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Dossier : Les inondations urbaines au Sénégal sont de plus en plus dangereuses et de moins en moins gérables

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Dossier : Les inondations urbaines au Sénégal sont de plus en plus dangereuses et de moins en moins gérables

Je vous propose à travers cet article une analyse fine de la situation et des solutions

Introduction

Notre pays connaît depuis pas mal de temps des inondations récurrentes de plus en plus dangereuses et de moins en moins gérables. Les inondations qui continuent d’affecter nos villes, seraient une résultante d’une mauvaise ou absence de politique cohérente d’aménagement du territoire et d’une méconnaissance absolue du phénomène.

 A coté des inondations urbaines qui causent chaque année surtout pendant la période hivernale beaucoup de dégâts, occasionnant des dommages aux infrastructures et bâtiments, des pertes humaines et matérielles, des épidémies (choléras…), des maladies (diarrhées…), des déplacements de populations, des problèmes de relogement, des problèmes de circulation urbaines, existent aussi des inondations non urbaines qui sont à l’origine de la salinisation des sols, de la pollution des eaux superficielles et par conséquent la dégradation progressive des ressources en eau et l’appauvrissement des sols.

 Les inondations sont devenues un facteur bloquant au développement harmonieux de notre pays parce qu’elles occasionnent des pertes économiques énormes, dégradent notre environnement, créent des crises sociales sans précédent, perturbent notre système éducatif (retard de la rentrée des classes dans certaines zones…). Elles sont estimables à des milliards de nos francs.

S’il est probable que les inondations soient partiellement causées par l’abondance des précipitations et l’utilisation croissante des zones inondables (urbanisation anarchique) ; les changements climatiques, la diminution de la capacité naturelle d’infiltration des bassins versants, la mal gouvernance de nos communes et les actions anthropiques incontrôlées, non maîtrisées, non réglementées et très informelles telles que les remblaiements constituent des facteurs d’aggravation du phénomène et les solutions proposées jusqu’ici n’ont jamais apporté les réponses attendues et commencent même à devenir très dangereuses. Il n'est en effet malheureusement pas possible de répondre à la problématique des inondations uniquement par la réalisation de bassins de rétention ou l’octroi de motopompes et de nourritures. Nous avons aujourd’hui l’obligation de réfléchir sur des solutions juridiques, structurelles, organisationnelles et préventives. En conséquence, il est indispensable d'élaborer un vaste programme qui permette une approche transversale tant sur le plan des acteurs concernés qu'au point de vue des solutions proposées. Un territoire est un espace construit et habité par une population donnée avec ses besoins de subsistance, qui vit en société, se déplace et mène des activités économiques. Son bon fonctionnement demande des compétences dans tous les domaines. Pour comprendre et gérer un territoire, il convient de le saisir dans ses aspects géomorphologiques, climatiques, démographiques, socio-économiques, environnementaux… à la fois dans l’espace et dans le temps. L’aménagement du territoire qui constitue un ensemble de dispositifs, de techniques, d'actions et d'interventions qui visent à assurer une répartition adéquate de la population, des constructions, des activités économiques et des équipements et infrastructures, tout en tenant compte des contraintes naturelles et anthropiques à leur établissement, fournit les méthodes d’une gestion transversale, cohérente et très adéquate. Cet article a pour vocation de tracer les lignes directrices d’une gestion durable des inondations basée sur une approche d’ingénierie de l’aménagement du territoire.

Qu’est ce qu’une inondation ?

Une inondation est un envahissement ou une submersion par les eaux (de pluies, de mer, de fleuve, de nappe…) d’un territoire bien défini (installations humaines, surfaces cultivables…). Elle se produit lorsque de l'eau en excès ne peut être évacuée par les voies naturelles (lit mineur ou voie d’eau) ou artificielles prévues à cet effet (réseaux d'assainissement…). Le ruissellement des eaux obéit à des principes que nous connaissons tous, il est guidé par la géomorphologie du milieu c’est à dire la gravité, le relief et la nature des sols. Si ces principes sont perturbés, il y a forcément risque.

