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Politique

PARUTION DEMAIN DE WADE, L’AVOCAT ET LE DIABLE DE SOULEYMANE JULES DIOP : SCANDALES D’UNE VIE

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PARUTION DEMAIN DE WADE, L’AVOCAT ET LE DIABLE DE SOULEYMANE JULES DIOP : SCANDALES D’UNE VIE

Longtemps annoncé, le livre de Souleymane Jules Diop sur Me Abdoulaye Wade va paraître demain aux éditions L’Harmattan. Dans cet ouvrage, qui a nécessité dix ans d’investigations, l’auteur tente de faire cerner aux lecteurs le personnage atypique qu’est Abdoulaye Wade. Tout en l’agrémentant de plusieurs révélations aussi bien sur sa vie privée, que dans ses responsabilités étatiques. Et ceux qui partagent et/ou qui ont eu à traverser un moment ou un autre sa vie, ont eu droit aussi à une analyse de Souleymane Jules Diop. Et le résultat produit par l’auteur est loin de plaider en faveur de Wade.

ORIGINES

Les enfants de Abdoulaye Wade porteront les noms évocateurs d’origine princière. Karim, le Mansa Waly, du nom d’un sage mandingue, devenu roi du Sine, et Aïda Sindiely, sa mère, aux origines royales mandingues, à qui on a ajouté le prénom de Rose, mère de Viviane. Quand Abdou Diouf l’humilie en plein Conseil des ministres, juste avant son départ du gouvernement en 1998, en lui disant qu’il en avait «marre du chantage», il rétorquera, haut perché sur une tribune élevée : «Je suis de sang royal, on ne m’humilie pas.» Il s’en fout que l’histoire soit vraie.

Dans un communiqué du Conseil des ministres, le 9 décembre 2006, les Sénégalais ont découvert, à côté de leurs héroïnes traditionnelles Yacine Boubou, Jembot Mbodj, Aline Sitoé Diatta, une certaine Mbagne Wade, sortie d’on ne sait où. Après tout, Senghor, le pionnier qui a ouvert la voie, s’est inventé des ancêtres portugais. Abdou Diouf dit descendre du Prophète Mohamed (PSL). Pourquoi pas lui ? L’essentiel est qu’on le croie, et on le croit. Toute sa vie durant, il entretiendra ce mystère. Sur sa naissance, ses origines, sa famille. Il n’en parle jamais ou peu. Il ne dément pas ceux qui disent qu’il est né deux ou trois années avant son âge civil. Les légendes vivent avec les mythes. Il en sera ainsi.

UN HEROS, LE CAPITAINE GUYNEMER

(…) Dans la ville qui a vu Saint-Exupéry prendre les airs pour l’Amérique à bord de son monoplace, il découvrira un autre héros. Héros des livres et de la réalité, le capitaine Guynemer est un héros français de la première guerre mondiale dont son père, ancien tirailleur, lui a déjà parlé. À lui tout seul, Guynemer descendait plusieurs avions ennemis, jusqu’à six par jour. Il s’est rendu célèbre en forçant un pilote allemand à atterrir derrière les lignes ennemies. Un homme dont l’armée française ne voulait pas, à cause de son corps frêle. Le jeune Abdoulaye Wade voyage déjà dans les avions, et il en tirera un goût immodéré pour «les voyages». Il confesse lui-même que, quand il prend l’avion, il a les mêmes sensations que, jeune garçon, il avait, en lisant les histoires de son héros Guynemer. Il transposera aussi sa technique de combat au champ politique. Surprendre l’adversaire, lui porter un coup décisif au plus près avec un minimum de munitions, et se soustraire à la riposte. Cet homme est son vrai héros d’enfance.

BESANÇON

(…) L’ancien instituteur de l’école urbaine de garçons de Thiès a déjà perdu deux années, sans vraiment rien réussir de concret. La préparation pour les mathématiques supérieures a été un échec, l’inscription à la Sorbonne ne s’est pas mieux passée. Besançon sonne à la porte. Un second souffle, une seconde vie.

