CRÉATION D’UN NOUVEAU PARTI OU RECONQUÊTE DU PDS

Dès le début, Idrissa Seck avait fait la précision. Il privilégie sa famille politique naturelle, les femmes et les hommes qui sont au Pds, pour disposer de l’assise nécessaire à son combat. La compréhension première qu’on pouvait avoir d’une telle affirmation, c’était que Seck comptait simplement débaucher le maximum de militants possibles des rangs de son ancien parti, pour partir avec eux, fonder un nouveau parti. Et c’est cette compréhension qui fut la plus partagée. Pourtant, les déclarations de l’ancien numéro 2 de la formation libérale pouvaient avoir un autre sens. Elles pouvaient signifier qu’Idrissa Seck, exclu du Pds par la volonté d’Abdoulaye Wade, s’engageait à regrouper autour de lui la majorité des militants libéraux, pour ensuite imposer à Wade sa suprématie au sein du Pds, établissant définitivement par les faits sa revendication d’actionnaire majoritaire du parti. Peut-être Idrissa Seck voulait-il dire que de sa position d’exclu, il comptait rallier à sa cause plus de responsables et de militants libéraux qu’il n’en laisserait à Wade. Le cas échéant, celui-ci se retrouverait devant une alternative contraignante. Ou il acceptait le retour de Seck dans les rangs en étant disposé à subir sa loi ; ou alors il réagissait en autocrate (comme on l’en soupçonne fortement) en considérant que la seule majorité qui vaille au Pds, c’est celle qu’il se reconnaît lui-même. Cette deuxième option, dans le schéma envisagé ici, pourrait être la seule condition envisagée par Idrissa Seck pour consommer la rupture organique en entraînant avec lui la substance du Pds. Lorsqu’il y a quelques mois, depuis Kaolack où il était en tournée, Idrissa Seck avait émis les plus grandes réserves sur une candidature de Wade pour un second mandat, parlait-il en s’appuyant sur des informations qu’il détiendrait sur l’état de santé du président sortant ? On l’a pensé, et il pourrait en être ainsi. Il pourrait en être autrement aussi. Peut-être Seck pensait-il déjà à sa stratégie pour contraindre Wade à la retraite. Une idée qu’il a affirmée clairement ces derniers jours, en estimant déraisonnable que Wade, à son âge, veuille briguer une nouveau mandat. Il avait même ajouté qu’en bon fils, il était de son devoir d’éviter à son père le naufrage auquel l’exposait un entêtement à vouloir se présenter en février 2007. Comment Idrissa Seck pourrait-il empêcher Wade de se présenter, sinon que de l’évincer au sein de l’appareil politique devant porter cette candidature, ou à défaut, de le priver de la substance de cet appareil, à un point tel que Wade lui-même réalise les conséquences humiliantes d’une candidature perdante d’avance ? Quel sens Idrissa Seck donne-t-il à son opération de collecte de députés du Pds ? S’agit-il d’une classique démarche visant à dégarnir les rangs d’un parti adverse ? Et s’il s’agissait pour lui de parvenir à se retrouver à la table de négociation (ou de confrontation) avec Wade, en ayant derrière lui la majorité des parlementaires libéraux (et accessoirement d’autres niveaux de cadres politiques), signe de son poids dans le parti ?

Les facteurs de l’énigme

Le problème Wade - Idy, au-delà de ses apparences de compagnonnage ayant mal tourné, présente des zones d’ombres qui incitent à la plus grande prudence dans la lecture à en faire. C’est un face - à - face qui met en scène deux des personnages les plus rusés et les plus difficiles à cerner, de la société politique sénégalaise ; deux acteurs aux méthodes assez identiques sur bien des points, qui semblent partager les mêmes références stratégiques et tactiques, et les mêmes sources d’inspiration philosophiques et littéraires (et pas seulement Machiavel). Wade et Idy, le père et le fils, le maître et le disciple, c’est tout sauf ce que cela à l’air d’être ; et bien malin serait celui qui pourrait prédire aujourd’hui ce qu’ils nous réservent demain, y compris Macky Sall et Oumar Sarr. La seule chose qui semble certaine, c’est que la férocité des charges de Seck contre Wade qui est connu pour sa sensibilité ne permet pas d’envisager une opération concertée, une mise en scène comme certains ont eu à le penser. Idrissa Seck, s’engage-t-il réellement dans la création d’un nouveau parti politique ? Bizarre qu’il ait perdu huit précieux mois (de sa libération de prison à maintenant), pour attendre seulement la période limite avant de démarrer ses démarches, offrant ainsi au pouvoir une base légitime (le délai) de lui priver de récipissé d’ici les élections. Bizarre aussi, que malgré ces contraintes de délai, Seck se permet de perdre encore du temps, par un congrès dont la validité pourrait faire l’objet de contestation, et le choix d’un nom inapproprié -situation dont il n’a pas manqué de prendre conscience dès le départ. L’homme s’est révélé trop méticuleux pour commettre de telles erreurs. Plutôt, il est assez subtil pour organiser froidement l’échec de sa propre tentative de création d’un parti politique. Si l’opinion retient qu’Idrissa Seck a été privé de parti par des blocages d’Etat, son aura n’en sera que grandie et son combat pour un retour triomphal dans son parti d’origine -ce qui pourrait être le seul véritable combat qu’il mène depuis le début- n’en sera que plus légitime. Contraindre Wade à lui céder le Pds comporte deux avantages majeurs pour Seck, qui les perdrait à coup sûr dans la création d’un nouveau parti. D’abord, il hériterait d’un parti gouvernant avec un appareillage fonctionnel, prêt à servir. Ensuite, sa main - mise sur le socle du pouvoir avec lequel il rétablirait un lien d’affiliation, lui épargnerait les rigueurs d’une prise de position dans le champ de l’opposition réelle où il pourrait être une proie plus facile pour les ultras du Pds qui seraient tentés de sortir la grosse artillerie ... judiciaire pour le neutraliser. Surtout que, l’on confie dans certains cercles, qu’il existe bel et bien des éléments pouvant le renvoyer en prison avec beaucoup plus de chance de succès cette fois-ci.

Et Wade dans tout cela ?

Au moment où Seck émettait des réserves sur la candidature de Wade, celui-ci déroutait tous ceux qui le rencontraient et à qui il se confiait sur le cas Idy. « Il ne sera pas candidat contre moi. C’est du domaine de l’impensable », disait-il sur un ton tout ce qu’il y a de plus convaincant, sans en dire plus. Sur quoi se fondait-il ? Pense -t-il toujours la même chose ? Idrissa Seck a trop durement éprouvé Abdoulaye Wade depuis sa sortie de prison, pour qu’on puisse penser que la partie de poker que se livrent les deux n’est que simulation. Il pourrait s’agir, certes, d’un poker menteur ; mais, où chacun joue, truque et bluff pour gagner réellement et paumer l’autre. Wade est un homme de défi et de combat. On peut l’attendre s’engager à abattre son fils rebelle, à n’importe quel prix, même si cela devait être sa dernière bataille. Toute la question est de savoir à quel niveau se déroulera l’affrontement ; au niveau de l’Etat ou du Pds ?