De mon enfance, me reviennent des images qui m’avaient fort intrigué à l’époque et que l’évolution, crois-je savoir, a démystifiées ou bannies.
Au marché Ndoumbé Diop de Diourbel, l’une des attractions du Vendredi était un personnage hydrocéphale de la taille d’un garçonnet mais au visage sillonné de rides. Un individu assis à ses côtés le présentait aux curieux comme une créature-« mbidéef mi »- habitée par des esprits supérieurs et possédant le don - -moyennant quelques piécettes- de faire exaucer des vœux, conjurer le mauvais sort. L’un après l’autre, hommes, femmes s’accroupissaient devant le personnage qui marmonnait des paroles inintelligibles avec force postillons dans les mains tendues. Les badauds ponctuaient chaque audience avec des murmures d’approbation : « Kéemaan la-c’est un miracle. » En ces temps là, toute déformation ou malformation congénitale de la boîte crânienne (dolichocéphalie, macrocéphalie, etc.) était associée à la présence intérieure d’un être du monde invisible qui donne forme et dimension à la boite crânienne. Ce qui explique, probablement, la présence en langue wolof de notions telles que : « yaa bopp -large tête », « borom Bopp -qui a une tête- » pour désigner, au propre et au figuré, les individus dont le corps est possédé par «un intrus malafaisant ». D’autres anomalies étaient également exploitées : nanisme (condition des nains), membres embryonnaires, doigts, orteils en moins ou en surnombre, pieds boots.
Je découvrais, plus tard, que ce n’était pas seulement chez nous autres Africains que ce genre de pratiques avait prospéré. En Europe d’une certaine époque, bohémiens, romanichels, tziganes tiraient profit des tares physiques de leurs contemporains dans les foires d’antan. Par la suite, des nains célèbres se sont illustrés au théâtre puis au cinéma. Il demeure qu’ hier comme aujourd’hui, obscurantisme et exploitation font un sacré bon vieux ménage, encore fécondant.
A l’opposé des créatures exhibées à des fins lucratives, j’ai connu des familles où il arrivait qu’un enfant soit enfermé dans quelque réduit de la maison dès l’annonce d’un visiteur étranger. Il s’agissait du garçon, de la fille dont le comportement risque de mettre mal à l’aise l’invité du jour. Le genre d’enfant « intenable » dont il n’est pas toujours facile de décoder les expressions et aux mouvements d’humeur dont nul ne sait de colère ou de joie. Avec le recul, je me demande si un tel enfant ne relevait point de l’autisme. L’enfant autiste n’est pas toujours affecté d’anomalie physique mais souffre d’un handicap communicationnel encore considéré, chez nous, comme une maladie honteuse entourée d’un halo d’ignorance et de préjugés. Une maladie n’est pas honteuse en soi mais elle la devient dans ce qu’on croit lire dans le regard des autres. Le temps en vient généralement à bout. Mais « Avec le temps…Tout s’en va.. »…Peurs comme préjugés.
Pour preuve, la lèpre s’affiche aujourd’hui dans la mendicité publique alors qu’il n’y a guère longtemps, les lépreux étaient mis en fausse « quarantaine » dans des lazarets, pour une vraie réclusion à perpétuité. Blennorragies, syphilis chaude-pisse, naguère considérées comme honteuses ne le sont heureusement plus, pour la santé financière des nouveaux tradipraticiens.
Entre le corps habité qui se vend et le corps possédé qu’on soustrait aux regards, l’environnement et le temps font la différence. Chez nous, l’autisme est encore à l’épreuve des mentalités, du temps et des priorités de santé publique. Il s’y ajoute que l’insuffisance des moyens de détection prénatale ou à très bas âge ainsi que l’ignorance renforcent le tabou.
De l’enfant qui, jusqu’à trois ans, ne parle pas de manière intelligible, les parents se contentent de dire : « daa yéexa wax-en retard sur la parole » ; lorsque persiste le mutisme, l’on conclut en chuchotant : « dafa am ay rab-il est possédé. Devenu adulte, il sera soumis à des séances de « ndëpp-exorcisme », ancêtre lointain du vaudou. Ce sont là des « vérités vertes et velues » comme dirait Birago. C’est pourquoi l’autisme, au Sénégal, ne bénéficie d’aucune attention particulière auprès des services hospitaliers qui le mentionnent timidement dans le vaste registre des désordres psychiatriques.
Quant à organiser un débat sur le sujet... « Veuillez repasser ! » M’a-ton prudemment répondu à Walf TV, lors de mes dernières vacances. J’attends un coup de main…
Fausse conclusion
N’eut été le souci de ne pas provoquer les tirs hors cible des presbytes, j’aurais pris plaisir à prouver que si l’on s’en tient au sens strictement communicationnel, il existe des cas d’autisme non officiellement identifiés:
- autisme moral découvert chez des alchimistes religieux ayant trop humé de fusions toxiques dieu-diable.
- autisme intellectuel chez les diplômés en « science sans conscience »
- autisme politique quand Docteur Wade prend le pouls de son peuple et confond les causes avec les effets des fièvres populaires.
Autres suggestions ?
Amadou Gueye Ngom
Critique social
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