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Politique

Mamadou MBODJI : Ce qu’ils endurent avec Wade, les Sénégalais ne l’auraient jamais supporté de Diouf

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Mamadou MBODJI : Ce qu’ils endurent avec Wade, les Sénégalais ne l’auraient jamais supporté de Diouf

Il faut, tout d’abord, reconnaître qu’il y a une logique qui est souvent générée par la gestion ou  l’exercice du pouvoir : dès que l’on y est, on ne songe plus qu’à y rester et le plus longtemps possible et avec le temps, on finit par s’identifier à ce pouvoir. Comme exemples, Bongo, Obian Guéma, Mugabé, Mobutu Eyadéma, Moubarak, Biya, etc.

Pourquoi on trouve chez beaucoup d’hommes politiques, les chefs d’Etat notamment, une propension à «tuer» ou à humilier adversaires ou même proches ?
Identification (ici au sens lacanien du terme), c’est-à-dire que le pouvoir finit par déterminer celui qui le détient et là, dans l’exercice du pouvoir politique, cela ne peut que faire des dégâts considérables, car l’autorité, qui va avec ce pouvoir politique, comme toute autre autorité, suppose une relation à autrui, puisqu’ il n’y a pas d’autorité «en soi» : - «Ou l’autorité est l’expression d’une volonté de puissance, d’un désir de domination, constituant, pour celui qui l’exerce, un facteur de satisfaction narcissique, faisant souvent de celui sur qui elle s’exerce un objet dépouillé d’existence propre» ; -«Ou, à l’extrême, l’exercice de l’autorité peut prendre une forme pathologique ; on parlera alors de la passion du pouvoir, conséquence d’une «hypertrophie du Moi», selon la psychanalyse.»
«On retrouve cette jouissance à humilier, à punir ou à détruire dans l’«autoritarisme» des paranoïaques et des mégalomanes.»
 Mais de manière plus prosaïque, ce besoin ancré de détruire politiquement et parfois humainement, des collaborateurs au fil de sa carrière politique et durant l’exercice sans partage du pouvoir, traduit en général une volonté de modeler le destin dans le sens de le forcer, en essayant d’écarter -quitte à les détruire-, tous ceux qui constituent ou seraient susceptibles de constituer un obstacle à la réalisation d’un objectif précis qui peut être simplement le souci de se maintenir au pouvoir ou celui de mettre sur orbite quelqu’un qui ne dispose pas d’atouts suffisants, mais que l’on aimerait, malgré tout, imposer. De tels procédés nous semblent relever ou se rapprocher du mode de fonctionnement de la pensée magique qui sommeille en chaque être humain, c’est-à-dire la croyance -appuyée sur une croyance collective- en la possibilité d’agir sur les êtres et de pouvoir infléchir le cours des choses et des évènements, sur lesquels on n’aurait pu agir autrement, en recourant à des procédés magico-religieux, afin d’en modifier le cours. L’anthropologie nous apprend que «ce phénomène relève, en partie, de l’insécurité profonde qui subsiste en chacun de nous».
Dans la vie politique, précisément dans la politique politicienne, on retrouve beaucoup ce mode de fonctionnement qui consiste, par des procédés manipulatoires, à instrumentaliser les textes, la loi, la justice, l’autorité, les centres de décision, les leaders d’opinions, la presse, certains responsables religieux, certains cercles d’influence, etc. pour bien ancrer un leadership et exercer un pouvoir de contrôle et de domination sur TOUT, comme si la simple autorité naturelle du leader politique ne saurait guère suffire à emporter l’adhésion de ses  collaborateurs qui, à la longue, ne s’exécutent que face à l’autorité formelle attachée à son statut !


Mais, ce n’est pas toujours le cas pour certains hommes d’Etat et dans certaines démocraties…
Il faut des êtres exceptionnels au destin exceptionnel comme Mandela, ATT (Amadou Toumani Touré, président du Mali : Ndlr), Senghor -dans une moindre mesure- et bien d’autres qui ont compris, intellectuellement et émotionnellement, les effets pervers et dangereux que pourrait générer un exercice solitaire et durable du pouvoir politique, et se sont arrangés pour ne pas y rester trop longtemps.
On sait aussi qu’une tradition démocratique bien ancrée et l’esprit de civisme et de patriotisme de certaines démocraties occidentales constituent un sérieux rempart contre de tels penchants mégalomaniaques et monarchiques qui sous-tendent ces actes cannibales dignes d’un serial killer politique, que l’on retrouve dans nos démocraties banania comme mode institutionnalisé de gouvernance politique.


