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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

Les ailes de l’enfer

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Les ailes de l’enfer

« Tout se ramène à ceci : gagner ou perdre…
Chaque évènement a l’importance

du degré de volonté qui s’y révèle »
François MITTERRAND 



Il y avait, entre le président Abdoulaye Wade et La Pointe de Sangomar, une relation d’amour presque bestiale. Elle finit le dimanche, par une note de Samba, et reprend le lundi sur des airs de rumba bien peu nuancés. Elle est toujours bien parée, la fine pointe, toujours prête à s’envoler vers le ciel « bleu » à grandes enjambées. C’est l’un des rares moments où le chef de l’Etat, redevenu simple Abdoulaye Wade, replonge dans ses troubles souvenirs d’enfance pour retrouver ses héros de bande dessinée avec qui il partage le plaisir des escapades. La Pointe de Sangomar a été pendant cinq années, la belle dame la plus dépensière de la République, et maître Wade s’en est occupé bien dignement. Sa réfection s’est faite dans la ville d’adoption de son fils Karim, et la décoration intérieure par celle pour qui elle se révèlera une redoutable rivale, Viviane Vert. Wade y a passé, pendant ces sept années de présidence, un jour sur trois. Il y a fêté son premier anniversaire en tant que président de la République, servi par celui qui est encore son commandant de bord, le colonel Seck. Il voulait en faire une « Super 27 », digne de la plus grande attention. 30 milliards au total, engloutis entre des dépenses revues à la hausse et des comptes bancaires mystérieux. Il faut y ajouter en moyenne un milliard de francs par année en carburant, autant pour les frais de stationnement et d’entretien. Oubliez toute cette romance protocolaire, et préparez la sépulture de celle qui nous a valu toute l’attention de la République, le scandale financier le plus grave de notre histoire. Elle n’est plus qu’une rombière haletante qui laisse des fentes partout et s’ouvre de partout. On vient de nous dire que c’est trop d’infidélités faites à un homme qui ne les mérite pas : il faut la remplacer, chante à l’unisson la Wadésie.

Il ne manquait que la soutane à Pape Samba Mboup, pour faire Père José. Entre deux brasses coulées, le chef de guerre sait prendre des airs de prélat, pour toucher le cœur des sénégalais : si nous ne changeons pas la Pointe de Sangomar, nous allons, un de ces quatre matins, changer de président. Quelle sombre perspective pour l’avenir de ce pays ! En dehors de quelques flibustiers chez qui le Sopi évoque encore quelques souvenirs sentimentaux, j’en ai vu qui se sont mordus les lèvres, en se disant : « mais pourquoi Dieu ne veut donc pas nous sauver de l’enfer ? Le prix du riz a augmenté, le gaz a suivi, le sucre, le lait aussi… » J’aurais adhéré à ce scénario, s’il ne me paraissait pas un peu… antidémocratique. Mais il faut maintenant ajouter à cette longue liste, le prix de l’avion. Lui aussi est à la hausse.
Un petit bris mécanique a gâché à Pape Samba Mboup une partie de belote, au président de la République une petite conversation de salon. Mais il nous coûtera une centaine de milliards entre la commande, les commissions occultes et la décoration intérieure, laissée à l’appréciation de madame Viviane. Plus elle en voudra, plus il en coûtera au contribuable sénégalais, qui paiera la note, malgré les fausses assurances selon lesquelles des partenaires arabes seraient prêts à financer l’acquisition d’un nouvel avion. Ce régime pense toutes les concessions morales rattrapables avec les astuces et le mensonge. Wade a piqué une vive colère contre son commandant de bord, avant de saluer tout de suite son sang froid. Il s’est rendu compte qu’il venait de lui offrir un énorme prétexte pour l’acquisition d’un nouvel avion. L’argument est tellement imparable que tous ceux qui iront contre ce projet insensé seront accusés de jouer avec la vie du président de la République, puisqu’il a failli « perdre la vie » dans cet accident. Il n’y a, dans l’absolu, rien de tel. L’incident de vendredi dernier n’est pas la pire des choses qui puissent arriver à un avion, et jamais il n’aurait mis en danger la sécurité des passagers. Mais il est le prétexte à toutes les formes de délires narratives. Son historien officiel écrira (s’il ne le renie pas tout de suite) que Wade a été jusqu’à mettre sa vie en péril, pour éviter des dépenses supplémentaires à son pays, que c’est contraint qu’il s’est soumis à cette « exigence budgétaire ». « Il a tout donné au Sénégal,  à l’Afrique, au monde noir et à l’humanité souffrante. Tous les démocrates, tous les panafricanistes, tous ceux qui rêvent d’un monde de justice, de solidarité, de paix et d’égalité ont besoin de lui », ose quand même dire Iba Der Thiam, senghoriste sous Senghor, dioufiste sous Diouf, wadiste sous Wade. C’est un mensonge grossier, un prétexte bidon, pendant que le pays est gagné par une crise financière sans précédent depuis l’avènement de l’alternance. 100 milliards de déficit pour la Senelec, presque autant pour les Ics et la Sar, et il pense à se payer ce nouveau gadget pour son confort personnel, sur le dos de ceux qui lui ont renouvelé leur confiance il y a moins de deux mois. Même dans les formes de dictature les plus caricaturales, on ne se sert pas d’aussi vils prétextes. Mais puisqu’il va toujours dans le sens du vent, si l’opinion lui est défavorable, il est capable de se fendre demain d’une déclaration, pour dire « tout le monde m’a demandé d’acheter un nouvel avion, mais je ne vais pas le faire », le temps d’attendre des moments plus favorables. La manipulation est sa prière quotidienne. Il est de ce point de vue d’une piété remarquable !

