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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Politique

ENTRETIEN AVEC… Ousmane Tanor Dieng, Secrétaire général du Parti socialiste : « Ce que nous combattons, c’est les idées que Wade défend et sa pratique du pouvoir »

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ENTRETIEN AVEC… Ousmane Tanor Dieng, Secrétaire général du Parti socialiste : « Ce que nous combattons, c’est les idées que Wade défend et sa pratique du pouvoir »

Au lendemain des Assises nationales qui ont démarré le 1er juin 2008, c’est un Ousmane Tanor Dieng, visiblement comblé par l’organisation «impeccable» de cet événement, qui s’est confié à nous et qui reste toujours ouvert à une participation du Président Wade à ces Assises, pour échanger avec les fils du Sénégal des maux du pays et des solutions de sortie de crise. En tant qu’opposant, lui soutient, combattre uniquement les idées que Me Wade défend et sa pratique du pouvoir.

Les Assises nationales ont démarré hier (L’entretien s’est déroulé le lundi, après la cérémonie du dimanche 1e juin 2008 : Ndlr) avec l’installation de différentes commissions. Quelles sont les premières leçons que vous tirez de ces Assises ?

L’espoir que nous placions en ces Assises a été confirmé par la qualité de la réunion, d’abord du point de vue de l’organisation qui était impeccable; c’était un véritable protocole d’Etat qui a été décliné. Pourtant, le démarrage des Assises a été réalisé dans des conditions extrêmement difficiles, avec des partis qui n’ont pas les moyens de l’Etat pour avoir les informations en amont, mais surtout tous les leviers en mains. Ensuite, il y a le grand défi de la participation. Malgré tout ce que l’Etat a pris comme mesures pour dissuader ceux qu’on avait invités, tous les pièges et difficultés que nous avons rencontrés à tous les niveaux, les pressions, les chantages sur les ambassades et les chefs religieux, que Wade a clairement, après Farba Senghor, menacés, intimidés, quelquefois corrompus, on a eu une présence massive et de qualité. Nous avons fait notre devoir : les inviter à prendre part à la manifestation en rappelant que, de ce point de vue, que ce soit les ambassades, les chefs religieux, les personnalités invitées, pour la plupart, l’ont été pour la cérémonie d’ouverture. Donc, ces gens ne peuvent être que des observateurs. Sur ce plan, nous pouvons nous en réjouir. Malgré les pressions du gouvernement, c’est extraordinaire et inédit dans notre pays et même en Afrique que les invités aient bravé l’interdit pour venir prendre part à un événement qui devrait constituer une date-repère dans l’histoire démocratique de notre pays, que les fils du pays décident de se rencontrer, de partager un diagnostic, une analyse et recherchent à reconstruire des consensus fondateurs sur les fondamentaux de la République, démocratique, fondamentaux politiques et sociaux.

Et si nous réussissons à aboutir à des conclusions, à des consensus les plus larges possibles, cela servira beaucoup à l’approfondissement de la démocratie, à l’enrichissement de la science politique africaine et au fonctionnement des démocraties. Nous avons aussi relevé le défi de la communication par rapport aux thèmes sur lesquels nous voulions communiquer. Les messages de Mansour Sy Djamil et du président Amadou Makhtar Mbow, pleins de sagesse, d’humilité et de profondeur d’esprit ont très réconfortants. Le message d’acceptation d’Amadou Makhtar Mbow était à la hauteur de l’évènement.

Et la manière dont, aussi, les Assises ont été présentées par les experts du comité ad hoc, était très utile, et pédagogique. Au sortir de la cérémonie, tout le monde sait maintenant ce que sont les Assises et ce qu’elles ne sont pas car, à ce niveau, il y avait beaucoup d’amalgames. J’ai eu l’occasion même, dans le cadre d’une tribune, de préciser un peu ce que n’étaient pas ces Assises et ce qu’elles sont. J’ai été fortement conforté par les déclarations du président Mbow, qui, en la matière, constitue une référence. Et aussi, au niveau de la participation, là aussi, à la réunion du Cnp (Comité national de pilotage), on était autour d’une cinquantaine ; maintenant, nous avons dépassé les 80 organisations socioprofessionnelles et partis qui prennent part à ces manifestations. Nous y avons des amis de l’opposition parlementaire, des élus locaux. Seul le régime de Abdoulaye Wade- pas l’Etat au sens de personnification juridique de la nation- s’est isolé au niveau national et qui est en train de l’être au niveau international, en prenant des mesures maladroites, graves, en direction des ambassades. Abdoulaye Wade et son régime, en tout cas le ministère des Affaires étrangères, devaient savoir que ce n’est pas faisable. Ce n’est pas acceptable qu’ils puissent saisir, par quelque forme que ce soit, une note verbale ou d’autres formes diplomatiques, les ambassades, pour leur indiquer que ce serait gênant pour eux qu’ils prennent part à nos Assises. Du point de vue diplomatique, c’est une bourde. Et c’est pourquoi les ambassades européennes n’en ont pas tenu compte du tout.

