Légumes-feuilles traditionnels : Des compléments nutritionnels irremplaçables

Légumes-feuilles et fruits forestiers sont des compléments nutritionnels irremplaçables pour des millions d’Africains frappés de malnutrition. Au Sénégal, chercheurs et producteurs travaillent à développer cette filière au profit des consommateurs.

Nogoye Thioune est une paysanne du village de Keur Pathé à Mboro (100 km au nord de Dakar). Le champ d’un demi hectare de bissap (Hibiscus sabdariffa) qu’elle cultive, lui a été légué par son père qui a vécu plus de 100 ans. Sa maman, encore solide sur ses jambes, est une octogénaire qui se nourrit de légumes feuilles : bissap, caxat (Leptadenia hastata), ndour (Senna obtusifolia), Sap Sap (Moringa oleifera), niébé (Vigna unguiculata), etc. A l’occasion de l’atelier ‘Nouvelle initiative’ organisé les 16 et 17 mai derniers à Dakar par le Centre de développement horticole de l’Institut sénégalais de recherches agricoles (Cdh/Isra), Nogoye faisait souvent référence à ses parents qui partaient fouetter la brousse pour trouver ces légumes feuilles. Des plantes qui constituent un complément nutritionnel irremplaçable dans l’alimentation des populations rurales n’ayant pas souvent accès au poisson, à la viande ou à des fruits frais. Venues comme Nogaye participer à cet atelier, des paysannes de Thiomby (région de Kaolack), travaillant en collaboration avec le Cdh, partagent la même conviction.

L’intérêt nutritionnel de ces légumes feuilles, Aly Ndiaye, représentant le directeur de l’Isra, l’a reconnu. A l’ouverture de l’atelier, il a indiqué que 800 millions de personnes des pays en développement souffrent de sous-alimentation chronique, alors que 200 millions d’enfants de moins de 5 ans sont atteints de malnutrition protéino-énergétique et que près de 11 millions meurent des conséquences de la faim et de la malnutrition. C’est dans le souci de remédier à cette situation que le projet ‘Nouvelle initiative’ a été mis en place en 2004 par l’Institut international de gestion des ressources phytogénétiques (Ipgri) basé à Nairobi, au Kenya, sur financement du Centre de recherches pour le développement international (Crdi). Le projet qui s’inscrit dans le cadre d’un réseau de recherche dans quatre pays africains (Sénégal, Tanzanie, Kenya et Zambie), vise à valoriser les légumes feuilles et fruits afin d’améliorer l’équilibre nutritionnel des populations urbaines et rurales.

Au Sénégal, les chercheurs de l’Isra/Cdh, de l’Institut de technologie alimentaire (Ita) et de l’Université de Dakar, considèrent que légumes feuilles et fruits forestiers restent une alternative pour changer les habitudes alimentaires des Sénégalais. Des habitudes alimentaires qui ont pour conséquence le développement de certaines maladies (diabète, carences en vitamines, etc) et des problèmes de malnutrition de populations vulnérables (enfants, femmes et personnes âgées). ‘Il faut améliorer la production, la commercialisation et la consommation des légumes feuilles pour une meilleure santé des populations d’Afrique de l’Ouest’, déclare le coordonnateur du projet Mikkel Grum de l’Ipgri. D’autant que, dit-il, les ministres de la Santé de l’Union africaine (Ua) avaient adopté la stratégie nutritionnelle africaine (2005-2015) lors de la conférence de Botswana en octobre 2005.

L’intérêt nutritionnel de ces légumes feuilles et fruits forestiers est qu’ils contiennent des protéines (20 à 30 %), des vitamines, du calcium, du fer et des fibres. Celles-ci intervenant dans la protection contre le cancer, la baisse du mauvais cholestérol sanguin et la réduction de la glycémie chez les diabétiques. Pas étonnant si, au Sénégal, plusieurs Ong ont introduit dans leur programme de lutte contre la malnutrition le Moringa oleifera.

Appelé ‘Sap-Sap’ en wolof, les feuilles de cet arbre miracle contiennent tous ces éléments nutritifs. C’est ainsi que la société suisse Optima a pour ambition d’en planter 10 millions dans la région de Fatick. Autres avantages de ces plantes, elles peuvent contribuer jusqu’à 100 % dans le revenu familial en milieu rural, alors qu’au Sénégal, 54 % des ménages vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Ces légumes feuilles, Meissa Diouf, chercheur au Cdh, en a recensé 40 espèces dont les plus consommées sont : Sap Sap, bissap, niébé, ‘Caxat’, baobab (Andasonia digitata). Quant aux fruitiers forestiers, il en a inventorié 70 dont ‘toll’ (Landolphia heudelotii), ‘maad’ (Saba senegalensis), ‘ditax’ (Detarium senegalensis), ‘dakhar’ (Tamarindus indica). Mais feuilles et fruits forestiers sont aussi utilisés comme médicaments dans la pharmacopée traditionnelle.

En dépit des acquis de la recherche, le développement de la production et de la consommation des légumes feuilles et fruits forestiers reste timide. ‘Si on a des terres, de bonnes semences, de l’eau et des commerçants qui viennent jusqu’à nous pour acheter nos produits, nous allons développer ces cultures’, lance Nogaye au directeur de l’Ita, Amadou Tidiane Guiro, venu clôturer l’atelier. Inspirée par les débats sur la recherche, l’encadrement technique, le manque d’organisation des producteurs, Nogaye se dit déterminée à monter avec ses sœurs de Mboro une association de femmes productrices de bissap. Reste à développer la recherche sur les techniques de conservation des feuilles, les analyses biochimiques, la validation au laboratoire des principales recettes collectées au Sénégal.