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Politique

PENDA MBOW SUR LA DEBACLE DES OPPOSANTS A LA PRESIDENTIELLE"C’est la faiblesse du mouvement social et des forces politiques qui expliquent la défaite de l’opposition"

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PENDA MBOW SUR LA DEBACLE DES OPPOSANTS A LA PRESIDENTIELLE"C’est la faiblesse du mouvement social et des forces politiques qui expliquent la défaite de l’opposition"
Dans l’entretien qu’elle nous a accordé, hier, l’historienne Penda Mbow, membre de la Société civile, analyse le scrutin présidentiel du 25 février dernier et tente d’expliquer les raisons de la victoire de Me Wade. Non sans tirer à boulets rouges sur l’opposition qui, selon elle, a une « très grande part de responsabilité » dans sa défaite, entre autres questions. Source : Le Populaire

Quelle appréciation faites-vous des résultats du scrutin présidentiel du 25 février dernier ?

Cette élection présidentielle a vécu. On est tous d’accord qu’elle s’est déroulée dans la paix, parce qu’il y a eu beaucoup de craintes lors des semaines qui ont précédé l’élection. Les résultats sont sortis. Quelle que soit la position que l’on puisse avoir, ces résultats ont été plus ou moins acceptés, même si personne ne peut dire qu’il y a eu fraude pour le moment. Tout le monde sait que c’est contraire à ce qu’on attendait, parce qu’on a vu un nombre relativement élevé de candidats et, comme dans toutes les démocraties du monde l’élection se gagne après un deuxième tour, on ne plébiscite presque plus dans les démocraties modernes. Mais, les choses étant ce qu’elles sont, moi, j’essaie d’analyser et de comprendre le phénomène d’un point de vue rationnel.

Donc, qu’est-ce qui explique, selon vous, la victoire de Me Wade ?

La première conclusion que j’ai eu à tirer, c’est qu’il sera extrêmement difficile de moderniser la vie politique sénégalaise, tant qu’il y aura Me Wade. Pourquoi ? Parce qu’il appartient à une autre génération et il a eu à tisser des rapports tout à fait particuliers avec le peuple sénégalais. Des rapports fondés sur l’affectif, l’émotivité, la manipulation. Et cela a beaucoup contribué à son implantation, de mon point de vue, dans l’espace public sénégalais. Et on pensait qu’après 2000, ces rapports étaient dépassés. Mais, on s’est rendu compte qu’il y a un retour de cette relation basée sur l’affectif. Ça, je pense qu’il sera extrêmement difficile de le contourner. Il y a une très bonne connaissance de la société sénégalaise par Me Wade et ceux qui l’entourent. Comment aborder la société sénégalaise ? Je crois que l’élection s’est beaucoup jouée à ce niveau-là. Parce que lorsqu’on interroge des personnes qui ont eu à voter pour lui, on leur demande : pourquoi avez-vous voté pour Me Wade ? On entend chez le peuple : « Je l’aime, c’est tout », ou bien « j’ai pitié de lui », ou bien « il est d’un certain âge, on ne peut pas le défaire comme ça ». C’est-à-dire la fonction affective a beaucoup joué. Là, c’est le raisonnement du petit peuple. En dehors de la refonte totale du fichier électoral, je crois que les politiques n’ont pas été très vigilants pour analyser les chiffres qui ont été donnés. Nous sommes une population de 10 millions d’habitants. Sur les 10 millions d’habitants, on peut dire que plus de 50% de la population n’ont pas encore atteint l’âge du vote. Est-ce que tous ceux qui ont atteint l’âge du vote se sont inscrits et dans quelles conditions ils se sont inscrits ? Si on analyse, à mon avis, la démographie sénégalaise, est-ce qu’on peut arriver à un résultat de 05 millions d’inscrits ? Je pense que ça, il faut faire une analyse très fine pour aboutir à ce résultat-là. Ce que l’opposition ou les politiques de façon générale n’ont pas eu le temps de faire. Donc, le fichier électoral, les 05 millions d’inscrits, on devait questionner ces 05 millions. Moi-même j’ai eu à attirer l’attention un jour sur ces 05 millions, en m’interrogeant. Je crois qu’on n’a pas tellement accordé d’importance à cela.

Est-ce à dire que vous doutez de ce chiffre-là avancé par le ministère de l’Intérieur ?

Je me posais beaucoup de questions sur la probabilité de 05 millions d’inscrits sur le fichier électoral. Quand on veut faire un audit, c’est extrêmement difficile d’auditer dans les conditions où on était, avec ces nouvelles cartes et cette affaire de biométrie. Et tout le monde sait que quand on prend un nom, il suffit de changer une petite lettre pour que ça soit accepté par l’ordinateur. Les doublons, est-ce qu’on a pu faire un audit des 05 millions d’inscrits ? Est-ce qu’au niveau de l’opposition, il y avait suffisamment de compétences pour faire cet audit ? Et est-ce qu’il était possible de faire le même type d’audit que celui qui a été fait en 2000 ? Je ne le crois pas. Je pense donc que sur le fichier électoral, il y a un certain nombre de paramètres que l’on n’a pas maîtrisés. Et on a accepté d’aller dans cette élection, à partir de ce fichier électoral. Il y a eu également l’utilisation de l’argent au niveau des couches intermédiaires et de plusieurs personnalités. Je pense qu’il y a là un phénomène qu’il faudra analyser pour ce qui concerne ces élections.