Pourquoi les représentations diplomatiques africaines, elles, n’ont pas jugé utile de se déplacer ? Est-ce que c’est un problème de culture démocratique des régimes africains ?

C’est lié à l’état de la démocratie en Afrique. Le fameux syndicat des chefs d’Etat africains a joué. Et à partir du moment où les ambassades ont été saisies par le ministère des Affaires étrangères, elles ont dû s’en référer à leurs pays qui leur ont dit qu’à partir du moment où leur présence risque d’avoir une conséquence sur les relations entre nos pays, cela n’en vaut pas la peine. C’est dommage ! Et là, les Européens nous ont fait encore une leçon de démocratie. Dans la fonction des ambassades, il y a celles de représentation et d’information. Or, pour que la fonction d’information et de représentation puisse être valable et efficace, il faut être renseigné, informé. Et c’est pourquoi, c’est dans la mission des ambassades de rencontrer le pouvoir, pour avoir une certaine version et une vision des choses, mais aussi l’opposition, toutes les forces politiques, pour être dûment informées et informer le pays que l’on représente. Le gouvernement sénégalais a fait une bourde diplomatique, comme il en a l’habitude. Mais, ces ambassades-là ont carrément montré qu’elles savent pourquoi elles sont là ; elles ont certainement des devoirs, mais aussi des droits. Elles se sont dit que le gouvernement a le droit de penser ce qu’il veut, mais qu’elles ont été envoyées ici pour une mission claire qu’elles entendent remplir pleinement. Et une fois de plus, c’est dommage que notre pays offre cette image d’une démocratie qui, aujourd’hui, est chancelante, qui subit de plus en plus de rides et de balafres du fait du comportement de nos représentants, après tout ce qui était dit sur l’exception sénégalaise. En tout cas, c’est nous, aujourd’hui, qui sommes en train de montrer qu’il y a encore une exception sénégalaise.

Dans la même foulée, des pressions ont été exercées sur des milieux religieux, mais certains les ont bravées. Est-ce que ça ne va pas fragiliser la cohésion dans les familles religieuses ?

Bien sûr, c’est la division des familles religieuses. Ceux qui sont venus appartiennent à ces familles religieuses et sont des enfants, des petits-enfants, des neveux. C’est dommage qu’une telle situation soit créée par le régime qui, malheureusement, sur le fond comme sur la forme, a tort. Sur le fond, c’est quand même des menaces, de l’intimidation, histoire de dire : «Aujourd’hui, on va compter ceux qui sont pour nous et ceux qui sont contre nous ; ceux qui vont aux Assises sont des gens contre nous.» Or, Abdoulaye Wade est en principe le Président de tous les Sénégalais. Hélas, il se comporte comme le Président d’une partie des Sénégalais, c’est-à-dire ceux qui ont voté pour lui, qui sont d’accord avec ses idées. Mais les Sénégalais qui ne sont pas d’accord avec ses idées, restent des Sénégalais et ont, donc, le droit de s’exprimer, de l’exprimer. Essayer, sous une forme ou sous une autre, de le leur interdire, c’est vraiment une forme de censure de l’esprit, des idées ; ce qui est vraiment dommageable. Effectivement, ce que le régime a fait, est une tentative de division des familles religieuses et c’est dangereux pour notre démocratie. Et puis globalement, c’est attentatoire à notre liberté.

On a vu les partis membres du Front Siggil Senegaal à la cérémonie du 1er juin, pratiquement s’éclipser pour laisser la place aux autres. Est-ce que c’est une option voulue, ou bien ça fait partie du protocole ?