La ville doit son nom à Jules César. Une boucle formée par les méandres du Doubs, et fermée par une colline, que le roi romain trouvait imprenable. César y a mené de nombreuses batailles contre de nombreuses tribus helvètes et germaines, et occupa Vesontio, place forte du peuple celte des Séquanes, qui deviendra Besançon. Sa position géographique en fait un carrefour international, à cheval entre la France, la Suisse et l’Italie. Belfort, un des sites historiques, a été un haut lieu de bataille de la deuxième guerre où sont tombés de nombreux tirailleurs africains. C’est là que, plus tard, Viviane Vert et Abdoulaye Wade s’uniront pour la vie.

La ville de Besançon ne doit rien à Paris. Elle s’agrandit à perte de vue, et la vie s’organise à partir de la place Saint-Pierre. Le centre-ville, très animé, est investi la journée par la bourgeoisie locale, qui fréquente les cafés et les bars, pour y boire l’absinthe. Un public diversifié fréquente les théâtres, sur les pentes de Battante, avec ses maisons closes. Le cirque Kursaal est devenu une grande salle de bal et de spectacle. Les populations, sans doute pour oublier les horreurs de la guerre, s’adonnent aux pique-niques, à la pêche, à la bicyclette et à l’équitation…

A 25 ans passés, Abdoulaye Wade doit entamer ses études universitaires, au moment où la plupart des Français en sortent avec un doctorat. Il n’a aucun mal à poursuivre, tambour battant, plusieurs inscriptions, à la Faculté des Lettres et à la Faculté des Sciences juridiques et économiques de Besançon. Entre les voyages, les activités militantes qui commencent, avec les contacts restés à Paris, il obtient, au bout de trois années, un certificat d’études supérieures de psychologie générale, un certificat d’études supérieures de morale et de sociologie, et, en 1955, alors qu’il est âgé de 29 ans, il obtient sa licence de Droit à la Faculté de Droit de Besançon. En revenant un jour sur ces années passées à la Faculté de Droit, Wade dira à quelques anciens camarades, massés pour le saluer, qu’il a fait là ses «armes politiques», et que les «idées politiques et scientifiques» qu’il y a reçues ont fait la synthèse de son «libéralisme». (…)

C’est durant le mémorable hiver de 1955 que l’étudiant Wade choisit ce qui sera sa voie pour tout le restant de sa vie, le métier d’avocat. C’est en décembre de cette année qu’il se présente au cabinet d’un avocat qu’il n’a eu de cesse de remercier, maître Jacques Carré, avocat honoraire au barreau de Besançon, après avoir prêté serment le 22 décembre 1955 devant la première chambre civile de la Cour d’Appel de Besançon.

VIVIANE ET SON PREMIER MARIAGE

Au Sénégal, les Wade avaient comme voisins la famille Niane. Pénéré, sœur de Kayaafi, poursuit des études dans la ville de Besançon, pour devenir sage-femme. Elle est pour beaucoup dans le choix de Wade, semble-t-il, de poursuivre ses études à Besançon. Elle s’est liée d’amitié avec une femme d’une gentillesse et d’une curiosité remarquables, dont le père a été coopérant et possède beaucoup de biens au Sénégal, Viviane Madeleine Vert. Viviane est mariée à André, un riche homme d’affaires franc-comtois venu du Nord-Pas-de-Calais. Elle est fille d’un professeur de l’Éducation nationale et ancien coopérant, Marcel Vert, et de Rose Foltet, née dans un petit village de 300 habitants, Trépot, où elle élèvera ses deux enfants dans une ambiance empreinte d’une générosité sans pareil, Viviane et Roger.

De l’expérience de son père au Sénégal, Viviane tire un grand respect pour les peuples africains, et une très grande sensibilité à la cause indépendantiste des colonies françaises. Mais c’est le café du village, que tenaient ses parents, qui lui a peut-être plus appris le commerce et la pratique des hommes. Elle est ouverte et drôle.