Schéma explicatif du système des inondations

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les inondations urbaines

Elles résultent d'une absence d'infiltration dans des espaces urbains soumis à des précipitations que les conditions accidentelles de l'accumulation soient d'ordre géomorphologique, hydrologique, topographique, météorologique ou anthropique. Nos inondations urbaines sont de ce type, la remontée des nappes phréatiques (Wakhinane à Pikine) dans un milieu naturel ou le relèvement du niveau d'évacuation dans des réseaux de drainage peuvent encore les provoquer. Parfois aussi, les différents phénomènes, envahissement du lit majeur, fortes précipitations, remontée de nappe sont concomitants. De même, certaines villes sont particulièrement menacées de façon permanentes même en dehors de la période hivernale, les villes littorales (Guédiawaye, Thiaroye/mer) par exemple, quand, à toutes les causes de débordement des eaux déjà citées, s'ajoutent les surcotes dues à l’érosion côtière. Les eaux de pluie envahissent les points bas en raison de l’imperméabilité des sols causée par l’urbanisation qui a perturbé les principe que j’ai évoqués un peu plus haut. Les rues deviennent des voies d’eau ; c'est-à-dire des torrents destructeurs.

Schéma explicatif du système des inondations urbaines

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J’ai identifié sur le terrain 4 causes principales d'inondations qui sont à l’origine du phénomène :

- La pluie,

- L’imperméabilisation totale des sols,

- La disparition des zones naturelles de débordement (cours d’eau, voies d’eau, zones humides…),

- L’absence de réseau d'égouttage

Les facteurs aggravants du phénomène des inondations

 - Le réchauffement climatique et l’érosion côtière,

Le réchauffement climatique a pour conséquence la montée du niveau des mers et des océans, occasionnant la fonte des glaciers, et provoque la dilatation thermique des eaux (une eau chaude est plus volumineuse et plus mobile qu'une eau froide). Les conséquences de l'élévation du niveau des mers et des océans sont l’accélération de l’érosion côtière, la perte de surfaces cultivables, la submersion de zones d’installations humaines, l’inondation de cimetières (Thiawlènne à Rufisque et ceux de Mbao), de quartiers, de villes… Les observations menées jusqu’ici montrent que le niveau global des eaux marines ne s’arrête pas de s’élever et la moyenne tourne aujourd’hui au tour de presque 4 millimètres par an ce qui entraine une perte annuelle d’environ de plus d’un mètre de nos côtes. Cette situation ressuscite de plus en plus des voies d’eau (« vallée morte ») jadis disparues.

- Étalement urbain anarchique, l’installation humaine dans l’espace alluvial L’étalement urbain conduit à saturer les réseaux existants par temps de précipitations et à augmenter très fortement le volume d’eaux à évacuer ou à assainir. La diminution, voire la suppression des zones naturelles d'expansion des eaux et l'imperméabilisation des sols par un étalement urbain mal maîtrisé concourent à l'aggravation des risques d’inondation.

- La déforestation et déboisement

 Le couvert végétal (forêt, bois, ripisylve…) favorise le ralentissement du mouvement des eaux; les feuilles et les autres matières organiques que l'on retrouve sur le sol absorbent les eaux de pluie et la libèrent doucement et progressivement pour le sol situé en dessous. L'eau ressurgit bien plus tard dans des sources qui alimentent les cours d'eau. Favorisant l’infiltration de l’eau grâce à leurs racines, et l’évapotranspiration grâce à leur feuillage, la ripisylve permet de retenir l’eau et de réduire l’érosion.