Au Sénégal, les mises à mort politiques semblent prendre quand même une dimension assez dramatique depuis l’avènement de Wade à la magistrature suprême. Pourquoi ?
Abdoulaye Wade nous a habitués, depuis toujours, dans l’opposition comme depuis son accession à la tête de l’Etat, à couper sans ménagement la tête de la plupart de ses principaux collaborateurs, à ponctionner la substance vitale de certains autres collaborateurs et soutiens patentés, tout en leur enlevant tout ce qui faisait leur valeur et leur dignité d’homme, les réduisant ainsi, définitivement à néant, et à se débarrasser de la manière la plus méprisante et la plus humiliante d’autres compatriotes, dont d’éminents universitaires, journalistes et magistrats, connus pour leur sérieux, leurs compétences dans leur domaine respectifs, leur dignité et leur patriotisme et qu’il avait, pourtant, appelé à venir travailler avec lui pour le pays. Et nul ne trouve jamais rien à redire ! On encaisse, la presse en fait ses choux gras, les populations s’en délectent, les grands-places et les marchés s’en saisissent et tout le pays se shoote avec, comme stupéfiants pour oublier momentanément, les pesanteurs et tous les effets quotidiens de la crise économique et sociale générale.
Pendant huit ans, Wade a humilié, injurié, dégommé, démissionné et envoyé paître des collaborateurs, ministres, Premier ministre, conseiller et autres, avec une telle facilité, tant dans les faits que dans la manière ! Les deux éminences jusqu’à présent épargnées, ce sont Abdoulaye Baldé et Pape Samba Mboup ! Si ce dernier n’a pas d’autre ambition que celle de le servir là où il est et tant qu’il est là, qu’en sera-t-il du sort de Baldé bientôt, dans le plan de liquidation par Wade de tous ceux qui, dans son entourage direct, osent réfléchir et agir ouvertement, s’exprimer et tenir naturellement à apposer leur marque pour compter parmi ceux qui veulent demain, au premier plan, bénéficier de l’ère de l’après-Wade ?   
Wade, en attendant, se permet toutes sortes de libertés et d’incongruités avec les Sénégalais et en particulier avec ses proches collaborateurs qui ont du plomb dans les tripes et, à chaque fois, ça passe comme lettre à la poste. Les gens encaissent toujours, avec une rare et étonnante indulgence à son égard ! Idy s’est rebiffé de manière assez rocambolesque au point de «se tirer une balle au pied» ! Pour l’instant, il semble hiberner en attendant des jours meilleurs !


Vous avez suivi le feuilleton de la mise à mort politique du président de l’Assemblée nationale. Quelle réflexion, cela vous inspire ?
La mise à mort de Macky Sall en est presque à son achèvement (l’entretien s’est déroulé avant la destitution suivie de la démission de Macky Sall : Ndlr). Et nombre de Sénégalais suivent toutes ces péripéties comme un feuilleton à la télé. Ils ne semblent, hélas, pas mesurer –au delà de la personne de Macky Sall- ce que toutes ces basses manoeuvres et cette politique politicienne comportent comme éléments explosifs : recul de la démocratie, agression des fondements et des institutions de la République, risque de faire sauter progressivement, dans le mental de nos concitoyens, le consensus général sur lequel tout repose : l’autorité que l’on confère à la loi, celle que l’on reconnaît au chef de l’Etat, la crédibilité de l’institution parlementaire, ses membres inféodés à l’Exécutif, etc. Sans compter le fait que, quand on met tant d’énergie dans toutes ces manoeuvres et intrigues, on ne s’occupe pas de l’essentiel : toutes les attentes prioritaires du Sénégal et des Sénégalais !
 Les Sénégalais n’auraient jamais supporté cela de Diouf ; ils n’auraient jamais accepté le tiers d’une telle conduite de la part de Abdou Diouf, et ne le supporteraient d’aucun autre Président à venir ! Mais, en laissant faire Wade, ce n’est pas le président de la République qu’ils laissent faire, mais le patriarche, Gorgui, Pabi, Mâme boy ! Et Wade en est conscient et en a usé et abusé ! Et cela n’a pas empêché les Sénégalais de le reconduire à la tête de l’Etat.


