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Economie

Les ’’ Ndioganes ’’ dans le Saloum : Dans le secret des maîtresses de la fraude à petites doses

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Les ’’ Ndioganes ’’ dans le Saloum : Dans le secret des maîtresses de la fraude à petites doses

A travers les sentiers les plus déroutants et les sillons les plus tortueux des profondeurs du Saloum, voyagent nuitamment, anxieuses et nerveuses, des femmes. Elles rivalisent d’abnégation et se livrent, avec « leurs cousins » les douaniers, à un jeu de cache-cache infernal. Ce sont les « Ndioganes ». De tous les âges, elles s’adonnent à la contrebande de marchandises en provenance de Farafégny, en Gambie. Cette activité, les douaniers l’appellent la fraude par infiltration. Voyage au coeur d’une activité insolite. Un grand mal inoculé à l’économie.

A petites doses !

« Pantière » (zone d’influence) du poste frontalier de douane de Keur Ayib Guèye. Un champ d’action qui couvre les Communautés rurales de Médina Sabakh, Ngayène Sabakh et Kaymor. Cette zone est parcourue, de jour comme de nuit, par des équipes chevronnées de douaniers qui, outre les autres catégories de fraudeurs tels que les charretiers, les porteurs et ceux qui utilisent les berlines, livrent une guerre sans merci aux « Ndioganes ».

Le vocable est déjà difficile à définir tant cette activité, surgie de nulle part, s’identifie à l’informel. Fallou Ndiaye, chef du poste frontalier de Keur Ayib, les assimile à des apôtres de l’illégalité. Considéré par les « Ndioganes » comme l’agent de douane le plus répressif de tous les temps, notre homme n’est nullement gêné par l’étiquette. Il a la réputation de ne pas transiger avec ces bonnes dames, celles qui ont choisi la fuite en avant, la ruse et le jeu à cache-cache avec les douaniers, à la place du dédouanement en bonne et due forme au poste.

« Il y a plusieurs types de « Ndioganes ». D’abord celles qui passent au bureau de douane et procèdent au dédouanement du petit lot de marchandises acheté en territoire gambien et rentrent tranquillement chez elles. L’autre catégorie, celle des irrégulières, préfère contourner le poste de douane en empruntant les voies parallèles. Enfin, une troisième catégorie est composée de ces femmes qui se déplacent de « louma (marché hebdomadaire) en louma » pour acheter des produits tels que le « gombo », le « nététou », la pâte d’arachide, etc. Le mal se trouve, cependant, dans l’ingéniosité de cette catégorie de « Ndioganes » qui utilisent ces produits pour faire passer du sucre, de la tomate, de l’huile et, parfois, des produits cosmétiques achetés en terre étrangère. Que de subterfuges !

« Ne vous fiez pas à ces seaux remplis de pâte d’arachide et autres. Elles peuvent également contenir du sucre, de la tomate ou de l’huile soigneusement enfouis dans un double emballage », déclare le chef du poste de douane de Keur Ayib. « Je vous dis que ces femmes-là n’hésitent même pas à cacher des produits toxiques tels que les défrisants et autres cosmétiques dans des sacs ou seaux qui contiennent des produits alimentaires. C’est un danger, même si elles prennent le soin de l’emballer dans trois sachets en plastique », précise Fallou Ndiaye qui met l’accent sur les risques courus par l’agent de douane lors des fouilles, avec la manipulation de ces produits.

Anodins à première vue parce que fractionnés, ces sachets de sucre ou d’huile, ces pots de tomate, une fois saisis et regroupés, représentent un tonnage impressionnant. C’est là le véritable danger de la fraude par infiltration, le point fort des « Ndioganes », avance le chef du poste de douane de Keur Ayib. Il cite l’exemple d’un camion transportant les marchandises appartenant à 18 femmes « Ndioganes » habi

tant les régions de Diourbel et Fatick. La fouille opérée sur la marchandise composée entre autres de 60 sacs d’arachide en coque et 10 en graines, a permis de découvrir et de saisir 677 boîtes de tomate de 2,5 kilos, 28 sacs de sucre, 25 kilogrammes de poivres, des tissus Basin et ’’Wax’’, éclatés en petits sachets soigneusement emballés et enfouis dans les sacs dont elles disaient ne contenir que des denrées alimentaires.