- L’imperméabilisation des sols en milieu urbain et les remblaiements informels

 L’imperméabilisation des sols empêche l’infiltration des eaux de pluie qui ne peuvent plus rejoindre rapidement la nappe phréatique (qui joue naturellement le rôle de bassin de rétention). Ces modifications ne peuvent toutefois être tenues comme seules responsables des inondations de très forte ampleur mais constituent un facteur déterminant dans le phénomène. Quand aux remblaiements, ils sont très fréquents et créent des perturbations des voies d’eau, des fonds bas, de rivières artificielles… Toute intervention sur la voie publique doit faire l’objet d’une autorisation au préalable, mais on assiste des fois à des mises en place de dos d’âne sur les sur les routes par les populations sans autorisation ou des remblaiements de rues, de quartiers. Ces pratiques perturbatrices du système des ruissellements des eaux sont très courantes dans notre pays.

Les communes à risque d’inondation

Les risques d’inondation concernent la quasi-totalité des communes de notre pays à des degrés divers dont l’ensemble des grandes agglomérations. Pour 16150 km de voies d'eau (fleuves, rivière, vallées fossiles, ravins..) et 643 km de côte, ce qui ferait une surface de 15 000 km2 est d’espace inondable

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En raison de pressions démographiques, économiques, sociales, foncières, politiques…, les voies d'eau ont souvent été remblayées, aménagées, couvertes, déviées… et habités, augmentant ainsi les risques d’inondation dans les grandes villes du Sénégal pour la plus part installés sur le littoral ou aux abords de vallées fossiles.

Les inondations dans la Région de Dakar

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les conditions organisationnelles, environnementales et socio-économiques de la grande agglomération dakaroise ne permettent pas de comprendre le phénomène et de résoudre facilement cette problématique des inondations qui reviennent chaque année pendant la période hivernale. Alors étant une presqu’île dans l’Océan Atlantique, la région dakaroise se retrouve située dans une zone très basse avec une altitude moyenne de 20 m au dessus du niveau de la mer et avec plusieurs bassins versants pour la plupart remblayés et perturbés comme la carte géomorphologique ci-dessus et la carte des zones inondables ci-dessous nous le montrent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La légende de la carte des zones inondables nous montre nettement la quasi-totalité des installations humaine de la Région de Dakar se sont faites sur des territoires inondables.

La banlieue dakaroise

L’attractivité nationale, sous régionale et internationale de Dakar a fait que nous assistons aujourd’hui à une pression foncière et démographique sans précédent entrainant une consommation excessive d’espace qui à son tour a de nombreuses conséquences sociales très négatives dans la grande agglomération dakaroise... La banalisation des espaces périurbains accompagnant le phénomène d’étalement urbain anarchique porte aussi atteinte à la qualité de vie, des infrastructures et des paysages surtout dans la banlieue. Les implantations humaines des zones de Pikine, de Guédiawaye et de Thiaroye se sont faites sur un grand bassin versant de 87 km² qui comporte un réseau hydrographie surfacique et souterrain très développé et très complexe conjugué à la fois la proximité de la mer et de ses « turpitudes ». La quasi-totalité des territoires de ces communes se trouvent dans la plaine alluviale des Niayes (ancien cours d’eau asséché), à coté de plusieurs affluents ou vallées fossiles rendant ainsi toute la zone inondable. Les lits majeurs de toute cette zone sont bien développés et difficilement repérables. Une bonne partie de la zone de Pikine (Wakhinanne) est assise sur la nappe phréatique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La gestion, la prévision et le contrôle des inondations urbaines et de leurs impacts sur le milieu passe forcement par une maîtrise transversale de nos villes. Une ville est un système complexe issu de trois facteurs : des éléments naturels (nature des sols, climat, relief …), une population (cultures, tradition, hostilités…) et des constructions artificielles (formelles, informelles…).