Avez-vous des preuves que le régime libéral a remis de l’argent à des gens ?

Il est extrêmement difficile de donner des preuves. Mais, ce qui est sûr et certain, ce sont les journaux qui l’ont dit. Par exemple, lorsqu’un journal écrit qu’à telle personnalité, on a remis une voiture et 50 millions. Est-ce vrai ou faux ? Mais personne n’a démenti. La seule chose que je peux dire, il y a quelqu’un qui a répondu : « On ne m’a pas donné 01 milliard, mais j’ai reçu 100 millions ». C’est déjà beaucoup. Et ça, c’est un exemple. Mais, ce que je trouve extraordinaire, c’est que le système qui a été bâti, c’est un système de grands électeurs sur des racines féodales. Ça, je pense que c’est le premier enseignement crédible qu’il faut tirer de ces élections. 2000 a été fait par des citoyens, qui ont pris leur autonomie en quelque sorte et qui ont voté en tant que citoyens, mais 2007, ce sont de grands électeurs qui renvoient à une société féodale. Donc, les grands électeurs maraboutiques, les grands électeurs de la société traditionnelle, par exemple telle collectivité, les ressortissants de tel groupe, ont été actionnés. Et je crois qu’il faudra bien accorder une attention à une phrase qui a été sortie par le président de la République, il y a quelques années. Lorsque les gens de la Ld/Mpt, je crois, ont été les derniers à sortir. Wade avait répondu : « Ils sortent, ils vont faire alliance. Mais, moi aussi, j’ai mes mathématiques ». C’est à cette même période qu’on a vu Wade, le futur candidat de 2007, le président de la République, commencer à actionner des groupes comme la Collectivité léboue par exemple, comme les forces traditionnelles, les marabouts. Donc, il est ressorti du cadre d’une citoyenneté émergente pour se reconnecter aux différentes communautés de base. C’est un recul par rapport à la démocratie, par rapport à 2000. Et ce que j’ai trouvé extraordinaire, c’est ce rôle que jouent les forces féodales dans le système démocratique sénégalais. Or, pour aller vers une démocratie moderne, il faut, de mon point de vue, remettre en question les cadres anciens, les structures anciennes d’une société qui ne correspondent pas à cette démocratie en construction, pour aller vers la libération, l’émancipation de l’individu en tant que tel.

Quelle est la part de responsabilité des opposants dans leur défaite ? Ne pensez-vous qu’il leur a manqué un leader charismatique à même de pouvoir concurrencer Wade ?

Moi, je pense que, dans une démocratie moderne, le leader charismatique, tel qu’il a existé dans la période pré-indépendance, doit être dépassé. C’est mon point de vue. Parce qu’on n’aura plus besoin d’avoir des leaders charismatiques pour diriger le mouvement politique, mais on aura surtout besoin de groupes, de cadres organisés, pour prendre en charge les préoccupations des populations. C’est pourquoi je me dis qu’il faut complètement tourner l’ère Wade pour aller vers une construction démocratique beaucoup plus moderne. Mais, l’opposition a une très grande part de responsabilité dans ce qui s’est passé. C’est que les forces politiques de façon globale sont très faibles dans ce pays. Et il y a un taux d’encadrement des populations très limité du point de vue politique. Vous savez, avant l’Alternance, le harcèlement politique se faisait à partir des organisations de masse qui étaient fortement contrôlées par les partis de gauche. C’était le mouvement syndical. Le mouvement syndical est très faible aujourd’hui. C’étaient les organisations estudiantines, les organisations de femmes, les groupes de masses de façon globale, qui étaient infiltrés ou actionnés ou manipulés par les partis de gauche. Mais, cela n’existe plus. Aujourd’hui, le mouvement syndical ne joue plus son rôle.

Sur quoi vous fondez-vous pour dire cela ?

