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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

[ Chronique ] SPORT EXTREME

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[ Chronique ] SPORT EXTREME

« Il n’y au monde que deux manières
de s’élever, ou par sa propre industrie,
ou par l’imbécilité des autres »
LA BRUYERE

 

Quand Talla Sylla a été sauvagement lynché le 5 octobre 2003, les journalistes ont attendu « les résultats de l’enquête » comme on attend le résultat d’un match. Avec leur déontologie soudée à la cheville, ils s’en sont tenu « aux faits », leur corps arbitral. Quand le témoin privilégié de l’assassinat de Mamadou Lamine Badji s’est imprudemment « suicidé », même démarche professionnelle : « aucune attaque, limitez-vous aux faits, rien que les faits ». C’est la sage attitude que la Presse nationale a adoptée quand un délinquant présumé est décédé dans les locaux de la police de Kolda, visiblement torturé à mort. Les autorités de l’Etat n’ont jamais présenté la moindre excuse, et là où des enquêtes ont été menées, elles n’ont jamais donné de résultat. Quand il l’a pu, le président de la République a lui-même verrouillé à double-tour certaines « affaires », pour qu’on n’en parle plus.
Il y a quelques jours, des syndicalistes dont la seule faute est d’avoir déposé un préavis de grève ont été entendus, menacés. Là aussi, même noble attitude de la part des journalistes : « monsieur Mbaye a été convoqué à la Dic ». Un point, un trait. Nous nous croyons trop au-dessus des autres segments de la société pour pouvoir dire ce que nous estimons juste ou injuste. Nous disons « les faits ». C’est ce dogmatisme journalistique que nous sommes en train de payer par un terrorisme d’Etat. Le journalisme a rejoint la politique parmi les sports dangereux qui peuvent tuer au Sénégal, même en dehors des aires de jeu.
Vous serez étonnés de l’entendre, mais ces voyous sont les mêmes qui avaient organisé l’expédition punitive contre Talla Sylla. Le leader du Jëf-Jël en était sorti avec l’arcade zygomatique fêlée, pour qu’il ne chante plus ; le journaliste de Futurs Medias s’en tire avec une boîte crânienne ouverte. Sans doute « pour qu’il n’oublie pas ». D’autres anonymes sont morts dans la plus grande indifférence. Si nous avions crié à l’époque à l’injustice et exigé que les criminels soient punis, marché un samedi comme nous projetons de le faire, saisi les organisations internationales comme nous le faisons aujourd’hui, nous aurions évité à Campbell Dieng ce tacle brutal. Quand l’autorité morale la plus haute, soit le président de la République, a été interrogé récemment sur cette affaire, il a déclaré que dans nos traditions, l’injure se venge par le sang, « comme au Moyen-âge en Europe ». Les journalistes en ont ri. Ils en pleurent maintenant. Les Sénégalais s’en mordent les doigts. Voilà tout.
Ce qui s’est passé samedi au stade Leopold Sédar Senghor est un précédent dangereux. Mais nous avons laissé faire. Il y a quelques mois, Ousmane Ngom a envoyé le même groupe de policiers arrêter d’autorité la diffusion de la répression qui s’était abattu sur les marcheurs « contre la faim ». L’alerte devait venir de là. La Presse, dernier refuge de la moralité urbaine, a continué à s’en limiter « aux faits ». Les faits ont fini par la rattraper, alors qu’elle devait être la première colonne dans la lutte contre l’arbitraire.
Et je ne pense pas que nous ayons pris une claire conscience de la dérive policière qui guette. Ce n’est pas une menace contre les journalistes. C’est une menace contre le pays entier. Il serait dangereux d’enlever la responsabilité à la puissance publique pour habiller un joueur, sous le prétexte qu’il aurait « voulu se venger ».
Après la chute de Saddam Hussein, les grandes démocraties avaient dessiné une nouvelle carte de la dictature mondiale, dont elles prophétisaient le début de la fin. Elles avaient dressé la liste des derniers maîtres du monde. On y trouvait, en bonne place, Robert Mugabe et… Laurent Gbagbo. Le Sénégal y était peint dans les mêmes couleurs que les Etats-Unis et la France. Une grande démocratie où régnait une transparence enviable à tout point de vue. Puis arrivait le chef des chefs, Kim Jong-il. Son pays y était présenté comme une dictature : son économie en banqueroute, sa population affamée. La population y souffrait d’un froid sibérien en raison de la « pénurie d’Energie ». C’est exactement ce qui se passe sous Wade. Le président sénégalais y ajoute un culte de la personnalité sans pareil. Personne ne peut se mettre à sa hauteur. Il a même érigé une grosse affiche dédiée à son culte, à côté du Port Autonome. Deux agents de police s’y relaient nuit et jour, pour garder intacte l’image rajeunie du Grand Timonier. Une démocratie selon son bon vouloir, quitte à la faire dans le sang.