Abdoulaye Wade est sans doute un des présidents les mieux élus de la petite histoire de notre République, mais son indigence morale pousse à la révolte. A peine sortis du débat sur les 7 milliards de Taïwan disparus entre un de ses amis et un des amis de son fils, nous voilà plongés dans une histoire à dormir debout. Notre aveuglement du 25 février dernier nous coûtera très cher. Nous n’avons même pas pris le temps de nous demander ce que ses voyages coûteux (treize fois le tour de la terre entre 2000 et 2002), plus que Diouf et Senghor en quarante ans, ont rapporté à ce petit pays au maigre budget. Il est toujours à l’écoute de gens comme Djibo Kâ, prêts à lui dire « mais Diouf voulait le faire », « Senghor a failli le faire », ou « mais monsieur le président, vous avez dépassé ces deux hommes en prestige ». 
On vante souvent les quelques projets sortis de terre sous Wade, mais n’importe qui aurait fait mieux. Nous aurions d’ailleurs dit merci, quand on considère l’éloignement moral dans lequel il nous tient. Il a un ministre de l’Habitat et un ministre de l’Urbanisme, et comme si cela ne suffisait pas, il vient de nommer un ministre chargé de la « nouvelle capitale », qui va nous sortir des autoroutes, des immeubles de terre, loués à l’Etat du Sénégal, dans un endroit appelé « Gouye Wade ». Ainsi se nommera la nouvelle capitale du Sénégal, après le centre islamique Moor Toolé Wade et la future maternité Aïda Daabo. Mais ce sera le produit de notre masochisme qui nous fait aimer notre bourreau.
Dans ce grand tourbillon d’indécences, tous ont réclamé un « avion pour Wade », jamais un avion pour l’Etat, ou un avion pour la présidence, pour dire l’état de putréfaction avancé dans lequel se trouve notre République. Il n’y en a d’ailleurs, désormais, que pour la monarchie successorale et pour son élévation en principe de gouvernement. Les courtisans regardent déjà avec une grande béatitude les attributs du futur prince. Il a construit des échangeurs, des routes, trouvé un financement pour le nouvel aéroport, et aurait déjà trouvé un prêt pour l’acquisition d’un nouvel avion de commandement. Après, il nous réclamera la note dans les urnes. Ce sera cher payé, mais une dette reste une dette. Dans la bonne tradition guerrière, ceux qui ne savent pas s’en acquitter font ce qu’Idrissa Seck vient de faire, ils quittent le pays. C’est une règle qui alimente les intrigues de pouvoir depuis des siècles, mais c’est injuste d’y avoir associé une dame que Wade a mêlée à ce jeu macabre, Nafissatou Diop. Elle y a « perdu » son époux, elle vient d’y perdre son gagne-pain. Notre président de la République est ainsi fait, ce sont les rancoeurs personnelles qui lui tiennent lieu de programme politique.


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