Avant de passer à cela, j’ai entendu certains dire que les représentants des ambassades étaient venus pour eux-mêmes et pas pour représenter les ambassades. C’est vraiment une invitation qui a été adressée et l’ambassadeur peut désigner, s’il n’est pas disponible, quelqu’un pour le représenter. Et celui qui est désigné représente l’ambassadeur. Wade, qui le comprend bien, a demandé au Khalife de ne pas venir et de ne pas se faire représenter ; donc, la représentation a un intérêt. Tous les Sénégalais ont vu que les représentations ont été les plus massives possibles.

Concernant maintenant le Front Siggil Senegaal, c’est un choix. Que n’aurait-on pas dit si, au niveau du bureau des Assises, c’était les partis politiques qui y étaient ? Donc, stratégiquement, nous avons eu raison de ne pas jouer les premiers rôles, de ne pas nous mettre aux premières loges pour ce qui concerne le fonctionnement du cadre des Assises, du bureau dans lequel nous sommes membres. Au niveau du bureau des Assises, outre le président, les vice-présidents, les rapporteurs, les présidents des commissions, il y a une représentation des familles politiques et non politiques (société civile, organisations professionnelles). Cet ensemble forme un bureau, au sens large, des Assises, composé d’une trentaine de membres. Donc, dès le départ, nous avons eu l’idée de ces Assises nationales et nous avons décidé de prendre l’initiative de la mettre en forme. Alors, nous sommes allés voir les uns et les autres, recueillir leurs points de vue sur la démarche et le principe. Lorsque nous sommes tombés d’accord, nous avons élaboré des termes de référence. Même pour les termes de référence, nous avions notre propre projet qui a été amendé pour donner le projet définitif. A partir de ce moment, nous étions des membres des Assises, des parties prenantes, comme toutes les autres, à égale dignité. Donc, chaque partie du Front Siggil Senegaal est membre au même titre que les organisations socioprofessionnelles, les Ong. C’est un choix que nous avons fait pour donner un caractère national aux Assises, leur enlever tout caractère partisan ou politicien. Et a posteriori, nous nous rendons compte que nous avons eu raison de faire ce choix, car il y en a qui continuent de dire que ces Assises sont celles de l’opposition, du Front Siggil Senegaal. Après ce qui s’est passé au Méridien-Président, après la déclaration d’Amadou Makhtar Mbow, continuer à le dire, relève de la mauvaise foi.

Par rapport aux Assises nationales, à un moment donné, les gens étaient dubitatifs surtout sur les termes de référence. Le président de la République lui-même disait qu’il attendait de les voir. Puis, il y a eu vos réunions qui avaient duré, au point que l’opinion se demandait ce qui allait se passer. A l’arrivée, on a vu ce qui s’est passé au Méridien-Président. Aviez-vous douté, ou étiez-vous sûr de votre direction?

Absolument sûr. Vraiment pas de périodes de doute ! Nous avons travaillé, comme le disait Senghor, avec organisation et méthode. Nous voulions avancer, et assurer à chaque fois nos pas. Donc, sur le visage qu’allaient présenter les Assises nationales, nous voulions être totalement inattaquables sur leur caractère national, global et inclusif. Personne n’est rejeté pour sa participation éventuelle aux Assises. Celui qui veut participer, même jusqu’à présent, pourra le faire. Une des missions du bureau, c’est de continuer à aller convaincre ceux qui ne l’étaient pas, et même le gouvernement, de ce que, au niveau des Assises, nous ne parlons que des affaires de la nation au sens strict du terme. Toutes les questions qui intéressent le pays vont être débattues entre des enfants du pays, et dans ce cadre-là, tout ce qui touche le contentieux que nous politiques, avons avec le gouvernement, n’y sera pas débattu. Il faut distinguer le cadre des Assises, qui est non partisan, de celui de l’opposition que constituent le Front Siggil Senegaal et nos partis politiques, dans lesquels on continue le combat contre le régime d’Abdoulaye Wade, pour la reconquête ou la conquête du pouvoir. C’est deux lieux différents où on débat de choses différentes.

Si je comprends bien, il n’est pas question aux Assises nationales, de discuter des contentieux électoraux entre les partis politiques et le parti au pouvoir ?