Viviane a connu Pénéré, ancienne institutrice à Kaolack, quand elle occupait encore sa chambre universitaire à la cité Canot. Son cousin, Alain Verdenet, se rappelle de la jeune blonde qui venait chercher son petit frère Roger les jours de sortie, quand il était interne au lycée Victor-Hugo. Il se rappelle les sifflets au passage de cette femme d’un blond naturel aux yeux bleus avec lesquels on l’accueillait quand elle traversait la cour de l’école, tellement elle était belle.

WADE PRESIDENT

Mais là, il ne rêve pas assis, il est président de la République. La procession de Wade, ce 20 mars, est cathartique. Il veut maintenir la flamme, le mouvement, pour que rien ne s’éteigne, jusqu’à ce qu’il s’installe. Et pour que le peuple en soit avisé, il est allé voir son marabout, et surtout, chose symbolique pour le peuple, et pour tous, la mère de Diouf, «sa tante», en ces moments de grande victoire. Ce n’est pas qu’il ne veut pas piétiner son adversaire. Il l’humiliera quand il en aura le temps. Non, l’ennemi est tombé, pas encore mort, ce n’est pas le moment de se partager sa dépouille. Il faut rassurer ses alliés, ils n’ont pas besoin de faire un coup de force pour le maintenir au pouvoir. Ils auront tout ce qu’ils veulent pour partir. Wade poussera la galanterie jusqu’à demander au vaincu de le représenter au sommet de la Francophonie au Caire, lors de leur séance de travail, qu’il a demandée et obtenue le 23 mars 2000.

Wade est un seigneur. Il veut être traité en seigneur. Il a déjà fait savoir que sa prestation de serment doit se dérouler à l’africaine, dans un grand stade, en présence du maximum de chefs d’État possible. Diouf n’a pas eu droit à un tel faste. Sa cérémonie s’est passée un midi, en présence de quelques personnalités de la République et de Senghor, qui a lu une petite lettre d’une page, avant un discours retentissant du juge Kéba Mbaye, qui tranchait d’avec les assurances du président partant. Wade a mérité sa victoire, il veut sa cérémonie à la hauteur de ce qu’il est, «le premier opposant légal en Afrique». Diouf a par la suite déclaré toute sa honte. C’est en son nom que les nombreux chefs d’État, souvent d’anciens dictateurs ou militaires recyclés à la politique, sont venus à cette cérémonie. Wade en a profité pour les sermonner comme un père, en leur disant que «l’ère des coups d’État et de la gestion solitaire du pouvoir est terminée».

REBELLION EN CASAMANCE

Le président de la République a engagé de nombreux rebelles au retour dans leurs villages, avec le soutien de centaines de volontaires jeunes. Une grande politique d’intéressement leur a permis d’avoir directement des micro-financements pour des projets maraîchers et de boulangerie. Cette politique de l’argent n’a pas fait que des heureux. Elle a plutôt suscité des rivalités internes, jusqu’au règlement de comptes qui a coûté la vie au député Oumar Lamine Badji le 31 décembre 2006.

Krumah Sané, numéro deux du Mfdc, exige toujours le paiement d’un reliquat de dix millions que lui devrait le Président Wade. Ce dernier lui aurait demandé de l’aider à gagner dans le département de Bignona, aux élections de 1998, contre la somme de 20 millions de francs Cfa. Abdoulaye Wade a, selon Krumah Sané, payé une partie, et refusé de payer le reste.

