
Avoir honte de se sentir sénégalais. D’appartenir à une terre d’impunité où l’autorité ne respecte rien, pas même les droits les plus élémentaires de la vie: le droit à la manifestation, à une liberté d’expression que les forces de l’ordre sénégalais ont voulu confiner entre quatre murs d’un campus. Leur faut-il, pour ce faire, piétiner des cadavres.
Dégoûtant aussi, ce défilé habituel qui veuille qu’un ministre de l’intérieur, responsable de la sécurité publique, rende visite à la famille d’une victime dont lui et ses hommes ont causé la mort de manière volontaire, étant donné que rien ne justifie la présence d’une arme à feu à l’université, encore moins l’usage de balle réelle par la police pour venir à bout d’une manifestation d’étudiants qui ne font que réclamer haut et fort leur droit, le paiement de leurs maigres allocations de survie. Et ce n’est pas un coup de fil du chef de l’Etat au père du défunt, qui devrait pouvoir apaiser les tensions, et ramener le calme au sein de l’université sous tension, en permanence. Encore moins une quelconque indemnisation financière à hauteur de plusieurs millions, une corruption qui ne dit pas son nom, destinée serait-elle, à acheter le silence de la famille du défunt.
Une purge s’impose donc pour délivrer l’université de ses démons. Car il a fallu, en 2001, que l’étudiant Balla Gaye soit tué dans des circonstances identiques à celles qui ont coûté la vie, jeudi, à son jeune camarade Bassirou Faye, pour que les autorités, enfin, ouvrent les yeux et acceptent ce qu’ils ont refusé jusqu’ici : le compromis. Il est regrettable aussi, que ces histoires de bourses impayées - un déshonneur pour les différents régimes qui se sont succédé à la tête de l’Etat – continuent d’envoyer dans la rue à chaque fin de mois, à Dakar, Thiès ou Saint-Louis, des étudiants qui peinent à se nourrir convenablement du fait des manquements d’un Etat qui a du mal à asseoir son autorité, qui ment à ses étudiants en cumulant des mois d'arriérés de bourses, et qui, du fait d’une absence de planification, joue au chat et à la souris à chaque fois qu’il s’agit de préserver la dignité des étudiants sénégalais qu’on affame volontairement, en les privant de leurs bourses d’études. Le président de la République, depuis l’étranger, doit se sentir petit dans ses souliers, très mal à l’aise lorsque la presse, nationale comme étrangère, évoque la mort par balle, à Dakar, d’un étudiant qui réclamait le paiement de sa bourse.
Plus qu’une bavure, cette dérive sanguinaire des forces de l’ordre était bien prévisible : le président de la République lui-même, son ministre de l’Intérieur et son ministre de l’Enseignement supérieur ont persisté dans leur entêtement à vouloir maintenir la présence policière au sein du campus. De ce fait, ils sont et demeurent les principaux responsables qui ont causé la mort de l’étudiant Bassirou Faye. L'on ne saurait toutefois réclamer la tête du policier tueur sans exiger l’arrestation de l’ordonnateur, de son supérieur hiérarchique qui a donné l’ordre de tirer avec l’intention ou non de donner la mort.
En dépit des avertissements et mises en gardes multiples, le pouvoir a fait la sourde oreille, jouant à une ridicule fermeté lorsqu’il estime pouvoir, par la coercition, imposer ses réformes précipitées à une classe étudiante mal préparée, mais armée de pierres face à un arsenal répressif, une machine à tuer comme en attestent les actes de vandalismes inacceptables, perpétrés dans les chambres d’étudiants, par les forces de l’ordre.
Ainsi, la mesure immédiate qui s’impose, préalable à toute négociation, consiste à évacuer d’urgence le campus qu’il faut libérer de ses intrus, impérativement. Il faut ordonner le départ de cette présence policière indésirable, qui devrait retourner dans les casernes. Ensuite, démettre ces ministres qui battent des records d’impopularité, auront-ils sur la conscience et pour toujours, la mort d’un étudiant à qui ils ont été incapables d’octroyer dix-huit mille francs Cfa à la fin du mois. Et enfin instaurer la vidéosurveillance dans tous les campus du pays afin de prévenir d’éventuelles exactions de fauteurs de trouble, qu’ils soient étudiants ou forces de l’ordre.
Oui, la coupe est pleine et les termes sont peu forts pour condamner autant d’irresponsabilités de la part d’un pouvoir qui bat de l’aile. Et tout esprit objectif peut convenir que l’actuel ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, serait-il un brillant professeur de mathématiques, a fini de prouver à l’opinion, que le management demeure son talon d’Achille. Finira-t-il par comprendre que le centre de calculs de l’UGB n’est pas tout l’enseignement supérieur du Sénégal. Et par conséquent, il n’a pas sa place à la tête d’un département qui demande beaucoup d’ouverture d’esprit, de dialogue et une capacité à convaincre par les mots et non par la violence ou l’usage de la force répressive.
Quid du traitement de l’affaire dans les médias, par la société civile, la classe politique ? On abat froidement un étudiant et personne ne va au-delà de l’indignation verbale. Pas d’interruption de programme de nos boîtes à images pourtant si promptes à diffuser des futilités médiatiques en live. Pas de plateau télévisé pour décrier l’usage disproportionnée de la force au sein du temple du savoir, devenu un mouroir pour étudiants. Pas de marche ou de manifestation publique d’envergure dans les capitales régionales, sur l'Avenue Cheikh Anta Diop, devant l’Assemblée nationale ou devant la présidence de la République, pour dire «assez de ces policiers tueurs !». Non, rien, un étudiant a été abattu sur le campus de Dakar et pas de quoi fouetter un chat ; la vie suit son cours normal comme si nous tous, étions victimes d’un envoûtement collectif qui nous empêcherait de protester, d’aller au-delà de la simple indignation. De pouvoir descendre par milliers dans la rue, comme sous l’ancien régime, manifester en public notre indignation collective. Sans doute nous sentons-nous coupables et complices à la fois, par lâcheté, d’accepter sous Macky Sall ce que nous avons refusé jadis à son prédécesseur.
Momar Mbaye
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