« Nous ne pouvons pas fermer les yeux face à de telles pratiques, même si certains estiment que ces bonnes dames, qui seraient dans le besoin, méritent une compréhension de notre part », fait savoir M. Ndiaye.

Il ajoute : « Je suis pour qu’elles investissent des créneaux autres que la fraude qui met à genou notre économie. Ainsi pourront-elles gagner leur vie en toute quiétude ». Il indique que le poste de douane allège les charges aux commerçantes qui empruntent la voie légale. « C’est là un moyen d’inciter les fraudeuses, notamment les « Ndioganes », à dédouaner le peu de marchandises qu’elles ont sur elles au lieu de jouer à cache-cache avec nos agents », certifie notre interlocuteur.

Malheureusement, cette option tarde à porter ses fruits, estime un agent de douane qui, aujourd’hui, a la conviction que ce nouveau phénomène de société, si on peut l’appeler ainsi, est dans le sang de ces bonnes dames. Assurément, elles ne reculent devant rien. Il ne comprend pas tout le mal qu’endurent ces femmes pour faire passer leurs marchandises.

Dix, vingt ou vingt-cinq kilogrammes de sucre, un bidon d’huile fractionné dans des sachets, quelques mètres de tissu, trois à quatre pots de tomate qu’elles tentent de préserver comme la prunelle de leurs yeux, quitte à passer la nuit dans la forêt, attendant que les douaniers lèvent leurs barrages. « Cette folle passion d’une profession à risque, il faut être « Ndiogane » pour l’accepter et la vivre », avance-t-il.

Des ’’intouchables’’ au téléphone portable

La vague de la contrebande

entre résistances et astuces !

Dans cet univers des « Ndioganes », le téléphone portable joue un rôle extrêmement important, si l’on en croit les douaniers. Ces derniers ont constaté, avec une surprise loin d’être feinte, que les « Ndioganes » se servent aujourd’hui de ces instruments pour déjouer les pièges tendus sur les routes. « Il faut faire avec ces technologies nouvelles », reconnaît Fallou Ndiaye, le chef du poste de douane de Keur Ayib Guèye. Selon M. Ndiaye, de telles pratiques rendent un peu difficiles les opérations que la douane mène sur le terrain. Les soldats de l’économie restent convaincus que les avancées technologiques n’ont pas que de bons côtés, d’autant que quatre vingt-six pour cent des ’’Ndioganes’’ disposent aujourd’hui de téléphones portables.

En allant à Farafégné chercher de la marchandise frauduleuse, les ’’Ndioganes’’ ne misent a priori sur aucune stratégie pour échapper à la vigilance des douaniers. Le temps qu’elles mettent pour aller de Keur Ayib à Kaolack, Fatick, Gossas, Diourbel voire Dakar, dépend des conditions de leur voyage. Celui-ci peut être calme ou périlleux.

Les « Ndioganes » peuvent utiliser jusqu’à trois ou quatre véhicules différents, fractionner le trajet initial, rien que pour sortir vainqueurs de ce « combat infernal ». Elles tiennent à leur marchandise comme elles tiennent à la prunelle de leurs yeux. « Les Ndioganes ont, elles aussi, des points-relais un peu partout dans les villages situés sur la Transgambienne, de Keur Ayib, à Ndoffane ou Koutal.

Notre interlocuteur souligne que si l’on laissait les « Ndioganes » prospérer dans leurs activités, l’économie du pays en prendrait un sacré coup. « Le 12 mai dernier, nous avons vendu 250 sacs de sucre à la Compagnie sucrière sénégalaise (Css) et, entre-temps, nous avons saisi plus de 180 autres sacs, un tonnage important d’huile, des piles, autant de produits prohibés », déclare M. Ndiaye qui ajoute que la lutte contre la fraude au niveau des postes frontaliers est permanente et dirigée contre toutes les catégories de fraudeurs.

Cependant, cette lutte contre la fraude ne se fait pas souvent sans grosses difficultés, du fait de certaines populations qui sont hostiles à la mission des douaniers. « Plus par manque d’information que par absence de civisme », déclare un agent de douane. Il s’empresse de regretter l’existence de villages que l’on appelle « intouchables » et qui sont souvent des refuges et des échappatoires pour fraudeurs. Ce sont généralement des villages de marabouts comme il en existe beaucoup dans le Saloum et dans la région de Diourbel.