«Quand il a envoyé le général Fall, il n’est pas venu directement, il savait que je n’allais pas le recevoir. Il a demandé à quelqu’un de venir me voir. Je lui ai dit de dire à son patron de me payer mon argent. Il n’a pas honoré sa parole. C’était en 1998, en janvier. J’ai dit qu’il me doit cette dette, que je n’ai jamais réclamée, parce que je l’attendais. Quand il a été élu, il m’a fait saisir par Ousmane Aïdara. Ils m’ont téléphoné, et je le lui ai rappelé. Dites à ce vieux que je ne suis pas Sénégalais, je suis Casamançais. Dites-lui que s’il ne me paie pas mon argent, je ne le rencontrerai pas jusqu’à la fin de son mandat… Abdoulaye Wade se dit qu’il est le plus intelligent de tous les Sénégalais. Il a commencé à me menacer, en disant que, lui, il a l’État maintenant, il est capable de m’écraser. Je lui ai dit que ce n’est pas mon problème. Je suis bien ancré dans la terre de mes ancêtres. Lui mourra un jour, ou sera chassé du pouvoir. Le général a dit qu’il est prêt à venir, et que lui paiera cet argent de sa propre poche, parce qu’il n’ose pas parler de ça au président»1, raconte le secrétaire général adjoint du Mfdc, réfugié en France.

Selon Krumah Sané, le gouvernement sénégalais a aussi racheté la maison de Landing Sané à Bignona, pour la famille d’Ansoumana Badji, qui recevrait 2 millions de francs par mois, payés par le contribuable sénégalais. Des parents et proches des combattants du Mfdc ont été reçus le 17 novembre 2006, dirigés par un chérif de Casamance. Le gouvernement leur a promis 60 millions de francs Cfa, 5 véhicules et des vélomoteurs, restés, ont-ils précisé, entre les mains du gouverneur de Ziguinchor. (…)

L’abbé Diamacoune laisse à sa mort un mouvement divisé. Les germes de la division sont nés à Banjul. Le gouvernement sénégalais, malgré son opposition à des négociations à l’étranger, accepte que Banjul abrite les assises du Mfdc. Le 10 août 2001, au bout de quatre jours de négociations, l’abbé Diamacoune est convoqué au palais de la République par le Président Yayah Jammeh. Il presse instamment l’abbé Diamacoune de signer un communiqué préparé en fait par le gouvernement du Sénégal, dans lequel il accepte la restructuration du mouvement, et cède le poste de secrétaire général à Jean-Marie François Biagui. Malgré ses réticences, Diamacoune cède aux menaces de Banjul. La seule concession qu’il obtiendra, pour éviter l’humiliation, c’est d’être président, et non président d’honneur. La proposition ne déplaît pas à Sidy Badji. Le fondateur de l’aile armée du Mfdc, à 85 ans, dénonce les décisions unilatérales de l’abbé Diamacoune, et son manque de collégialité.

À son retour à Ziguinchor, l’abbé Diamacoune conteste la décision et, quelques jours plus tard, signe un «décret» limogeant Jean-Marie François Biagui, et remettant dans ses fonctions de secrétaire général adjoint et responsable de l’aile extérieure Nkrumah Sané. «On m’a présenté un communiqué, on m’a dit : Il faut que tu signes. Ils m’ont forcé à la le faire, je n’avais pas le choix»2, précise plus tard Diamacoune.

La fracture est désormais claire, entre un ordre nouveau, sensible aux propositions de Dakar et de ses largesses et un ordre ancien conduit par Diamacoune, dont va hériter Nkrumah Sané. Sidy Badji, qui reproche à Diamacoune de ne pas lui avoir présenté le document qu’il lui demande depuis vingt ans sur la territorialité de la Casamance, est favorable à la nouvelle ligne. (…)

Les combattants, ceux de Kassolole notamment, refuseront de reconnaître les conclusions issues des négociations menées par Ansoumana Badji, le nouveau secrétaire général, accusé de recevoir tous les mois 2 millions de francs Cfa de Dakar. C’est lui, et non Diamacoune, qui signe le communiqué conjoint, dans lequel le Mfdc s’engage clairement à renoncer à la lutte armée et à mener un combat politique. (...)