Pas du tout ! Il ne s’agit pas d’en discuter au niveau des Assises. Les contentieux électoraux se discutent dans l’arène politique et relèvent de nos relations bilatérales avec le pouvoir. L’installation du bureau l’a clairement indiqué : il n’y a rien qui a été dit dans ce sens-là concernant Wade et les problèmes que, nous, nous avons avec lui. Maintenant, les problèmes, les questions, les jugements que nous avons sur le régime, nous les exprimerons dans le cadre de l’arène politique. Mais lorsqu’il s’agira de discuter au niveau des Assises nationales -ce que nous allons faire- nous diagnostiquerons la situation objectivement ; nous ferons l’état des lieux, partagerons une analyse, et chercherons à construire des consensus fondateurs, fondés sur les différents fondamentaux politiques, économiques et sociaux. Sur le plan de l’économie et des finances, nous avons pratiquement trois anciens ministres de l’Economie et des Finances, dont les deux ont déjà été experts au niveau du Fmi, et l’autre au niveau de la Banque mondiale… Et il y a pratiquement tout ce que nous avons de meilleurs en chercheurs et en universitaires ou agrégés. Dans tous les domaines de la science, nous avons des experts que personne ne pourra obliger à trahir. Le credo, c’est l’objectivité, la réflexion pure, pour aboutir à des propositions qui les engagent, dans lesquelles ils ont confiance. Voilà la manière dont nous voulons travailler et dont s’est passée l’ouverture des Assises nationales : tout le reste se passera ainsi. On ne va discuter que des problèmes qui sont, objectivement, ceux du pays.

Est-ce que la dimension que vous soulignez a été bien comprise par Me Wade qui continue à dire qu’il ne participe pas aux Assises nationales tant que vous ne le reconnaissez pas en tant que président de la République ?

Il (le Président Wade :Ndlr) n’a pas compris ou il ne dissocie pas. Pourtant, il ne doit pas établir de lien entre, d’une part les Assises, et d’autre part, notre contentieux personnel. Nous n’avons pas la même analyse que Wade, s’il dit que c’est parce que notre contentieux personnel n’est pas réglé, que ça déteint sur son comportement au niveau des Assises. Justement, ce contentieux nous regarde, mais pas la société civile, les Ong ! Sur ce contentieux, chaque Sénégalais a son point de vue : certains pensent que nous avons tort, d’autres estiment peut-être que c’est lui qui a tort. Mais ce dont nous discutons au niveau des Assises nationales, concerne des questions qui, objectivement, devraient l’intéresser, car elles intéressent tout Sénégalais.

Cependant, il peut percevoir quand même les Assises nationales, d’après les questions qui sont soulevées, liées aux crises multisectorielles que traverse la société sénégalaise, comme étant des éléments de son bilan ?

