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Chronique

[ CHRONIQUE ] Le tyran et le philosophe

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[ CHRONIQUE ] Le tyran et le philosophe

« Le tyran n’aime pas qu’on raisonne ;
et c’est qu’il craint en lui-même un raisonneur
qui se tournerait contre lui »
ALAIN

 

Abdoulaye Wade, fier de sa noble stature, aime attirer dans son sillage ceux qui lui semblent supérieurs en intelligence, pour  se mesurer à eux et les rabaisser par la suite. Les plus brillants universitaires n’ont jamais trouvé grâce à ses yeux. Ils ont passé en moyenne deux mois dans son gouvernement. Sémou Pathé Guèye ne sera pas de ceux-là. Il pourra dire, du fond de sa tombe, « j’ai tenu tête à cette morne caricature ».
 Le président de la République a tout fait pour le séparer du reste de la bande de Xaar-Yalla et couper le Pit de son épine idéologique. Pendant longtemps, il lui a chuchoté dans les oreilles les propos les plus élogieux et les qualificatifs les plus flatteurs : « Sémou, tu sais que n’ai pas de problème avec toi. Je veux que tu entres au gouvernement. Mais le problème, c’est Amath ». C’était pour l’amadouer, puisqu’il s’était déjà plaint d’avoir été injurié par le même homme. Mais Sémou n’a jamais cédé. Il est le seul qu’Abdoulaye Wade a toujours voulu avoir, sans l’avoir jamais eu. C’est tout à l’honneur de celui qui vient de nous quitter. Sémou Pathé Guèye a été pendant cinq années non interrompues, mon professeur de philosophie et mon ami. Il a aussi été un camarade de parti quand nous avons décidé, avec un petit groupe d’étudiants, de ranimer le mouvement des élèves et étudiants du Pit.
Je ne peux pas chasser de mon esprit les images de notre dernière rencontre à l’université de Dakar. Il était reclus au fond d’un petit couloir du département de philosophie. Sa suite se résumait à ses livres, aux mémoires de ses étudiants et à une vieille machine à café délicatement posée sur sa table de formica. Je me suis demandé comment on pouvait être aussi grand et mener une vie aussi simple. C’était sa cuirasse idéologique. Mais il y avait, sous ces dehors simples, un esprit d’une rigoureuse complexité. Idrissa Seck m’avait chargé de le convaincre de la pertinence d’entrer dans son gouvernement. Amath Dansokho avait poliment refusé, et nous pensions qu’il était le seul à pouvoir infléchir la position du Pit. J’ai passé deux heures à vouloir le convaincre de la nécessité de bien entourer Abdoulaye Wade et de sauver l’alternance pour laquelle nous nous étions tous battus. Il lui a suffi d’une dizaine de minutes pour m’expliquer pourquoi rien n’était plus possible avec Abdoulaye Wade. Il était à la fois le plus têtu et le plus érudit du groupe qui comprenait d’éminents intellectuels comme Amath Dansokho, Magatte Thiam et Ibrahima Sène. Il était l’idéologue et le porteur des formules assassines comme la « mal-gouvernance ». On l’a entendu récemment déclarer que « Diouf avait sa Casamance, Wade a son Kédougou ». Il venait au secours de son autre ami, Amath Dansokho. Les deux hommes se sont connus en 1971, à Paris. Amath arrivait de Prague. Sémou Phathé Guèye était déjà réputé pour sa maîtrise de sa philosophie et des Lettres classiques. Le jeune étudiant portait déjà une grosse barbe et ne se séparait jamais de sa pipe, un goût d’époque.
Sur les cendres du Pai finissant, ils préparent le Parti de l’indépendance et du travail (Pit). Avec de jeunes enseignants issus des universités, Sémou lance les comités de lutte qui deviendront plus tard le Syndicat unique des enseignants du Sénégal (Sudes), en avril 1976. Senghor venait de dissoudre le Syndicat des enseignants du Sénégal (Ses) d’Iba Der Thiam. Il défend énergiquement l’indépendance du syndicat et refuse son inféodation aux dogmes du marxisme révolutionnaire.
Cette ligne indépendante, le philosophe l’adoptera sur tous les champs de bataille, même quand le Pit entre au gouvernement dit de « majorité », en refusant de donner sa caution à la modification de l’article 47 du Code du travail. Dansokho répondait toujours aux agacements de ses alliés qu’il n’avait « qu’une seule voix au Pit ». Sémou Pathé était, curieusement, celui qui appelait le plus au consensus et au dialogue. C’était par réalisme et par engagement doctrinaire. Les théoriciens de l’école de Francfort sont passés par là. Ils sont les premiers à déranger les certitudes de l’époque, en avouant que « sur beaucoup de points, Marx s’est trompé ». Le consensus était devenu comme un besoin vital des démocraties modernes, mais c’était aussi à la lumière de ce qui se passait autour de nous en Afrique. Si les hommes ne s’entendent pas, ils font entendre leurs armes. Face à la violence électorale et à la série d’évènements macabres de ces derniers jours, il est difficile de convaincre que la mort d’un seul homme peut peser plus lourd sur le destin de notre pays que les voix des électeurs.
Mais ce brillant sujet s’éteint au moment où, pas loin de chez nous, les derniers évènements nous ramènent à ce qu’il a toujours élevé au rang d’une exigence, l’éthique de la discussion.
Je le dis parce que chez nous, notre tyran goulu a une conception tout à fait différente du consensus. Les idées ne servent chez lui qu’à justifier ses pratiques. Quand des oubliés de son parti décident de rompre avec sa monocratie, il leur donne un ultimatum. Des députés dénoncent ses pratiques, il les exclut sans ménagement  de l’Assemblée nationale. Des sinistrés manifestent devant les grilles du palais de la République, il les envoie en prison. Des syndicalistes se battent pour améliorer leurs conditions de vie, il les exclut du système éducatif. Au moment où cette lumière s’éteint, une nuit sombre s’abat sur le mouvement syndical sénégalais. Et le comble de l’ironie, c’est que celui qui est chargé par Abdoulaye Wade de liquider les syndicalistes est lui-même un ancien du Sudes et du Pit. Je veux parler de Kalidou Diallo, qui affirme sans honte qu’il est de la « génération du concret ». En voulant prouver aveuglément à ses employeurs qu’il n’a pas été nommé pour rien, il réussit le pari inespéré d’unir tous les syndicats enseignants autour de la même cause. Abdoulaye Wade le méprise tellement qu’il ne lui a même pas donné un bureau pour s’installer, la meilleure preuve qu’il quittera son poste une fois sa sale besogne terminée. Pour quelqu’un qui se dit historien, c’est la pire des insultes qu’on puisse faire à l’histoire syndicale de ce pays. Au moment de jeter tous les acquis syndicaux au bûcher, c’est un ancien camarade qui apporte le plus gros du fagot, pardi.
Même Iba Der Thiam s’était gardé de tant de bouffonnerie. Abdoulaye Wade, ivre de son génie, pensait avoir trouvé en lui la bête noire du mouvement syndical. Il a pris sa naïveté pour de l’intelligence. De tous les anciens du Sudes et du Pit, c’est le seul que le chef de l’Etat a pu trouver à sa taille. Puisque nous parlons d’intelligence, disons toute notre déception. On s’attendait sans doute à trouver dans le crâne du chef de l’Etat, le plus diplômé du « Caire au Cap », plus de matière grise. On espérait aussi trouver dans la bouche d’un homme de sa trempe, des propos plus responsables que ceux qu’il a prononcés à Kolda.
SJD



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