LA PARTITION IDRISSA SECK

La scène se passe à l’Assemblée nationale, dans la salle de la commission des Finances, le 13 juin 2002. Après s’être enfermé un peu plus tôt avec le président de l’Assemblée nationale, Youssou Diagne, le ministre d’État Idrissa Seck sort, suivi de ses trois imposants gardes du corps, pour une séance de briefing avec les membres du groupe parlementaire libéral. De sa voix rauque, il ordonne la fermeture des portes. «Que la sécurité ne laisse personne entrer, et tant pis pour les députés retardataires !». Dans la salle, tous les téléphones portables doivent rester éteints, sauf le sien, «parce que le président de la République peut m’appeler à tout moment». Quand la porte s’ouvre entre-temps, l’homme est agacé : «J’ai dit que cette porte doit rester fermée.» Puis, Youssou Diagne, la voix enrouée, enveloppée dans une grande émotion, développe, dans un wolof limpide : «Le ministre d’Etat, directeur de cabinet du président de la République, a un message à vous transmettre.»

Idrissa Seck reprend, d’un ton docte : «Voilà, Monsieur Youssou Diagne va démissionner tout à l’heure, il sera remplacé par Pape Diop», et de dérouler, l’un après l’autre, les noms des vice-présidents. Les députés présents en sont sortis abasourdis et frustrés de ne pas avoir à discuter, de ne pas prendre la parole. Ils lui en voudront toujours. Il était pourtant en service commandé, et ce n’est pas lui qui a écrit le scénario de cette série noire. La veille, maître Abdoulaye Wade avait déjà «arrangé les choses», en recevant le président de l’Assemblée nationale.

Youssou Diagne était déjà près de la porte de sortie. Mais, il a pensé que Wade lui accorderait un dernier sursis. Après l’avoir entretenu de la gravité de la situation, le président lui dit, au moment de le quitter : «Je ne sais pas ce que tu as décidé de faire, mais moi, à ta place, je démissionnerais.» Youssou Diagne a la bouche grande ouverte. Il marmonne quelques petits mots : «Si vous pensez que c’est ce qu’il y a de mieux, je vais le faire…» Maître Wade ne le laisse pas terminer. Au bas de l’escalier, il avait déjà fait poster une équipe de la télévision nationale. «Si tu comptes démissionner, je peux t’appeler la télévision.» Et c’est ce qui est fait. L’homme, en une heure, participe, impuissant, à sa mise à mort, sous le regard de millions de Sénégalais postés devant leur télévision.

Malgré tout, dans l’entendement des libéraux, Idrissa Seck sera le maître d’œuvre de cette randonnée macabre, et personne d’autre. Pendant trois années, le numéro deux du Pds a expérimenté et vécu cette position ingrate de second du président Abdoulaye Wade. Cette confusion ne déplaisait pas au chef de l’État. Elle lui permettait de se défausser sur son numéro deux, de s’en servir comme armure. Quand Lamine Bâ quitte le gouvernement, c’est par la faute d’Idrissa Seck ; Aminata Tall, par la faute d’Idrissa Seck : «Même quand vous trouvez chez vous, votre femme fâchée, vous dites que c’est Idrissa Seck.» (…)

LE DIGNE «FILS» DE WADE

Idrissa Seck a le physique d’un sprinter que son caractère ne dément pas. Il pense trop vite, décide trop vite, court trop vite aux yeux de nombre de ses camarades. Et puisque, chez lui, le temps est précieux et compté, chaque face-à-face avec un responsable du Pds se termine par une frustration. «Mais, il vous arrête en plein développement, en vous disant que votre temps est fini.» Ça a été son plus grand problème, adapter son parti et son tas de courtisans aux rigueurs de la machine étatique. Tout le parti, et même maître Abdoulaye Wade. Habitué à prolonger ses audiences comme il voulait, il se verra ramener tout le temps à l’ordre par son directeur de cabinet. Wade commentait, avec un brin de philosophie : «Idrissa veut imposer dans notre pays ses méthodes américaines.»

Chez Idrissa Seck, la foi intérieure, très profonde, prend des dehors arrogants pour certains. Il n’a jamais changé sur ce point. Son éducation religieuse, inculquée dès le bas âge, prend le dessus sur tout… Enfin, presque tout. C’est cette foi en un destin qui le rend si sûr de son avenir. Il n’en a jamais douté. Toujours, il a cru qu’il serait un homme politique connu, longtemps, il a pensé qu’il serait président de la République. Le bureau qu’il a occupé pendant deux années à la présidence de la République, il en a rêvé enfant. Quand il était jeune au lycée Saint-Gabriel, il avait pour seule distraction d’imiter le Président Léopold Sédar Senghor. Un jour, ses amis rigolent, se moquent, quand il finit un de ses discours. Il a 15 ans. Le ton ferme, il leur dit : «Faites attention, vous parlez au futur président de la République du Sénégal.»