Pas forcément ! Dans notre analyse, nous ferons la part entre ce qui relève de sa gestion et ce qui n’en relève pas, et qui découle de considérations exogènes. On fera la différence. On va même peut-être pondérer, pour voir dans quel pourcentage ce qui arrive dans tel ou tel secteur, relève de la gestion. Mais, la meilleure solution aurait été d’être présent et de répondre. Quand on vous indexe, vous démontrez, argument contre argument. Et nous retenons que, sur chaque question, les décisions seront prises de manière consensuelle. Donc, ils (les gens du régime) pourront venir, discuter, et s’opposer éventuellement à la décision qui devait être prise. De ce point de vue, ils devraient être rassurés car, tous les participants ne sont pas manifestement avec nous sur le plan politique. On ne cherche même pas à savoir quelle est leur orientation politique ; on les invite à une discussion qui intéresse notre pays. Ils sont des fils du Sénégal, et on essaye, avec eux, de construire des consensus. Est-ce qu’on y arrivera ? On ne sait même pas ! Mais, même si on n’y arrive pas, on aboutira à la conclusion que nous constatons nos désaccords. Nous aurons partagé un diagnostic, essayé d’analyser ensemble, même si nous ne sommes pas arrivés à avoir le consensus le plus large, tel qu’on le voudrait. Ce travail-là vise la stabilité, la sécurité et la prospérité, le développement pacifique de notre pays. C’est totalement inoffensif. Comme le disait Mbow, les meilleurs experts du Sénégal, ce sont les Sénégalais eux-mêmes. C’est entre nous que ça se fera, pas ailleurs. L’attitude la plus intelligente, la plus sage, c’est de venir prendre part aux discussions, donner son point de vue, participer à la construction d’un consensus. Donc, la vraie question, ce n’est pas tellement de savoir ce qu’on va faire, y compris le gouvernement, des conclusions, mais l’important, c’est ce que ça va apporter au Sénégal et aux Sénégalais. L’essentiel est d’aboutir à des conclusions sur la nature du régime, sur les grandes orientations économiques, agricoles et culturelles qu’il faut, -pas forcément des mesures-, sur le mode de prise de décisions dans notre pays, sur les règles du jeu et la manière de les respecter. En effet, le problème fondamental est lié au mode de prise de décisions dans le régime actuel. Il faut qu’il y ait un ensemble de règles sur lesquelles se mettre d’accord, et que personne ne peut violer. Par exemple, aujourd’hui, on peut arriver à des consensus qui feront que le statut qu’a la République dans notre pays, le caractère républicain de l’Etat soient inviolables. On peut parfaitement aboutir au fait que, par exemple, le nombre de mandats une fois fixé, devienne inviolable ; ou bien qu’on ait des garde-fous concernant les dates électorales, une fois qu’elles sont fixées. Que le droit de marche soit inviolable, une fois la demande introduite… Ce ne sont que des exemples, mais il y a des questions pareilles sur lesquelles il devrait être possible d’avoir un bloc démocratique inviolable et immuable. Ce n’est pas facile, mais on peut l’avoir sur le plan des libertés et des valeurs, sur les plans économique, social (…). Alors, il y a vraiment un vrai débat sur des concepts qui sont essentiels aujourd’hui, pour l’éclairage de notre vie de tous les jours.

Aujourd’hui que les commissions sont installées, quelle est la seconde étape décisive par rapport aux Assises nationales ?

En réalité, les Assises ont déjà commencé. La discussion sur la mise en place des commissions en fait déjà partie. Un consensus sur les personnalités qui vont conduire les Assises, sur le bureau de ces Assises, le nombre et le contenu des commissions, sur le schéma à utiliser, un peu sur le chronogramme et les dates, ont fait l’objet de discussions. Ce qu’on a fait l’autre soir (dimanche 1e juin 2008 : Ndlr), c’est installer solennellement le bureau des Assises. Alors la phase qui va suivre, consistera à donner un contenu au caractère national et populaire de nos Assises. Et pour lui donner un contenu, il faudra qu’au niveau du Sénégal des profondeurs, qu’on s’approprie l’idée des Assises. Qu’on voit les problèmes auxquels sont confrontés les Sénégalais, au niveau de Oréfondé ou quelque part vers Diakhao et, en fonction de leurs réalités, savoir quelles réponses ils veulent à ces problèmes. Il faut, dans tous les différents domaines, nous remettre en cause, nous interroger sur la manière dont notre pays a fonctionné, et prendre tout cela en compte pour alimenter la réflexion au niveau des commissions thématiques où, on recense et analyse les informations que nous avons reçues. Puis, on voit en quoi les éléments que nous avons reçus, établissent des consensus éventuels. Les discussions se feront avec des experts qui ont l’habitude d’analyser des données, de commenter, d’orienter, de construire des accords autour des données abruptes qu’ils ont. Voilà un peu le travail qui sera fait, probablement, au niveau des 35 départements du Sénégal, où nous aurons des équipes constituées des parties prenantes, nos camarades, de nos amis, des Sénégalais qui n’appartiennent pas au Front Siggil Senegaal. Même ces derniers seront interrogés. On va aider à faire en sorte que, au niveau de l’ordre global national, les Sénégalais participent.

Au niveau du Net, il y a aussi un forum qui va être installé, pour permettre aux Sénégalais de la diaspora de donner leurs points de vue, de dire comment ils voient le Sénégal depuis l’Extérieur. Ce regard extérieur est aussi d’une grande utilité. Comment sur le plan des libertés, de la démocratie, de l’économie, sur le plan social, des valeurs, les Sénégalais de l’Extérieur voient l’émergence d’un Sénégal nouveau. Ces éléments venant de la diaspora, les débats sur Internet, les consultations citoyennes vont maintenant atterrir au niveau des commissions thématiques, qui vont essayer de les malaxer, d’en discuter, de leur donner une certaine cohérence et une certaine unité. Et peut-être que là déjà, on élaborera des consensus que le Rapporteur général pourra centraliser, pour les traduire en recommandations qui iront en plénière. Donc, c’est un peu sous ce schéma-là que nous envisageons d’agir.

