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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

[ CHRONIQUE ] La paix en sang jours

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[ CHRONIQUE ] La paix en sang jours

 « Toutes les guerres sont civiles, 
car c’est toujours l’homme contre 
l’homme qui répand son propre sang.
»
François de FENELON
 

Ce n’est pas la paix qui est dans l’impasse en Casamance, c’est la guerre. Elle avait pour but l’indépendance, elle est maintenant sans but. Ce ne sont pas les militaires et les rebelles qui en sont les principales victimes, ce sont les populations civiles. La mort de deux militaires, aussi douloureuse qu’elle puisse être, ne doit pas nous faire oublier le drame que vivent les casamançais eux-mêmes, depuis bientôt trente ans. Massacrés, chassés de leurs terres, ils sont obligés à l’exode dans leur propre terroir. C’est cela, chers lecteurs,  l’absurdité de la guerre en Casamance. L’armée, impuissante, abandonne les populations au diktat cruel des bandes de pillards. Les rebelles, comble de l’ignominie, déchargent leurs kalachnikovs sur les populations qu’ils étaient venus libérer. La soldastesque, pour arrondir ses fins de mois, organise des virées nocturnes chez les commerçants, qu’elle met sur le dos des indépendantistes. 
Cette semaine, parler d’un sujet autre que la Casamance aurait été malvenu de ma part. J’ai vu cette terre fertile, si ouverte aux étrangers, s’enfermer dans son irrédentisme radical. Peut-être qu’au moment où vous parcourez ces lignes de votre regard, un pauvre innocent est mort du fait de cette guerre. Comme toute guerre, la guerre en Casamance a ses côtés sombres avec son lot d’exécutions sommaires, de comptes soldés à la roquette. Chaque homme politique est aux soins de ses petits rebelles, qu’il entretient avec l’argent du contribuable, dans l’espoir de garder « une influence en Casamance ». Le président de la République a laissé faire, pensant que si chacun de ses émissaires prenait le contrôle d’une poignée d’entêtés, la paix finirait par s’imposer. Très souvent d’ailleurs, les rebelles ont été mieux lotis, mieux rémunérés que les soldats qui nous font l’honneur de nous défendre. Des convoyeurs de fonds imprudents ont perdu la vie dans ces transactions douteuses. La guerre est devenue plus rentable que la paix.  Le chef de l’Etat se rend finalement compte de l’absurdité de sa méthode de règlement en cent jours. Elle ne lui a laissé que des cadavres.
Abdoulaye Wade a sans doute fait plus que quiconque pour la paix en Casamance, il faut lui reconnaître ce mérite. Il a signé presqu’autant d’accords de paix qu’Abdou Diouf en vingt ans. La guerre est encore une réalité, mais nous sommes loin des débâcles de Babadinka et Mandina Mankagne, qui ont décimé des sections entières de l’Armée nationale. La stabilité au Libéria et le retour de l’ordre constitutionnel en Guinée-Bissau ont certainement joué en faveur de la stabilité. La plupart des chefs rebelles qui s’étaient engagés dans cette guerre meurtrière sont aujourd’hui morts. Kamougué Diatta est retenu à Dakar. Salif Sadio, réfugié en Gambie, n’a plus la même capacité de nuisance qu’il avait quand il imposait la terreur dans les camps de Baraka di Manjoka. 
Dans cette guerre que se mènent sans répit l’absurde et l’inconcevable, les partisans de la paix ont été les grands perdants. Ils se sont souvent battus à mains nues, munis de leurs seules intentions. Malgré tout, nous ne devons pas laisser le dernier mot à la guerre. Je suis d’accord avec ceux qui soutiennent qu’en près de trente ans d’intervention militaire, l’Armée nationale n’a jamais eu les moyens à la hauteur des défis qui l’interpellent. Pour venir à bout de la rébellion, il faut de puissants moyens de dissuasion. Démunie, notre armée a toujours été aux ordres d’un exécutif qui veut la victoire militaire sans en donner les moyens. Au lieu d’une guerre, elle en a mené trois. Contre la Guinée Bissau, qui croit en une dette imprescriptible à la Casamance, pour s’être servie de cette région comme base de repli pendant sa lutte contre les colons portugais. Elle a toujours mis ses poudrières à la disposition du Mfdc. Contre Yayah Jammeh, qui tient là un moyen de se prémunir contre Abdoulaye Wade. Le président de la République, par son implication imprudente dans des coups d’Etat ratés contre les présidents ivoirien et gambien, a donné à ses voisins des raisons de soutenir la rébellion casamançaise. La position de la Casamance fait que la paix dans cette région dépend aussi de la bonne foi de nos voisins immédiats. 
