine. De plus, ces rencontres marquent le début d'une ambition plus vaste qui ne se limite pas à la région, mais s'étend au-delà du continent. La visite prochaine annoncée par Ousmane Sonko d’une délégation de la France Insoumise, dirigée par Jean Luc Mélenchon, illustre bien cette ambition. Cela pourrait être une manière de revitaliser la gauche.

 

“Il est peu probable qu'il y ait des changements radicaux et immédiats dans la politique étrangère du Sénégal”


Il y a une guerre d’influence autour de la CEDEAO et de l’AES entre puissances étrangères. Voyez-vous le Sénégal s’éloigner de ces alliés occidentaux ?

 

La situation dans la région de l’Afrique de l’Ouest est complexe, avec des tensions et des enjeux géopolitiques qui influencent les relations entre les pays. Le retrait des pays du Sahel central de la CEDEAO a créé une nouvelle dynamique dans la région, remettant en question la cohésion de l'organisation régionale et son rôle dans la stabilité politique et économique. L’émergence de l'Alliance des États Sahéliens (AES) comme alternative à la CEDEAO suscite des débats sur l'orientation politique et les intérêts des États membres.

 

Certaines populations perçoivent l'Alliance des États du Sahel comme mieux adaptée à leurs intérêts et à leur vision politique, étant moins inféodée aux puissances étrangères, notamment la France. Une partie de l'opinion publique ouest-africaine estime que la CEDEAO est sous l'influence de ces puissances étrangères, les sanctions économiques contre le Mali en 2022 et le Niger en 2023 ont contribué à renforcer ce discours. Ce qui a conduit à des tensions et à des divergences d’opinions entre les États membres. Ces récentes crises politiques ont mis en lumière l’incapacité de l’organisation régionale à apporter des solutions efficaces, remettant en question son pouvoir et son influence dans le maintien de la paix et de la sécurité dans la région.

Dans ce contexte, la promesse de Bassirou Diomaye Faye d'apporter un profond changement systémique au Sénégal est significative. Cela suggère une volonté de réévaluer les relations avec les alliés occidentaux et d’explorer de nouvelles approches. Des dossiers importants tels que la renégociation des contrats pétro gaziers et des licences de pêche sont déjà sur la table dans ce sens.

 

Toutefois, il est peu probable qu'il y ait des changements radicaux et immédiats dans la politique étrangère du Sénégal. Le président Faye a assuré que le Sénégal resterait un allié sûr et fiable pour tous les partenaires étrangers respectueux. Cette déclaration suggère une volonté de maintenir des relations positives avec les pays occidentaux, tout en explorant de nouvelles opportunités de partenariat.

 

Au Mali, les activités des partis politiques ont été interdites par la junte. Comment interprétez-vous ce tour de vis ?

La suspension des activités des partis politiques au Mali a suscité des inquiétudes majeures quant à la liberté d'expression et à la participation politique, des droits fondamentaux garantis par la constitution. Cette décision, prise par les autorités de transition, a été motivée par des raisons politiques et sécuritaires, selon un décret pris en conseil des ministres du 10 avril 2024. Cette mesure a été précédée par une demande de plus de 80 partis politiques et organisations de la société civile pour l'organisation d'une élection présidentielle et la fin de la transition, initialement prévue pour le 26 mars 2024.

 

La suspension des activités des partis politiques et des associations politiques a été critiquée par des organisations internationales telles que Human Rights Watch, soulignant que cette action violait les droits fondamentaux d'expression, d'association et de réunion. Cette décision a été perçue comme une atteinte aux principes démocratiques et aux normes internationales en matière de droits de l'homme. Elle crée davantage de tensions entre la classe politique et les autorités de transition à la veille des travaux du dialogue qui se veut inclusif et cela risque de compromettre les chances d'un consensus autour de cet énième dialogue. Les phases communales et régionales ont été largement boycottées par les partis politiques.


“En restreignant la liberté d'expression, d'association et d'information, les autorités de transition risquent de compromettre le processus démocratique et d'affaiblir la légitimité de leur gouvernement”


De plus, la Haute autorité de la communication a ordonné aux médias de cesser toute diffusion d'informations sur les activités politiques, renforçant ainsi les restrictions à la liberté d'information. Une décision jugée arbitraire et sans fondement juridique par la Maison de la Presse, a suscité une vive réaction au sein de la communauté journalistique du Mali.

 

La dissolution de la Coordination des Mouvements, Associations et Sympathisants de l'Imam Mahmoud Dicko (CMAS) et de l'Association des Élèves et Étudiants du Mali (AEEM) a également marqué une tendance restrictive croissante, illustrant une restriction de l’espace civique. Ces actions ont été justifiées par les autorités pour maintenir un climat de sérénité en vue du Dialogue inter-malien pour la Paix et la Réconciliation nationale.