Venons-en plus strictement à votre rôle de secrétaire général du Parti socialiste : on remarque de plus en plus des attaques virulentes et ciblées à votre endroit. Comment vous les prenez et les comprenez ?

Je trouve ça normal. Peut-être que ce n’est pas moi en tant que tel qui est visé, mais le Parti socialiste que je dirige, qui est de plus en plus visible, qui a eu la capacité de se renouveler, d’avoir aujourd’hui une jeunesse engagée, percutante. Il a pu attirer des jeunes appartenant au secteur privé, qui sont dans les affaires et qui ont choisi de venir nous accompagner. Il a pu attirer des universitaires et des chercheurs. Donc, un parti qui vit, qui se renouvelle, que l’on avait donné pour mort et qui devait disparaître après 2000. On se rend compte que nous sommes un vieux parti,que Senghor a bien implanté sur l’ensemble du Sénégal, et que Abdou Diouf a essayé de conforter. Nous avons pu, après la débâcle de 2000, animer nos vieux réseaux. Ce qui est particulier à ce parti-là, c’est que si vous allez au fond de n’importe quel village, vous verrez des personnes qui ont 80 ans, qui sont à un âge très avancé, qui sont l’équivalent du Conseil consultatif des sages, et qui vous disent : «Même vous, si vous quittez le parti, moi vous m’y laissez. Tant que je verrai quelqu’un qui défend les couleurs du parti, je serai à côté de lui. Si il y a deux, qui restent dans le parti, je serai le deuxième ; s’il n’y en a qu’un, ce sera moi.» C’est une réalité. Donc moi, j’essaye de fédérer tout ça, mais j’ai du matériau. Je ne suis pas dans un parti qui est né dans des conditions floues. Nous avons un background historique dont nous profitons. Ce que nous souhaitons fondamentalement, c’est laisser un Parti socialiste vivant, et préparer les autres, qui sont beaucoup plus jeunes que nous, qui ont 30 ans, 40 ans, 50 ans… Et nous préparons toutes ces générations-là, jusqu’aux mouvements des élèves et étudiants, qui ont 18-20 ans. Senghor est parti sans que le parti subisse une grande secousse ; Abdou Diouf n’est plus là, mais le parti continue de fonctionner ; il est vivant. Je veux faire en sorte que, si demain je ne suis plus à la tête du parti, qu’on continue de parler du Parti socialiste, et qu’il se renforce progressivement. D’après ce que je vois aux niveaux des jeunes, des cadres, des universitaires-chercheurs, du Conseil consultatif des sages, je suis fier du parti.

Après la tenue des Assises nationales, vous étiez au stade au match des Lions. Vous avez eu une standing ovation comme le rapporte la presse. A cet instant-là, qu’est- ce qui s’est passé en vous ?

Je suis réconforté. Comme le disait Hegel, «le temps est vérité». Je suis persuadé que, personnellement, je n’ai pas changé. A la différence que je ne suis plus second, mais maintenant à la tête du parti. J’ai plus de liberté de prendre des initiatives, de faire connaître mon vrai visage, d’essayer d’entretenir avec mes camarades, avec les populations, des rapports de vérité. Et je continue à mieux comprendre qu’il faut en politique beaucoup de persévérance, de volonté et d’endurance. Les hommes politiques se différencient au niveau de leur endurance, de leur capacité à recevoir des coups et à en donner, si c’est nécessaire. Sous ce rapport, il y a des choses qu’on apprend dans notre vie de tous les jours. Ça me réconforte, m’encourage, et il faut continuer à aller de l’avant, même si tout ça est fragile. Je ne suis pas dupe : je sais très bien que d’ici quelques temps, ça peut être l’inverse. Pour le moment, comme ça se passe ainsi, souhaitons que cela continue. Je comprends aujourd’hui que c’est indispensable dans la vie d’un homme politique d’avoir une expérience du pouvoir, de l’Etat, de son fonctionnement. J’ai eu la chance d’être formé pour ça ; j’ai fait des études de droit, en relations internationales. D’ailleurs, j’ai été très heureux de voir mes professeurs, Madani Sy et Ibrahima Fall. Le premier est le père du droit constitutionnel sénégalais ; le second qui est le premier spécialiste des relations internationales, a été ministre des Affaires étrangères. J’ai fait le droit constitutionnel avec Madani Sy et le droit international avec Ibrahima Fall.

