Sortie de crise des Ics et de la Sar : les fausses solutions de l'état du Sénégal

L'Office chérifien des phosphates (Ocp) ne serait pas le partenaire stratégique idéal pour les Industries chimiques du Sénégal. Les Marocains ne voudraient pas le sauvetage des Ics. Et pour cause, l'ex-fleuron de l'industrie sénégalaise constituait une sérieuse concurrente pour le premier exportateur mondial de phosphates et d'acide phosphorique.

L'Etat a porté son choix sur le Groupe Ocp pour lui céder des parts. Même si les Marocains sont un partenaire stratégique crédible, il n'en demeure pas moins que c'est le meilleur moyen de cannibaliser les Ics. Certains travailleurs des Ics craignent alors pour la survie de leur société. ‘Même si le sauvetage des Ics est notre principal cheval de bataille, il reste que la reprise de la société par le Groupe Ocp comme partenaire stratégique nous préoccupe. Les Marocains ne peuvent pas vouloir le redémarrage des Ics qui étaient, pour eux, une menace sur le marché international’, tiennent à rappeler nos sources auprès des Ics.

Ces travailleurs accusent, à tort ou à raison, Karim Wade, fils et conseiller spécial du président Wade. Le dossier marocain serait activement soutenu par ce dernier et par la Société générale de Paris dont le Groupe Ocp est client. ‘Le président de la République et son Premier ministre se sont-ils vraiment demandé les conséquences d'une telle opération pour les Ics et les travailleurs que nous sommes ?’, s'interroge-t-on à Mboro.

D'après leurs explications, le marché international de l'acide phosphorique est naturellement très tendu à cause d'une limite de l'offre par rapport à la demande mondiale. Et, cette année, l'arrêt des exportations sénégalaises d'acide phosphorique a d'autant plus limité l'offre qu'elle a provoqué une nouvelle hausse des cours au grand bonheur des Marocains, premier producteur mondial, dont les résultats pour l'exercice 2006 seront un record historique. La crise des Industries chimiques du Sénégal ne serait pas étrangère à la bonne santé des exportations chérifiennes. Couplée au relèvement des prix de l'acide à la tonne, les comptes du Groupe Ocp se portent encore mieux. Selon les chiffres, la tonne est passée de 300 à 452 dollars l'année dernière. En plus, 15 dollars supplémentaires ont été notés sur le marché international.

Les Ics, qui n'ont pas produit, n'ont pas profité du contexte international très favorable aux exportations d'acide phosphorique. Elles étaient la deuxième mondiale en termes d'exportations, en 2003, derrière le Maroc et devant la Tunisie. Et elles étaient troisième producteur d'acide phosphorique. Le Groupe Ocp est le premier exportateur mondial de phosphate sous toutes ses formes avec 28,2 % de parts de marché en 2004. Il est par ailleurs le premier exportateur mondial de phosphate brut et d'acide phosphorique avec, respectivement 38,6 % et 44,4 % de parts de marché en 2004. Il est également le troisième exportateur mondial d'engrais solides avec 9,9 % de parts de marché en 2004. La majeure partie de sa production (95 %) est livrée à l’étranger, soit sous forme de minerai, soit après transformation en acide phosphorique ou en engrais solides. Dans ces conditions, les Marocains ont réellement un intérêt économique au redémarrage des Industries chimiques du Sénégal qui aurait pour conséquence une baisse des cours de l'acide phosphorique en 2007 ? Les travailleurs des Ics voudraient, en tout cas, y voir plus clair, notamment les cadres de la société. Ils ne souhaitent pas que les Ics se marient avec le diable.

De plus, le cumul financier entre la baisse des cours (donc baisse des revenus pour le Groupe Ocp), le besoin de recapitalisation du gouffre financier des Ics et les risques de passif révélés ou cachés présentent-ils un intérêt économique viable pour le Maroc ? Ou s'agit-il d'une nouvelle Arlésienne telle la reprise des Ics par les Chinois ? La réponse coule de source. ‘Il faut que l'Etat prenne ses responsabilités en sauvant les Ics d'une manière durable.

Mais pas à n'importe quel prix’, avertissent des travailleurs. Ils poursuivent que Karim Wade semble en passe de manquer sa cible au grand dam des Ics et des travailleurs, en soutenant le dossier marocain. ‘Les Indiens ont un intérêt financier pour le redémarrage de notre société. Ils ont besoin de l'acide phosphorique pour le fonctionnement de leurs usines. Alors que le Groupe Ocp veut que les Ics crèvent, que le Sénégal cesse l'activité acide phosphorique’, soutiennent-ils. La production des Ics ne souffre pas de concurrence particulièrement menaçante. L'acide phosphorique jouit d'une garantie d'écoulement auprès des Indiens (25 % de la demande du pays et 60 % de celle du principal client, Iffco).

Selon leur calculette, les résultats du Groupe Ocp étaient en progression constante en 2005, début de la crise des Ics. Cette année a été marquée par une performance opérationnelle exceptionnelle. L'exportation de phosphate est chiffrée à plus de 7,6 millions de tonnes, soit 8,3 % de plus par rapport à 2004 (exportations de phosphate brut et d'acide phosphorique améliorées respectivement de 13,2 % et de 6,2 %) Le chiffre d'affaires 2005 était de 2,055 milliards de dollars Us, en hausse de 17,8 % par rapport à celui de l'exercice précédent. Pour dire que la crise des Ics a beaucoup profité aux Marocains.

Autre explication fournie pour étayer leur argument, si les prix augmentent sur le marché international, la consommation mondiale baisse. La conséquence pour les Marocains est qu'ils produisent moins et gagnent sur les deux tableaux, avec une augmentation de leurs marges bénéficiaires. ‘Les Ics étaient le troisième mondial de production d'acide phosphorique. Elles étaient aussi un outsider pour la régulation du marché international’, rappellent nos sources.