La vague de la contrebande est tenace ! « Prenez une ’’Ndiogane’’, dépouillez-la de toute sa marchandise, demain, à la première heure, elle reprend le chemin de Farafégny (en Gambie). La femme ’’Ndiogane’’ se dit que sur trente rotations en un mois, elle s’en sortira si elle parvient à réussir six opérations », explique le chef de poste de Keur Ayib Guèye. Ceci pose la problématique de la grosse différence de prix qui existe entre nos deux pays, en tout cas en ce qui concerne certains produits et qui est très incitative. « Cette différence de prix, en ce qui concerne certaines denrées de première nécessité comme le sucre, l’huile et la tomate, est énorme », confirme une femme ’’Ndiogane’’ qui est sur le terrain depuis plus de dix ans et qui suit et maîtrise l’évolution des prix comme un trust occidental suit la Bourse de Paris.

« Le sac de sucre de 50 kilogrammes, vendu à Dakar à 30.000 francs, est acheté à Farafégné entre 8.000 et 12.000 francs. Il en est de même pour le pot de tomate de 2,5 kilos qui coûte 1.200 francs contre 2.500 au Sénégal et le bidon d’huile de 20 litres vendu à 10.000 à Farafégny », déclare-t-elle.

C’est là la véritable raison qui pousse ces bonnes dames à s’adonner à ce commerce, du reste très juteux, même s’il est interdit et inscrit au registre des activités commerciales qui vont à contre-courant du développement de notre pays.

SALE TEMPS POUR LES FRAUDEURS EN PAGNE : Dans les foulées d’une course-poursuite avec les douaniers

Farafégné, 19 heures 30. Avec le soleil qui décline sur la Gambie, le « louma », l’un des marchés hebdomadaires les plus fréquentés de la sous-région, s’éteint petit à petit, laissant quartier libre aux milliers de personnes, acheteurs, vendeurs ou simples badauds.

Farafégné est cette ville gambienne la plus proche après Keur Ayib où la douane sénégalaise a installé ses quartiers. La cité, prisée par les fraudeurs de toutes catégories, n’échappe pas aux femmes ’’Ndioganes’’ qui s’y approvisionnent quotidiennement, surtout le dimanche, jour de ’’louma’’. Farafégné se vide progressivement de son trop-plein venu d’ailleurs, du Sénégal notamment.

Tout le monde s’empresse de partir avant que la nuit ne tombe carrément, sauf quelques dizaines de femmes qui, prenant leur mal en patience, attendent on ne sait quel signal pour embarquer. Elles, ce sont les ’’Ndioganes’’ pures et dures.

Elles préfèrent attendre les moments les plus propices pour s’engouffrer dans les vieux cars spécialisés dans le transport de ces fraudeurs en pagne. Elles tournent dans le vide, ce qui ne semble pas faire l’affaire d’un apprenti-chauffeur qui, en mal de clients, s’écrie : « Ces femmes-là font du dilatoire, rien que du dilatoire, mais la rencontre entre les douaniers et elle aura bien lieu ». En tout cas, la nuit risque d’être longue pour douaniers et ’’Ndioganes’’ qui, en ce dimanche jour de ’’louma’’, rivalisent d’ingéniosité à travers la savane du Saloum. Coups et contrecoups vont pleuvoir.

C’est vers 23 heures que nous avons décidé d’embarquer avec le dernier groupe de ’’Ndioganes’’, une trentaine de femmes qui nous ont pris en sandwich, mon photographe et moi. C’est parce que nous avons choisi de vivre, ne serait-ce qu’une fois dans la vie, l’exaltante aventure des « Ndioganes » à travers la savane du Saloum.

En lieu et place de la rutilante 4X4 du « Soleil » qui, après notre reportage, allait nous déposer à Kaolack en moins dune heure, nous avons emprunté une vielle guimbarde partie pour passer le restant de ses jours à se faufiler entre les mailles des douaniers. Le conducteur n’en était pas moins jeune que le véhicule dont on avait, en un moment donné, l’impression qu’il faisait du « surplace ».