Je vois les choses comme elles sont ; j’essaie d’en tirer le meilleur enseignement, et une fois de plus, c’est bien d’avoir eu la chance de servir l’Etat à ce niveau-là, pendant le temps que j’ai pu y être, pratiquement plus d’un quart de siècle, une trentaine d’années, mais aussi, c’était important que j’aie une vie d’opposant. Il faut que les gens sachent que l’opposition forme aussi. En huit ans, j’ai appris sur les hommes ce que je n’ai pas appris en trente ans auprès de Senghor ou de Diouf. Je n’imaginais pas, en ce temps-là, la complexité de la nature humaine, sa capacité de s’adapter à des situations, de contorsion, de reniement. Manifestement, il y a beaucoup de choses que j’ai faites lorsque j’étais aux affaires - j’étais encore plus jeune, avec moins d’expérience- dans les mêmes conditions, je ne les aurais pas faites de la même manière. En définitive, c’est dur de perdre le pouvoir, mais ce n’est pas mauvais de vivre une situation en tant qu’opposant et d’en tirer, avec humilité, l’expérience que, pour ma part, j’ai essayé d’en tirer. Chaque jour qui passe, je vois un peu ce j’ai fait, ce que me disent les gens, en bien ou en mal ; j’en tire des informations. Ceux qui me critiquent, contrairement à ce qu’ils peuvent penser, ne me font pas beaucoup de mal. Au contraire, j’essaie de voir si dans ce que m’a dit quelqu’un, il y a quelque chose de vrai (…). J’essaie de faire l’effort, par honnêteté intellectuelle, de reconnaître mes limites et de voir les erreurs ou les fautes que j’ai pu commettre pour essayer de les corriger. En un mot, j’essaie de me bonifier jour après jour, en tenant compte des critiques que l’on me fait, des observations, des remarques que mes amis et mes adversaires me font. En m’attaquant aussi, cela participe à m’amener à avoir la capacité d’encaisser et de recevoir des coups. Puis, cela me permet savoir que la politique n’est pas un long fleuve tranquille.

Aujourd’hui, quand on regarde le comportement du Front Siggil Senegaal, il y a un argument récurrent de vos adversaires : vous ne pouvez pas vous entendre à cause d’un problème de leadership, alors que, par le passé, il y avait un leader, Me Wade, autour duquel les gens se retrouvaient au niveau de l’opposition. Cette question du leadership se pose-t-elle ou non ?

D’abord, pour qui analyse la situation passée, il n’y a jamais eu l’unité autour d’un homme dans l’opposition. Si en 2000, Moustapha Niasse et Djibo Kâ ne s’étaient pas présentés, s’il y avait eu unité autour de Wade, je ne suis pas sûr qu’au premier tour, Diouf n’aurait pas été élu président. Ce qui s’est passé, c’est que les autres candidats -il y en avait plusieurs d’ailleurs au niveau de l’opposition, ont donné à Wade le matelas électoral qu’il lui fallait au deuxième tour pour gagner. Maintenant, ils continuent à dire que même sans Djibo et Moustapha Niasse, ils auraient gagné. C’est faux, car ils savent très bien que c’est Niasse et les camarades qui étaient les Bathily et Dansokho qui ont aidé à gagner. De ce côté-là, on enjolive parce que seule la victoire est belle. Wade a gagné, et puis on reconstitue l’Histoire après coup. Mais ça ne s’est pas passé ainsi. Il n’y avait pas quelqu’un sur lequel tout le monde était d’accord. Il y avait ceux qui étaient autour d’Abdoulaye Wade, qui sont allés le prendre à Paris où il était resté pendant 11 ans. J’étais à un niveau où je savais que très peu croyaient en une victoire possible de Wade. Et beaucoup de ceux qui font du bruit maintenant et s’activent autour de lui, ne croyaient pas qu’il allait gagner ; ils étaient en train de se projeter dans une victoire possible du Parti socialiste. Pour ma part, j’ai été surpris de ce qui est arrivé. Ensuite, nous sommes dans un système démocratique où, à l’élection présidentielle, il y a deux tours. Ce qui me semble cohérent et logique, c’est que pendant le premier tour, on élimine ; et au deuxième, on choisit. Si les choses s’étaient passées normalement, aux dernières élections, il y aurait eu deux tours. Wade n’a pas gagné au premier tour. Voilà pourquoi, je ne peux lui reconnaître aucune légitimité. Maintenant, le rôle du Conseil constitutionnel est de confirmer, d’indiquer par un arrêt celui qui a gagné les élections. Ça, c’est la légalité. Mais la manière dont il l’a gagnée, la légitimité, ça engage chaque personne prise individuellement. J’ai le droit de dire que la manière dont Abdoulaye Wade a gagné les élections, n’est pas transparente, démocratique.