Ils pouvaient le croire, le garçon était doué. Premier dans toutes les disciplines, même en éducation physique, ses camarades lui demandaient, agacés : «Est-ce que tu veux dire que tu ne te trompes jamais ?» Seck a toujours été sûr de lui. C’est sans doute sa plus grande qualité, son plus grand défaut. Le jour de la publication des résultats du brevet, il emprunte une moto et prend le vent. Quand ses camarades lui demandent s’il n’attend pas, il leur dit : «S’il finit, demandez-lui qui est le premier du centre.» C’est tout ce qui l’intéressait, et c’est ce qu’il dira, à sa conférence de presse qui a précédé son arrestation en juillet 2005 : «Le numéro deux ne m’a jamais intéressé. Dans ma vie, autant que je me rappelle, j’ai toujours cherché à être le numéro un, c’est la seule place qui mérite d’être convoitée.» C’est cette qualité dans sa vie personnelle qui en a fait un mauvais footballeur. Il a toujours voulu être meneur, ce que ses talents athlétiques lui permettaient. Mais un meneur qui ne faisait jamais la passe. C’est ce qui amène son entraîneur, le célèbre Joe Diop, à se passer de ses services, au Thiès étudiants club. Devenu remplaçant, il boude l’équipe et abandonne. Il ne veut pas être derrière. (…)

Wade est admiratif face à ce jeune qui parle comme Senghor, avec la maîtrise du wolof et du Coran en plus. Il ne doute pas de son éloquence, de son intelligence. Il n’en a jamais douté, et, dans les moments les plus difficiles où il crache son venin sur tout le monde, c’est ce qu’il dit à ses collaborateurs : «Il est le meilleur d’entre vous.» Mais, il sait aussi que le bonhomme, qu’il dit toujours avoir «créé» – c’est cela aussi sa fierté – file en grandes enjambées, vers la seule chose qu’il a toujours convoitée, le pouvoir. Wade en est impressionné, puis choqué. Lui, a parfois douté, et a parfois pensé que la chose devenait impossible. Il l’a même avoué un jour : «Je ne serai jamais président de la République, je le sais.» Idrissa Seck, non. Il a toujours pensé que, dans sa trajectoire, le pouvoir le croiserait, avec ses fastes.

LES FARDEAUX SUR SA CONSCIENCE

De tous les enfants morts, un seul croit en une seconde vie, dans laquelle il demandera des comptes au «père». Il s’appelle Idrissa Seck. Le président semble sans moyens contre lui. Il a tout essayé. Il lui fait mal en souffrant dans sa chair. Comme s’il se sentait obligé de le faire. Idrissa Seck répond, comme s’il se sentait obligé de sauver sa peau. C’est ce qu’il dit à tout le monde, «de tous ceux qui peuvent se réclamer de moi», de son sang, «il est sans doute le meilleur pour me succéder». Mais, ils sont comme forcés par le destin à cette lutte à mort. Les deux hommes se ressemblent trop, et c’est peut-être là qu’il faut aussi rechercher la raison de leur mésentente. La même obsession du pouvoir, la même ambiguïté, le même goût prononcé pour l’argent.

Durant ses sept années passées à la tête du Sénégal, c’est la peur qui l’a fait vibrer. La peur du suffrage, la peur de la défaite, celle de devoir faire face à son propre passé, ont justifié toutes les formes de combinaison, toutes les formes d’alliance, et sans doute certaines pratiques des plus abjectes et des plus avilissantes. Partout, il a essayé d’éteindre le feu, réprimer les dissidences, comme s’il ne voulait entendre que sa voix, de peur qu’une d’elles, sortie de la foule nombreuse de victimes, lui rappelle un passé sinistre. Son règne aura été coûteux en scandales et en pertes de vies humaines.