« Albourakh », c’est le nom que lui ont donné les femmes « Ndioganes », a fait montre dune nervosité extraordinaire tout au long du périple, se chamaillant le plus gros du temps avec ses clientes qui, cependant, comptaient tous sur l’expérience et la connaissance du terrain du vieil « ange » pour traverser « Sirat ». « Sirat », en référence à ce passage ténu de l’Au-delà, est le symbole du barrage douanier infranchissable.

L’homme qui veille sur « Sirat » est baptisé « Malaka ». Il s’appelle... Fallou Ndiaye, le chef du poste de Keur Ayib.

La femme « Ndiogane » a la particularité d’avoir une masse impressionnante. Une chaleur d’enfer règne dans le véhicule. Elle est corsée par une ambiance faite de propos souvent injurieux et autres « lahilahailala » (invocations de Dieu) à la moindre alerte. Excepté le chauffeur et son apprenti, mon photographe et moi sommes les seuls mâles.

La méfiance et les coups d’œil foudroyants fusent de partout. Les femmes sont méfiantes par déformation professionnelle. Nous avions mis beaucoup de temps à lever l’ancre pour un voyage autant hypothétique que périlleux. Il y avait plus de marchandises frauduleuses dans le véhicule que de passagers. Des sacs de sucre, éclatés en petits sachets de 5 à 10 kilos, de la tomate, de l’huile qui s’est retrouvé dans des sachets, etc.

Les mille et un détours

Au lieu de prendre la Transgambienne comme tout le monde, notre vieux chauffeur emprunte la piste qui mène à Médina Sabakh. De la capitale du Ngoyane, connu pour son succulent « Ndaga Ndiaye », nous nous rendons à Firgui. De là, les « Ndioganes » apprennent qu’une équipe de la douane avait érigé un barrage juste à l’entrée de Nioro. Le chauffeur est sommé de faire un détour pour contourner la capitale du Rip.

Cap alors sur Cantora. De là, nous entrons à Nioro par une porte dérobée, entre le lycée et la Préfecture. Il ne nous reste qu’à retrouver la Transgambienne en empruntant une piste qui se situe entre les parcelles expérimentales de l’Isra (Institut sénégalais de recherche agricole) et un village nommé Darou Salam. Je demande à ma voisine les noms des villages traversés. C’est une femme grosse, qui, à elle seule, a « dévoré » tout l’espace à nous deux affecté. Les petites notes que je prends pour les besoins de mon enquête réveillent quelques petits soupçons de la part de l’apprenti chauffeur. Il ne cesse de m’épier. Quelques femmes « Ndioganes » me lancent des piques. "Souniou auto bi rakhna !" En français : il y a un corps étranger dans le véhicule. C’est vrai. Bien qu’embarqués dans la même galère, nos motivations sont largement différentes. Elles tiennent à leur sucre, leur tomate, les quelques bidons d’huile et autres produits cosmétiques ; moi, je m’impatiente de savoir si le choc entre ’’Ndioganes’’ et douaniers aura lieu, malgré les séances de prières improvisées par les ’’Ndioganes’’ tout au long du trajet.

Confiance et... surprise !

A peine sortis de Nioro, juste à la hauteur Paoscoto, des informations parviennent aux ’’Ndioganes’’. Elles portent (ces informations) sur la présence des douaniers de Fatick à l’entrée de Dinguiraye, autre village qui abrite un ’’louma’’ célèbre tous les samedis. Sommé une nouvelle fois de prendre une autre route par les femmes fraudeuses, le chauffeur, qui craignait une panne d’essence à force de détours, propose une "escale technique". Il fait nuit. L’horloge de mon téléphone portable affiche 1 heure passée de 16 minutes.

Sur la route, il n’y a plus que quelques rares véhicules particuliers, une ou deux « 508 » reliant Ziguinchor à Dakar. Ces véhicules sont les seuls à violer l’intimité de Dame Nuit. Un éclairci, sortie de la grisaille, traverse les esprits quand une nouvelle tombe. "Le barrage a été levé", s’écrie une ’’Ndiogane’’ renseignée on ne sait par qui. Effectivement, c’est dans une parfaite quiétude que nous avons traversé Dinguiraye.

La confiance commence à gagner les rangs des « Ndioganes » qui pensent s’être jouées de leurs "cousins" les douaniers. Mais, au moment où les éclats de rire ponctués de quelques chahuts envahissent notre car, une L 200 blanche, aux phares hasardeuses et voilées, déchire le silence de la nuit.