L’observateur qui étudie les évolutions au niveau des partis et des coalitions qu’il y a eues jusqu’au Front Siggil Senegaal, se rend compte de votre proximité avec Abdoulaye Bathily. C’est un regard d’un observateur averti. L’un étant dans le pouvoir et l’autre à l’opposition, nous pouvions avoir des préjugés, mais le fait de nous rencontrer, de mieux nous connaître, peut faire disparaître les tabous et les préjugés. Ces échanges ont fait que nous nous comprenons, que nous nous apprécions mieux, parce que nous nous connaissons mieux. C’est pourquoi, c’est important que les gens aient l’habitude de discuter ; sinon, c’est vite fait, on a des préjugés sur les gens. Je sais qu’il y a beaucoup de gens qui pensaient que ceux qui étaient au pouvoir ne savaient rien faire, parce que nous n’étions pas sortis des mêmes écoles qu’eux, nous n’avions pas fait les mêmes études. Ce n’est pas juste de juger les gens comme ça. Partout, dans tous les partis, il y a des gens qui sont bons et d’autres qui le sont moins. Ce qui est utile, ce qui est bon et intéressant, c’est que nous puissions mieux nous connaître, avoir l’habitude de discuter ensemble, partager des diagnostics, des analyses et des conclusions, nous apprécier réciproquement. C’est pourquoi, justement, il aurait été intéressant, une fois de plus, que le pouvoir, le régime de Wade, vienne aux Assises, pour qu’ils comprennent que nous ne leur en voulons pas en tant que tel. Il n’y aura pas d’animosité personnelle à l’égard d’Abdoulaye Wade. Ce que nous combattons, c’est les idées qu’il défend et la pratique qu’il a du pouvoir, cette façon qu’il a, de considérer qu’il est le Président d’une partie des Sénégalais, de ses amis, de son camp. Nous sommes des Sénégalais, et à partir du moment où le Conseil constitutionnel l’a confirmé comme président de la République, il est, de fait, le Président de tous. Maintenant, ce qu’il ne peut pas avoir, c’est nous obliger à reconnaître sa légitimité, qu’il est élu dans des conditions qui sont normales. Et c’est le contentieux, et ça ne changera pas.

De ces Assises nationales, vous êtes très satisfait, mais avez-vous tout de même un regret ?

(…) Nous avons fait un pas dans la bonne direction, mais il faut conforter ce pas. Le plus important est devant. Il est de faire ensemble un diagnostic, de donner aux Assises un caractère véritablement national, de lui donner un caractère véritablement inclusif, de construire des consensus fondateurs, et d’avoir des recommandations qui aboutiront à un consensus le plus large possible. L’espoir qui est placé dans ces Assises, nous ne devons pas le décevoir. C’est pourquoi, il faut que nous prenions conscience de la responsabilité qui, désormais, pèse sur nos épaules, et continuer à travailler avec humilité, lucidité, et tolérance, en nous respectant les uns les autres, en n’ayant pas de suspicion à l’égard des uns ou des autres. Donc, travailler, dans la cohésion au niveau des principales forces, que sont celles de la société civile, des organisations socioprofessionnelles et partis politiques. Depuis que les choses ont commencé, j’apprends beaucoup de choses...



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