Par exemple, on s’en est rendu compte avec la crise des Ics, avec la crise scolaire. Parce que ce mouvement syndical n’arrive plus de mon point de vue à prendre en charge ou défendre le pouvoir d’achat des Sénégalais. Et depuis le décès d’Iba Ndiaye Diadji, j’ai du mal à trouver aujourd’hui un leader syndical qui prend en charge véritablement les problèmes du vécu quotidien des Sénégalais. Donc, ça c’est un premier problème, c’est-à-dire la faiblesse des partis de gauche qui n’arrivent plus à actionner ou instrumentaliser le mouvement social de façon globale. Le deuxième élément, c’est qu’il y a eu beaucoup de faits, de choses qui se sont passées au Sénégal, mais l’opposition n’a pas eu de réaction véritable. Par exemple, quand on a prorogé le mandat des députés, si toute l’opposition était sortie de l’Assemblée nationale, ça aurait peut-être créé un contexte de renégociation du processus électoral, du calendrier électoral, et beaucoup d’autres choses. Mais, l’opposition ne l’a pas fait. Il y a eu la suppression du quart bloquant, l’opposition n’a pas réagi. On a eu la question des médias d’Etat, je trouve que l’opposition a été très molle pour ce qui concerne même l’initiation d’actions pour remettre en question ce monopole sur les médias d’Etat. Je ne parle même pas de la nécessité de créer des commissions d’enquête au niveau de l’Assemblée nationale sur un certain nombre de scandales qu’on a connus dans le pays.

Donc, vous pensez que c’est une opposition de salon.

C’est une opposition de salon qui s’est d’abord définie comme étant une opposition républicaine. Et le seul changement, c’est quand la Ld/Mpt est sortie du gouvernement qu’on a eu un discours musclé. Mais, le Ps s’est toujours confiné dans une sorte d’opposition de salon. Ce sont les quelques éléments comme Abdoulaye Wilane qu’on entend de temps en temps. Et lorsque la Société civile elle-même initie des marches, on ne voit jamais l’opposition, par exemple, participer à ces marches. C’est la faiblesse à la fois du mouvement social et des forces politiques qui expliquent dans une grande mesure, aujourd’hui, la défaite de cette opposition.

Comment expliquez-vous le fait qu’il n’y ait pas eu de candidature féminine à l’élection présidentielle, alors que dans des pays comme le Libéria les femmes jouent les premiers rôles ?

Vous savez, le Libéria est un pays sorti d’une longue crise. Au Sénégal, nous sommes en train de sortir. Le conservatisme est encore ambiant, il faut l’admettre. Les femmes elles-mêmes n’ont pas encore d’organisations très fortes pour pouvoir porter cette candidature. Mais, je crois que ce qui a aussi limité la candidature de la femme, c’est qu’elles n’ont pas les moyens qu’ont les hommes aujourd’hui de contrôle des appareils, de contrôle des ressources et de contrôle tout simplement du discours. Les choses sont en train de changer, il faut l’admettre. Je regrette qu’il n’y ait pas eu de femme pour porter les idéaux des femmes au niveau de ce débat, qui était quand même un débat majeur. Mais, il est évident que cela va changer. Par contre, ce qu’il faut noter, c’est que les femmes ont eu un rôle amélioré au cours de cette campagne électorale, en tant que directrice de campagne, en tant que porte-parole. Et je suis convaincu que lors de la prochaine élection présidentielle, il y aura au moins une candidature féminine.

Ce sera la vôtre ?

Que ce soit moi ou quelqu’une d’autre, ce n’est pas ça qui est vraiment important. Ce qui est important, c’est que je sais qu’il y a des femmes qualifiées et capables de porter cette candidature. Si je peux porter cette candidature pour faire avancer la femme sénégalaise, je vous assure que je n’hésiterai pas une seule seconde par rapport à cela.

Que vous inspire le projet de loi sur la parité ?

Tout le monde salue la mise en œuvre de cette loi sur la parité. Et j’espère qu’elle sera votée bientôt à l’Assemblée nationale et se reflétera au niveau de la prochaine Assemblée et dans toutes les institutions du pays. Parce que le fait d’impliquer les femmes dans la gestion des affaires de l’Etat, ce n’est pas seulement un effet de mode, mais c’est un bond qualitatif que fera notre société. Mais, je voudrais attirer l’attention de mes sœurs sur un fait. Il ne faudrait pas aussi que cette loi sur la parité soit utilisée pour l’affaiblissement des appareils politiques qui existent. Je crois que les partis politiques sont suffisamment faibles dans notre pays, il ne faudrait pas davantage qu’il y ait une désorganisation des peu de structures politiques qui existent. Il ne faudrait pas que les femmes soient utilisées, instrumentalisées, pour affaiblir les appareils qui existent. Donc, il faut que le débat soit mené à l’intérieur des partis. Mais, il ne faudrait pas aussi que la promotion ou l’émergence des femmes se retourne contre leurs propres appareils. Il faudrait un débat très serein, il faudrait qu’on ait une discussion très poussée à l’intérieur de ces appareils et qu’on sache qu’on a encore besoin des partis comme cadres politiques.

Vous craignez que Wade utilise cette loi pour déstabiliser davantage les partis politiques ?

Absolument. C’est ma seule crainte. J’analyse la situation et je vois sur le plan politique ce qui se passe. Mais, si déjà les femmes se positionnent à l’intérieur des appareils et que les hommes ne sont pas prêts à renoncer à leurs positions, dans ce contexte où nous allons vers les législatives, avec les coalitions, ça risque de déstabiliser les partis politiques.



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