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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

[ CHRONIQUE ] Le coup de patte du lion

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[ CHRONIQUE ] Le coup de patte du lion


« Le premier devoir du chef est
d’être aimé sans séduire.
Être aimé sans séduire, même soi. »
André MALRAUX

Face au tintamarre généralisé et aux bruits de casseroles qui nous entourent, il est difficile de faire entendre la voix d’un homme. Il n’a été question cette semaine que de cet oncle d’Abdoulaye Wade qui a ressuscité parmi les morts, du président de la République qui ambitionnait de convertir les Haïtiens à sa confrérie pour sauver leur âme des cataclysmes. La mission en Iran terminée, le missionnaire insatiable s’en va hanter les mers des Caraïbes, toujours à la poursuite de son Graal. Peuple sénégalais,  vous avez eu votre Jésus Christ, maintenant votre Jean-Baptiste, et vous continuez à croupir dans la misère, à souffrir des inondations. Quel malheureux sort s’abat sur vous ?
Je voudrais à présent vous parler d’une prophétie qui, elle, pourrait bien se réaliser, celle d’Amath Dansokho. Vous devez vous demander pourquoi en un moment aussi solennel que celui qui consacre son retrait officiel de la scène politique, ce politicien chevronné adopte un ton aussi grave pour s’adresser à nous autres profanes. Un moment comme celui-ci sert généralement à jeter un regard sur le passé. Amath Dansokho a été là pendant les moments clés de l’histoire de ce pays. En se battant pour l’indépendance au sein du Pai, s’imposant 13 années d’exil pendant lesquelles il lui a fallu voyager sous de fausses identités, dormir dans des baignoires pour échapper à la mort, soutenir les forces sociales de son pays jusqu’à l’ouverture démocratique qui a mené au multipartisme intégral.
C’est dans son salon des immeubles Immofront, à Mermoz, qu’est née l’idée de créer la Coalition alternance 2000, qui a porté Abdoulaye Wade au pouvoir. Nul mieux qu’Amath Danskho ne peut revendiquer la paternité de la première alternance démocratique réalisée au Sénégal. Amath Dansokho a été du reste, dans l’histoire, le premier à avoir appelé à une alliance stratégique avec Abdoulaye Wade, à la veille des élections de 1978, quand toute la gauche prenait cet avocat d’affaires pour un « réactionnaire ».
Rieurs publics, rabattez donc vos caquets. Cet homme a mené son combat en compagnie des plus grands de ce monde, d’Indira Gandhi à Nelson Mandela, en passant par Angela Davis, Kwame Nkumah, Ben Barka, Fidel Castro et Che Guevara. Dansokho n’en est revenu que plus modeste. Son plus grand mérite est d’être resté lui-même. J’ai été frappé par sa simplicité et son usage économe de la vantardise, alors qu’il aurait pu faire étalage de tout son savoir, nourri par les milliers d’ouvrages qui peuplent sa bibliothèque. Amath Dansokho fréquentait les grands de ce monde, mais il était de tous les combats du petit peuple. Sa santé elle-même a été affectée par ces années de vie clandestine et d’activité militante. Je n’ai aucun des mérites que j’attribue à cet homme. Mais j’ai pu mesurer son engagement à l’occasion de tous les défilés du 1er mai auxquels nous avons participé aux côtés des travailleurs sénégalais. Le Pit est à l’origine de la création des plus grands syndicats de travailleurs de ce pays. Parti n’a jamais mieux porté son nom. Car ce qui a toujours compté pour nous, c’est moins la conquête du pouvoir que l’élévation de la conscience des masses laborieuses. Amath Dasokho aurait pu se prêter au récital de ce passé glorieux et s’en tenir à cela.
Mais plutôt que du passé, c’est de l’avenir qu’il s’est agi. Le présent est si préoccupant, l’avenir si menaçant, qu’il serait malvenu d’évoquer son propre passé pour s’en glorifier. Quand nous sommes face à l’incertitude comme c’est le cas présentement, il est rassurant de le savoir encore parmi nous.