Quand, au début de l’année, les unités d’élite du GIGN et de la BIP devaient être formées pour les besoins du sommet de l’Oci, elles ont pris la direction de la Jordanie. C’est un grand changement dans la philosophie qui a guidé jusqu’ici la formation des spécialistes de la protection rapprochée et des groupes d’intervention. Notre élite policière suivait une formation en France, et par la suite allait se perfectionner en Louisiane, aux Etats-Unis. On lui apprenait les techniques de la garde rapprochée, les techniques d’intervention, dans un Etat de droit. Les policiers et gendarmes y apprenaient le respect de la personne humaine. Ils sont allés cette année se former dans une monarchie du Golfe où on leur apprend d’abord à réprimer. C’est l’une des populations les plus dociles du monde, qui nous prépare peut-être à notre monarchie naissante.
Mais cette tendance est aussi vieille que l’alternance. Quand Abdoulaye Wade est arrivé au pouvoir, il a démobilisé tous les professionnels de la Brigade d’intervention polyvalente et du Gign qui assuraient la sécurité du président Diouf et de ses ministres, sous le prétexte qu’ils servaient son « ennemi ». Il n’avait confiance qu’en ses calots bleus, contre des professionnels aguerris qui ne demandaient qu’à servir. C’est ainsi que d’anciens chômeurs comme Lamine Faye, qui n’ont eu aucune formation, ont été bombardés « capitaine de police ». Les moins chanceux qui étaient dans l’entourage des anciens responsables du Pds ont été projetés sans sommation « auxiliaires de police », avec des contrats qui finissent « avec le mandat du président de la République ». Au sein de la gendarmerie, les jeunes qui allaient se perfectionner en France après leurs trois mois de formation ont été directement pris dans l’entourage du président Wade et de sa famille. Des jeunes comme Victor Kantoussan se sont retrouvés du jour au lendemain en costume-cravate sans avoir jamais combattu, parfois sans avoir tiré le moindre coup de feu. Ce sont ces calots bleus, souvent d’anciens délinquants, qui ont investi les unités d’intervention de la police, et sont devenus les « hauts gradés du Sopi ». Ils boivent les paroles de Wade comme des versets du Coran et s’exécutent comme de vrais talibans.
Le président de la République sait, le premier, que leur impunité est la première garantie de leur obéissance aveugle. On veut faire croire qu’ils ont tabassé Campbell pour se venger d’une délation lors de la dernière Coupe d’Afrique des Nations. Mais ils ont tabassé un ancien Premier ministre, Moustapha Niasse, qui ne faisait que marcher ! Je n’ai pas vu une autorité de l’Etat regretter cet incident qui a fait le tour du monde, photo à l’appui. C’est pourquoi il ne faut pas espérer une punition contre ces bandits. Ils ont un parrain trop puissant, Abdoulaye Wade. Depuis 8 ans, il rêvait d’en foutre une à un plumitif. C’est maintenant fait. Ceux qui l’ont côtoyé ces derniers jours, même parmi ses collaborateurs, sont stupéfaits. A chaque fois que le journaliste hurle à l’heure du journal de la RFM, le président se surprend en train de rire. Son silence est d’ailleurs parlant. Rien ne l’empêche de condamner cet acte ignoble et de promettre des sanctions contre les coupables. Mais on sait quels résultats de telles promesses ont donné par le passé. Suite au décès de Mamadou Lamine Badji, il avait promis la justice à sa famille, et 50 millions à ceux qui l’aideraient à trouver le coupable. Le premier qui pouvait mener aux criminels « s’est suicidé » comme par enchantement.
Cette correction est malheureuse, mais c’est une leçon pour tous ceux qui pensaient qu’on pouvait encore espérer de Wade un minimum de bon sens. Les journalistes oublient souvent qu’ils ne peuvent pas constituer un quatrième pouvoir. Ils peuvent au mieux être un contre-pouvoir. Et c’est parce qu’ils sont un contre-pouvoir que leur rôle ne doit pas se limiter à dire « tel a volé ». Ils doivent ajouter que voler est puni par la loi, et que la loi doit s’appliquer en toute circonstance. S’ils ne jouent pas ce rôle de critique, ils participent à réunir les conditions qui rendent impossible l’exercice même de leur métier. Il n’y a aucune pudeur à combattre Abdoulaye Wade, à partir du moment où son projet est clairement de faire taire tout le monde pour faire ce qu’il veut. Sans le professionnalisme de cette presse qu’il lynche quotidiennement, il ne serait jamais devenu président. Nous lui avons déroulé le tapis rouge et il nous a craché dessus.  Il y a deux ans, il avait retenu un budget voté par l’Assemblée nationale pour la presse, sous le prétexte que son argent ne va pas à des gens qui « l’insultent ». Il le disait au moment-même où il instruisait une presse de caniveau pour insulter d’honnêtes citoyens qui ont servi ce pays. Au plus fort de ce combat, pendant que les Sénégalais étaient dans le noir, « Il est midi » avait même bénéficié d’un groupe électrogène acheté à 20 millions avec l’argent du contribuable. Même dans le noir, les journalistes martelaient encore les faits, rien que les faits. Jusqu’en enfer.



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