Sans crier gare, le véhicule "fantôme", sorti d’on ne sait où, vient à notre hauteur et, à l’aide d’une lampe torche à la lumière aveuglante, le chef douanier, assis au siège avant à côté de son collègue conducteur, intime à notre chauffeur l’ordre à de serrer à droite. Surprises, les « Ndioganes » invoquent Dieu le Tout-Puissant par tous ses noms contenus dans le Saint-Coran avant de dire : "torokh nagne" (Nous sommes cuites), ou encore (moussiba mbaba coumba).

Pour certaines d’entre elles, il n’y a aucun doute, elles ont été « vendues ». D’autres répliquent : « Il ne peut s’agir que de Penda ». Penda est cette femme « Ndiogane » qui a eu un échange de propos aigre-doux avec le conducteur, ce dernier ayant refusé de la prendre à bord de son véhicule.

La fouille est systématique. Elle donne des résultats faramineux : pêle-mêle, du sucre, de la tomate, de l’huile, des tissus, etc. La L 200 des douaniers est remplie de ces produits.

J’éprouve de la gêne quand ma voisine de siège, qui a été très disponible en me fournissant beaucoup de renseignements sur les villages traversés, s’adresse à moi d’un ton qui frise la tristesse : "Sama tiamègne, gadoulma mboussi soucar bi".

Dans un petit sachet, il y a 7 kilogrammes de ce produit prohibé. Je lui rétorque, avec beaucoup de peine cependant, que je ne voudrais pas me mêler à ces choses-là ; ce qu’elle a compris. Le chef douanier, dont l’uniforme contient difficilement le ventre, s’écrie d’une voix rauque : "Que tout le monde descende !" Puis, il intime l’ordre à un de ses agents de monter sur le porte-bagages du véhicule, histoire de vérifier ce que contient la pile de sacs. En un laps de temps, le véhicule est allégé.

L’équivalent de 6 sacs de sucre, douze cartons de tomate, des bidons d’huile, etc. est saisi. Il ne reste plus aux « Ndioganes » qu’à « sauver l’honneur ». Alors, s’engagent des tentatives de se faire restituer quatre ou cinq kilos de sucre par-ci, un pot de tomate par-là. Rien n’y fait avec le chef des douaniers qui traîne la réputation d’être l’agent le plus intraitable de la zone. « Aucun kilo de sucre ne sera restitué », coupe-t-il court.

La suite du voyage est paisible. Les immenses femmes, délestées de leurs marchandises, n’ont plus que leurs yeux pour dormir jusqu’à notre arrivée au terminus, entre la station Total et la Chambre de commerce de Kaolack.

Au petit matin, ces mêmes femmes reprendront le chemin de Farafégné. Commencera alors une nouvelle aventure. Une course d’obstacle sur les routes périlleuses de la fraude...

Noirot, pont et verrou aux portes de la capitale du Saloum

Il est 20 heures moins le quart ce lundi, au pont Noirot, situé juste à l’entrée de Kaolack, du côté droit de la baie du fleuve Saloum, à un jet de pierre de l’île de Koyong et de la société des Salins du Sine-Saloum flanquée de ses montagnes de sel.

Passage obligé pour tous les voyageurs venus du Sud du pays et au-delà (Casamance, Gambie, Guinée-Bissau et des départements de Foundiougne, Nioro), le pont Noirot reste l’endroit le plus craint des « Ndioganes » qui l’assimilent à « Sirat », comme au jour du Jugement Dernier.

Nous y sommes à l’heure où Malick Sané, le chef du secteur de douane de Kaolack, qui dirige en même temps le bureau de douane du pont Noirot, débarque et organise ses agents pour la brigade de nuit. Dans cet endroit, est érigé un barrage qui oblige tout véhicule voulant entrer à Kaolack par le côté sud à passer à la fouille. Les agents en poste dans ce bureau sont organisés d’une manière telle qu’il n’y a aucun échappatoire pour d’éventuels fuyards. « Le pont Noirot constitue un verrou pour tous les mouvements de personnes, de moyens de transport et de marchandises diverses à l’entrée de Kaolack », souligne le chef du bureau de douane. Il ajoute que si la frontière entre le Sénégal et la Gambie est très vaste et perméable à divers endroits, Noirot reste l’endroit où tout le monde passe avant d’accéder à Kaolack et au reste du pays. C’est dire que ceux qui échappent au contrôle à Keur Ayib ou à Karang sont, le plus souvent, interceptés au pont Noirot.