La lutte contre les inondations urbaines

Pour lutter contre les inondations, il faut tout d’abord déterminer l’ensemble des causes et les conséquences. Chercher les moyens de :

- Intervenir sur le régime pluviométrique ou gérer les eaux de pluie,

- Contrôler l’utilisation des sols,

- Conserver ou de remettre en place les zones naturelles de débordement,

- Mettre en place des réseaux d'égouttage…

Ensuite lutter contre les facteurs aggravant précités un peu plus haut. Pour cela, il est indispensable d’établir un partenariat interdépendant entre l’Etat, les collectivités locales et les populations dans le cadre d’un vaste programme transversal de gestion des inondations. La gestion des inondations ne peut pas être l’affaire des seuls acteurs de l’Etat ou des collectivités locales ; elle doit devenir une préoccupation participative nationale clairement définie par une loi d’orientation. Les trois parties doivent définir ensemble cette politique et l’échelle territoriale (échelle régionale, échelle départementale ou échelle locale directe) la plus pertinente possible. A mon avis l’échelle régionale est le réceptacle le plus apte à accueillir une telle politique vu notre découpage territorial qui n’obéit pas aux logiques de cohérence et les départements ne sont pas des collectivités locales. Donc mettre en place des schémas transversaux régionaux d’aménagement et de développement territoriaux (STRADT). Ces STRADT doivent comporter trois volets à savoir la sécurité, le développement et la prospective ou la prévention. Ces trois volets doivent définir des normes fiables, viables et rentables d’ « installabilité », de « constructibilité » et d’« habitabilité ». Il est donc indispensable d’assister les communes qui gèrent de façon quasi-autonome leur foncier pour qu’elles se fixent des objectifs chiffrés de lutte contre l’utilisation progressive des surfaces non constructibles, de lutter contre l’étalement urbain anarchique, en leur permettant de prescrire, dans certaines zones, des seuils minima de densité. Ensuite, les encourager à concevoir l’urbanisme de façon durable en harmonisant les documents d’orientation et de planification. Intégrer l’eau dans l’urbanisme en harmonisant les PPRI (Plan de Prévention des Risques d’Inondation) localement (régionalement) construits avec des PLU (Plan Local d’Urbanisme). Un PPRI régional transversal qui comprend :

 - Un diagnostic territorial de chaque région,

- Une cartographie aussi précise que possible des zones inondables et un affichage du risque grâce à une information régulière et permanente,

- Un règlement qui fixe les mesures d'interdiction, de prévention et les prescriptions applicables dans les zones délimitées par un document graphique. En dehors de tout cela, l’Etat doit adopter une politique d’aménagement cohérente du territoire national. Tout cela doit passer par la maîtrise de façon globale et transversale de son territoire et avoir le pouvoir d’y intervenir :

- Maîtriser l’ensemble de son système hydrographique et hydro-géographique,

 - Maîtriser son évolution démographique et pouvoir influer sur la mobilité l’ « installabilité » des populations,

 - Maîtriser l’évolution urbanistique de ses villes et pour ce faire,

Les mesures urgentes que l’Etat doit prendre pour ces cinq prochaines années sont : Déloger les populations qui se sont installées dans les zones inondables non « récupérables » et les reloger dans des zones sans risque,

Restructurer les zones inondables « récupérables » avec une urbanisation durable, Interdire les installations humaines à risque dans les zones inondables non récupérables. Favoriser des constructions en hauteur par exemple, il s’agit de libérer de l’espace et de préserver les capacités d’écoulement et d’expansion des eaux

En guise de conclusion, je suggère à l’Etat avec la collaboration de tous ses services et partenaires de revoir les règles fiscales et financières relatives à l’urbanisme, au service d’une gestion raisonnée des ressources et de l’espace, d’investir dans les autres régions afin de limiter l’exode massif des populations vers la capitale afin d’éviter les concentrations des populations dans zones à risque.

M. Mamadou DJIGO

Ingénieur en Aménagement du Territoire
Spécialiste de l'action territoriale
Directeur AfricADT
Site Internet : http://www.africadt.com/
Site perso : http://www.djigom.com/



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