Il ne faudrait pas non plus, sous la clameur générale, oublier les grands mérites de cet homme exceptionnel. Il n’a jamais eu d’adversaire capable d’aller aussi loin que lui dans la grandeur comme dans la décadence. C’est ce qui le fera regretter, et de tous ceux qui prétendent aujourd’hui à sa succession, personne ne sera comme lui. Pas en bien, encore moins en mal. Le Sénégal ne se remettra jamais de cet homme infini. Il est sûr d’avoir trouvé les artifices pour se défaire de ses opposants encombrants qui ne savent pas se mettre à sa hauteur, et poursuivre encore son mariage avec le pouvoir, jusqu’à la mort, qu’il essaie de surmonter. Il lui restera ce combat ultime dont il ne se relèvera jamais. (…)

Ce face-à-face, cet homme à la foi douteuse préfère le laisser au hasard d’une rencontre avec Dieu. Il aura toujours des prétextes, et il croit encore que le destin jouera en sa faveur. Nous trouvons là encore les réponses à ses fréquentations assidues de la grande maison de Dieu, La Mecque, comme s’il avait une dernière chose à se faire pardonner. De tous ses actes, le plus inacceptable et le plus controversé aura sans doute été la libération et l’amnistie des meurtriers de maître Babacar Sèye. C’est un fardeau qu’il porte difficilement sur la conscience, comme d’autres combats qu’il a été obligé de livrer, à sa décharge. Les explosifs, les incendies, les lynchages, les insultes, les traquenards, tombent sur sa conscience comme des fleurs fanées dans un jardin secret.

Un homme heureux ? Non. Un homme accompli ? Oui. Ce n’est pas lui qui a quitté le bonheur, c’est le bonheur qui l’a quitté, pourrait-il dire, en riant jaune. Les soubresauts de la vie lui ont arraché les personnes les plus chères, les convictions les plus attachées, pour en faire un athée de la politique. Dans la vie, il n’aura eu que des partenaires alliés au combat ou des mercenaires à sa solde. C’est ce qui le rend secret. Il ne s’ouvre jamais entièrement, de peur que les autres ne partent avec quelque petit secret, et le lui retournent un jour comme une arme secrète. Rares sont les gens qui pourront dire un jour : «Je l’ai connu.» On le connaît en partie, jamais entièrement. On l’aime en partie, jamais entièrement.

Quand il se retourne aujourd’hui, il ne voit plus personne. Il a tué, sur son chemin, tous ses vrais héritiers, et les a remplacés, petit à petit, par des fils adoptifs et des marionnettes de salon. Ceux qui sont revenus ne le sont que parce qu’ils gardaient quelque chose avec eux. Il ne croit pas en eux, comme il ne croit pas en une survie du wadisme après Wade. C’est son œuvre, et elle périra avec lui. Ses derniers rêves se sont transformés en des cauchemars répétés, des révélations qui ne l’honorent pas, et qui l’ont encore replongé dans sa grotte intérieure, où il va attendre de voir son corps mourir, après son âme.

Rester au pouvoir est une nécessité de la vie, mais les révélations des assassins de maître Babacar Sèye et celles d’Idrissa Seck l’ont déjà tué. Il a maigri, perdu son appétit et son humour décapant qui faisait oublier son visage fantomatique. Il en a perdu l’envie de vivre, et partout, il crie, comme un désespéré : «Pourquoi il m’a enregistré, pourquoi ?»

Au seuil d’une vie orageuse, il devra faire un bilan, celui de sa propre conscience et de ses propres actes. Il sait que personne ne sera là pour le défendre, justifier ses petits et ses grands péchés. Mais, de toutes les façons, qui n’aura jamais péché, pour oser lui jeter la pierre ? Personne, maître, personne.

1. Entretien avec l’auteur le 10 décembre 2006.

2. Entretien avec l’auteur le 14 décembre 2006.



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