Mais comment percevez-vous cette sorte d’apathie des Sénégalais face à ces «tueries politiques» orchestrées par Me Wade ?
Wade nous est apparu comme étant à la fois, le cœur, les poumons, le cerveau, le foie, les  reins et le pancréas du système qu’il a mis en place, depuis huit ans ! Si l’on y rajoute son populisme, sa gouaille et sa bouille de personne très âgée, il colle à un personnage de l’inconscient collectif ! Et quand bien même on le trouverait foncièrement antipathique, on aurait tendance à le laisser faire !


Et comme cela se passe dans les familles et les communautés, les seules personnes de la sphère sociale qui osent l’affronter et contester avec beaucoup de virulence ses points de vue, choix et décisions, ce sont «les petits-enfants», fussent-ils d’une autre famille ou sensibilité politique. Talla Sylla, Abdoulaye Wilane, Souleymane Jules Diop, Barthélemy Diaz, Modou Diagne Fada (à un moment donné), Cheikh Bamba Dièye, etc., ne se sont pas gênés vis-à-vis de lui, même si certains d’entre eux l’ont chèrement payé!
De par sa personnalité iconoclaste, Wade s’est installé et incrusté dans le mental de ses concitoyens, au point que, haï ou aimé, admiré ou snobé, il n’a laissé personne indifférent dans ce pays ! Un peu à l’image du papy qui fait le décor, tétanise ou anime l’atmosphère ; le papy auquel on s’habitue et dont on s’accommode tant bien que mal des initiatives malheureuses, des frasques, égoïsmes, maladresses, violences et erreurs, tout en pestant de temps en temps quand la coupe est pleine ! Et lui, comme d’habitude, n’en a cure !
Les populations passent, malheureusement, tout à Wade ! Et ce n’est pas par hasard qu’en faisant son profil, je l’avais qualifié de «populiste» et de dernier grand «démagogue» africain –au vrai sens du terme-, qui a toujours su flatter les fibres et les passions des foules ; foules aujourd’hui devenues sourdes et plus contestataires, plus véhémentes et plus décidées que jamais à prendre en mains leur destin jusqu’à présent abandonné aux mains des politiques et, depuis 2000, à Wade.
Un éminent sociologue de chez nous disait de lui que «ce type fascine par son manque de formalisme, de diplomatie et parfois de courtoisie». Il n’a pas d’état d’âme et rien ne l’arrête. Abdoulaye Wade a longtemps souffert de l’arbitraire, de la violence sans mesure et de toute absence de liberté dans le passé ; il s’est battu et a vaillamment su faire face, pendant des années, à l’autoritarisme et à l’absence d’esprit d’ouverture du pouvoir socialiste de l’époque.
Lui, Wade, aujourd’hui au pouvoir, était donc censé être le plus habilité à faire preuve d’esprit d’ouverture, de souplesse et d’intelligence face à toute opposition à sa politique et à son régime. Etant donné que personne, à ses yeux, n’est suffisamment intelligent ou à même de piger ce qu’il veut vraiment, Monsieur le Président a passé son temps à chercher l’être parfait, à faire et à défaire des carrières. Mais lorsqu’il disait qu’il ne voyait personne de suffisamment apte à lui succéder, Abdoulaye Wade a-t-il oublié que sans les Sénégalais, il ne serait pas là, et que ce ne sont pas des anges qui l’ont élu en 2000, mais ses concitoyens ? 
Il y a, chez Wade, une logique cannibalique dans son mode de gestion maltraitante des serviteurs de l’Etat. C’est une forme de violence à l’état pur, qu’il s’autorise, sous le couvert de son statut. Il s’agit d’une violence d’Etat, puisque l’Etat cautionne, légitime et «s’exécute».
Wade a toujours agi et régné en véritable monarque, décidant de la vie et de la mort politiques de tous ceux qui, autour de lui, avaient/ont de l’étoffe et pouvaient/pourraient lui faire de l’ombre ou gêner ses plans et je ne pense pas qu’il changera maintenant que tout le monde autour de lui rivalise d’ardeur pour le convaincre que c’est un demi dieu sur la terre Sénégal et peut-être bientôt sur le continent africain et pourquoi pas sur la tête du monde.
 



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