 

Cependant, cette décision a été largement critiquée tant au niveau national qu'international pour son impact sur les droits fondamentaux des citoyens maliens. En restreignant la liberté d'expression, d'association et d'information, les autorités de transition risquent de compromettre le processus démocratique et d'affaiblir la légitimité de leur gouvernement.

 

En réaction à cette situation, la société civile et les partis politiques ont exprimé leur détermination à défendre les principes démocratiques et à lutter contre toute forme d'autoritarisme. La saisine de la Cour suprême témoigne de leur volonté de recourir aux voies légales pour contester les décisions du gouvernement.

 

« 86 % des Maliens sondés expriment leur confiance uniquement envers le président de la transition »

 

Il n’y a pas de mobilisation populaire pour dénoncer ces décisions du gouvernement. Est-ce à dire que le régime malien bénéficie du soutien populaire ?

Le régime militaire à Bamako conserve une certaine popularité auprès d'une partie de la population malgré les défis auxquels le pays est confronté. Selon l’enquête d'opinion de 2024 réalisée par le bureau de la Fondation Friedrich Ebert au Mali publiée en Mars dernier, 86 % des Maliens sondés expriment leur confiance uniquement envers le président de la transition. Ce niveau d'enthousiasme et de confiance envers les militaires est également observé au Burkina Faso et au Niger. Cette adhésion à des régimes militaires s'explique en partie par la mauvaise réputation des partis politiques, qui suscite un certain attrait pour les alternatives militaires.

 

L'absence de mobilisation populaire pour dénoncer les décisions gouvernementales concernant l'interdiction des activités des partis politiques ne signifie pas un soutien total. Plusieurs demandes d’autorisation de manifestation ont été systématiquement rejetées pour des raisons sécuritaires. De plus, la population est confrontée à une crise énergétique sans précédent qui affecte l’économie déjà fragile, reléguant ainsi les questions politiques au second plan.

 

Cependant, certains partis politiques et organisations de la société civile ont réagi en saisissant la Cour suprême pour contester la légalité de la suspension des activités politiques, dénonçant un décret jugé liberticide. La cour constitutionnelle s’est déclarée incompétente pour juger de l'inconstitutionnalité du décret suspendant les partis politiques et les activités politiques. Cette protestation reflète la résistance de certains acteurs politiques face aux mesures restrictives imposées par les autorités de transition.


Entretien réalisé par Absa HANE



8 Commentaires

  1. Auteur

    il y a 2 semaines (10:56 AM)
    Bassirou Diomaye Faye n'a meme pas le carrure de stagiaire de mbalo. 
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  2. Auteur

    Gg

    il y a 2 semaines (11:13 AM)
    Lideure des conneries 
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    Auteur

    Patter

    il y a 2 semaines (12:15 PM)
    Arrête  l herbe 
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    Auteur

    il y a 2 semaines (12:17 PM)
    Le larbinisme
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    Auteur

    il y a 2 semaines (12:48 PM)
    Il a été élu pour changer les conditions de vies des sénégalais pas pour un leadership en Afrique de l'Ouest. Régler d'abord les problèmes des sénégalais apreès vous parlerez des theories. Vous parlez de leadership pour un président qui dit: '' Quand vous venez au Sénégal vous quittez chez vous et vous êtes chez vous....''. Un président qui a des problèmes d'expression ne peut être le leader de personne.

    il y a tellement de problèmes à regler au Senegal!!! La formation des jeunes est plus importante que chercher le leadership dans une région où des pays sont dirigés par des putshistes. C'est pas une priorité. Ces pays sont certes des pays frères mais ne vont rien rapporter aux sénégalais qui attendent avec impatience la baisse des prix des denrées alimentaires, de l'éléctricité, de l'eau, du téléphone, du gasoil, du loyer et la solution contre le chomage des jeunes. Il y a des villages où il n'y a pas d'eau potable et les femmes enceintes font des dizaines de kilomètres pour accoucher. il faut s'atteler à trouver des solutions à ses problèmes au lieu de parler d'idéologie, de panafricanisme et de leadership pour la simple raison que ne les mange pas. Ce sont des théories qui ne changent pas les conditions de vies des sénégalais qui vous ont élus.
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    Auteur

    il y a 2 semaines (18:40 PM)
    C'est RIDICULE 
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    Auteur

    Xeuch

    il y a 1 semaine (11:30 AM)
    Excellent article, la situation est bien exposé, ce journaliste est brillant!
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    Auteur

    Fene Mom Meune Ngako Ak Sa Tex

    il y a 4 jours (10:19 AM)
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