J’ai dit ci-avant que ce n’est pas la paix qui est dans l’impasse, mais la guerre. J’entends par là que l’option choisie par Sidy Badji de mener sa bande de jeunes combattants à l’indépendance a été un échec historique. C’est dans la cervelle de cet homme qu’est née la guerre en Casamance. C’est dans la tête de ses petits-enfants que nous allons devoir la combattre. Voilà ce qu’il y a de plus tragique dans cette grosse farce.
Dans cette guerre, le Mfdc a toujours décidé du niveau de l’escalade. La descente de gendarmes dans les bois sacrés de Diabir a sans doute été une décision malheureuse. Mais elle ne pouvait, en aucune façon, justifier l’assassinat des représentants de l’Etat conduits par le capitaine Gadio. Contre des barbares qui se battent par tous les moyens, il est tentant de prôner la guerre totale. C’est ce que viennent de faire deux généraux au passé honorable, Mamadou Seck et Abdoulaye Dieng. Il faut, face aux rebelles, la plus grande fermeté et la plus grande détermination. Mais nous ne pouvons pas leur imposer une guerre que nous ne cessons de dénoncer. Le général Dieng, nommé gouverneur militaire de Ziguinchor au début des années 90, a échoué lamentablement dans sa tentative d’imposer la paix par la guerre. Au lieu de faire cesser la rébellion, il a exacerbé le sentiment nationaliste casamançais. Des jeunes étaient traqués, pourchassés pour avoir appartenu au Mfdc. Ils n’ont eu d’autre choix que de prendre le maquis pour échapper à la torture et à la prison. Des responsables présumés du Mfdc comme Sarani Badiane ont été arrêtés par des militaires et n’ont jamais été retrouvés. De jeunes combattants présumés ont été froidement abattus à leur domicile à Djembering. Je rappelais dans ces colonnes que c’est après le décès de sa mère, morte au cours d’un interrogatoire musclé, que le jeune Salif Sadio a rejoint le maquis pour la venger. C’est dire que dans ce conflit, notre vaillante armée n’a pas toujours été exempte de reproches.
On peut prôner la fermeté contre ceux qui imposent la guerre, mais on ne peut pas refuser la paix aux casamançais qui la veulent. Les va-t-en guerre, en petit nombre, ont toujours imposé leur loi. Céder à leur logique guerrière serait la pire des choses à faire. C’est parce que depuis cinq ans, aucune initiative sérieuse n’a été entreprise dans le sens de la paix que la guerre s’est imposée à nouveau. L’idée s’installe de plus en plus dans la conscience de chacun, qu’il faudrait renoncer définitivement à toute possibilité de paix et que la guerre finira toujours par s’imposer dans les faits. Un tel fatalisme nous vient de ce que celui qui promettait la paix  en cent jours semble renoncer à l’optimisme euphorique de ses débuts. Le président de la République n’évoque plus la question casamançaise dans ses discours, depuis qu’il a fait le constat de son propre échec. Ses collaborateurs ne veulent plus aborder le sujet, au risque de lui rider la face. Mais il faudra revenir à la table des négociations. Quand on veut la paix, il faut la faire sans complexe. Et la paix n’est pas possible aujourd’hui sans ceux qui se sont imposés comme les acteurs incontournables de la crise casamançaise, Nkrumah Sané et Salif Sadio. Le président de la République ne veut pas leur parler, mais ils finiront par s’imposer à lui comme une réalité. On ne choisit pas ses ennemis. Et une chose est vraie dans la politique comme dans la guerre, un ennemi n’est jamais trop petit. C’est le lieu de tempérer le récital condescendant de Madické Niang. Le Mfdc n’a jamais réussi à nous imposer l’indépendance de la Casamance. C’est un fait. Mais il nous impose la guerre. 

SJD
 
 



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