Libéraux arrogants, avant que de le calomnier bassement, il eut fallu écouter Dansokho. Il y a trop de raisons pour prêter la plus grande attention à celui que vous appelez « monsieur catastrophe ». Quand il a appelé à l’unité nationale pour éviter à ce pays l’aventure, il y a eu les évènements de 1988. Quand il a parlé de la ceinture de feu qui menaçait le pays, nous avons eu les évènements de Mauritanie. Quand il a parlé de l’existence de milices au sein du Pds, à la veille des élections de 1993, Ousmane Ngom l’a fait appeler « monsieur catastrophe ». Nicolas Baliq, correspondant de Rfi, a été tabassé au domicile d’Abdoulaye Wade, son véhicule incendié. C’était quelques jours avant l’assassinat de Me Babacar Sèye par des membres de la garde rapprochée de l’actuel président de la République et le garde du corps de Me Ousmane Ngom.
Même quand il n’était pas au pouvoir, Abdoulaye Wade demandait à l’armée de se ranger à ses côtés. Il avait souvent appelé les populations à la résistance, face à une armée et une police qu’il disait acquises à Abdou Diouf. Amath Dansokho n’est pas allé jusque là.
Ce que nous constatons depuis dix ans, ce sont des nominations et des promotions arbitraires au sein de la police et des Armées, l’octroi d’avantages indus en nature et en argent à des hauts gradés, sur la seule base de l’affiliation au parti présidentiel ou à la Génération du concret. Des hauts gradés méritants ont été écartés, éloignés du pays au profit de médiocres dont le seul mérite est leur allégeance à Abdoulaye Wade et à son fils. Des jardiniers ont été promus colonels sur la seule base de la courtisanerie. Il est évident que tout ceci à un nom, la « doungourocratie » instaurée en mode de gouvernement; et un but, la création d’une caste de militaires privilégiés qui maintiendront au prix du sang cet ordre politique contesté. Depuis six mois, cette même pègre qui s’affairait autour de l’affaire Me Sèye en 1993 se réunit régulièrement à Paris pour peaufiner son plan de prise du pays. Il s’agirait de faire un coup de force constitutionnel et d’appeler des militaires corrompus à le faire respecter. Puisqu’il est évident qu’en l’état actuel des choses, Abdoulaye Wade et son fils ne pourront jamais s’octroyer le suffrage des sénégalais, c’est un coup de force institutionnel qui se prépare, le moyen le plus commode de contourner Pape Diop, devenu gênant.
Il faudrait, sur ce point, ajouter quelque chose à tout ce qui a été dit. Nous n’attendons pas de l’Armée qu’elle défende la légalité constitutionnelle. Puisque cette légalité, on peut l’obtenir par des moyens illégaux. Le mécanisme par lequel Abdoulaye Wade a fini par nommer celui qui est devenu son successeur constitutionnel et qu’il s’apprête à transférer à son futur vice-président, lui aussi nommé, est tout à fait illégitime. De nombreux aventuriers le poussent maintenant à supprimer le second tour, question sur laquelle il s’était pourtant engagé dans son discours de nouvel an. Le plus effarant, venant d’un homme comme Moubarack Lô, c’est qu’il ne donne comme argument à sa proposition étrange, que des « hypothèses » et des « syndromes ». Il a peut-être été un brillant statisticien, mais il se révèle un piètre analyste politique. Ce qui justifie le second tour, c’est l’idée qu’on ne peut pas prétendre diriger un pays quand on n’a pas au moins la confiance de la moitié de l’électorat. Monsieur nous demande de renoncer à ce grand acquis constitutionnel par des « si » : « Si l’opposition n’a pas un candidat unique, s’il y a de nombreux candidats. » Comme si la suppression du second tour assurait, par une quelconque magie arithmétique, la limitation des candidatures. C’est d’une indigence intellectuelle troublante. Nous découvrons subitement à quel point des hommes de conviction comme Amath Dansokho se raréfient. Il a le caractère trempé des gens du sud-est, mais c’est celui qu’il nous faut face à la légèreté des goinfres d’Abdoulaye Wade. Nous sommes assurément passés à côté d’un homme exceptionnel. Mais l’avenir n’est pas fini. Nous devons, pour le mériter, nous mobiliser comme un seul homme, face au mal qui nous guette.
SJD



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