Très avertis et futés l’expérience aidant, les douaniers, à la seule vue des pneus des véhicules et des amortisseurs, choisissent les autos à fouiller. Et Dieu sait que les douaniers se trompent rarement sur la cible ! Autant ils ont des astuces, autant ceux qui veulent faire passer la fraude en détiennent. Remarquez. Cette nuit-là, alors que le photographe du « Soleil » et moi suivons attentivement les explications données par le chef du secteur de Kaolack, Malick Sané, un car « Ndiaga-Ndiaye », rempli de ’’talibés’’ (disciples), leurs ’’serigne daara’’ (maîtres coraniques) et autres femmes de retour d’une ’’ziarra’’ (manifestation religieuse) dans un village qui se situe derrière Keur Madiabel, est interpellé comme tout autre véhicule de passage au poste de contrôle.

Se croyant plus malins, les ’’serigne daara’’ demandent aux enfants de se regrouper à la porte-arrière du véhicule et de s’adonner à des ’’zikrs’’ (chants religieux). M. Sané, le chef des douaniers, n’étant pas né de la dernière lune, sent là une mise en scène et ordonne la fouille du véhicule. Au finish, c’est l’équivalent de trois sacs de sucre, des pots de tomate et autres produits divers qui sont tirés des dessous des sièges.

Les ’’serigne daara’’ ont beau solliciter la clémence des douaniers, rien n’y fait. La marchandise est saisie. Il en est de même pour cette femme à qui le douanier, ayant trouvé que les parties de son corps étaient disproportionnées, a demandé de retirer le surplus de vêtements portés. Au finish, la bonne dame s’est libérée des 24 mètres de tissu qu’elle avait enfilés le long de son frêle corps.

La jeune fille, qui avait porté deux pantalons Jean tout neufs et trois tee-shirts, s’est vue délester de la marchandise frauduleuse. Mais, parfois, ce sont les douaniers qui sont floués. « C’est vrai, reconnaît l’un d’eux. Il est difficile de tout contrôler. Et en plus, on est des humains », ajoute-t-il.

Nogoye Ndiaye, « Ndiogane » pour la vie : « Si on me prend aujourd’hui, demain je repartirai... »

Elle a la cinquantaine bien sonnée, mais garde encore la ligne. Ce commerce, elle la fait depuis 20 ans, mais n’arrive pas à atteindre les cimes. Nous l’avons abordée au poste frontalier de Keur Ayib Guèye, alors qu’elle s’apprêtait à battre le macadam, pour reprendre un jargon bien populaire.

Selon elle, l’empêcher d’aller à Farafégné ou dans les ’’loumas’’ frontaliers pour s’approvisionner en marchandises frauduleuses, c’est l’envoyer à l’exutoire, elle, son mari qui ne travaille pas et ses quatre enfants qui sont à sa charge.

Elle a deux filles dont l’une est mariée, tandis que l’autre se charge de revendre les produits de ses opérations réussies. « Je n’ai aucune ressource à part ce commerce à laquelle je m’adonne depuis 20 ans.

Si les douaniers croient qu’avec cela l’on parvient à s’en sortir, ils se trompent. Cette activité nous permet juste d’assurer la dépense journalière, c’est-à-dire entre 800 et 1.000 francs Cfa. Dès fois, on nous déleste de tout, ce qui nous oblige à repartir à zéro ».

Toujours selon elle, si les douaniers la font tomber aujourd’hui, demain, à la première heure, elle repartira.

Plus qu’une passion, c’est un exercice de survie, ajoute-t-elle. Nogoye demande aux douaniers de regarder autour d’eux et de désigner une seule des « Ndioganes » qui est parvenue à se faire une fortune.

« La vérité est que si nous n’allons pas dans les ’’loumas’’ pour y acheter ces quelques kilos de sucre, ces pots de tomate et ces litres d’huile que nous revendons, nos familles et nous ne mangerons pas », assure-t-elle.



1 Commentaires

  1. Auteur

    Dagrogit

    En Août, 2014 (12:09 PM)
    Ce reportage doit faire l'objet d'une diffusion au profit des étudiants en journalisme. Il est intéressant et vivant
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