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A Dakar, une radio brise le mythe de l'eldorado - Oxyjeunes donne la parole aux auditeurs et insiste sur les difficultés de l'exil.

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A Dakar, une radio brise le mythe de l'eldorado - Oxyjeunes donne la parole aux auditeurs et insiste sur les difficultés de l'exil.

Lamine Gueye est au micro de la radio communautaire de Pikine, une banlieue populaire de Dakar : «15 h 40 dans les studios de la radio Oxyjeunes. Le débat est consacré aujourd'hui à l'émigration clandestine. Mesdames et messieurs, nous nous excusons pour le retard.» Une mère de famille n'a pas pu participer au débat : elle vient d'apprendre la mort en mer de son fils, parti en pirogue vers l'Europe.

Depuis les drames de Ceuta et Melilla, les côtes sénégalaises et mauritaniennes sont devenues le point de départ de l'émigration clandestine. Le week-end dernier, plus de 1 500 candidats africains à l'immigration clandestine vers les Canaries ont été arrêtés au Sénégal, ainsi que 60 passeurs. Quelque 32 000 euros ont été saisis.

Fils. «Combien l'Afrique a perdu de ses fils, de cette jeunesse censée être le levier du développement et qui se sacrifie ?» fustige d'entrée Ousmane Boye, président de SOS-Banlieues, mécontent que les autorités sénégalaises invitées ne soient pas là. Le micro passe de main en main. Secrétaire général du foyer des jeunes de la banlieue de Thiaroye-sur-Mer, Talla Niang accuse «les ambassades», «les intermédiaires», «le gouvernement qui ne fait rien» ; pointe «la difficulté d'obtenir un visa», «le manque de travail» et comprend ces jeunes «dans le désarroi total». «Oui, mais ça n'implique pas qu'ils aillent se suicider en pirogue», rétorque Ousmane Boye. «Non, y'en a qui téléphonent pour dire qu'ils sont bien arrivés», corrige Talla Niang. Réponse du premier : «Mais ils sont aux Canaries, pas en Espagne !» Rires du second : «Les Canaries, c'est l'Espagne, mon cher !»

Dans le studio, les esprits s'échauffent : «Ce n'est ni l'eldorado ni le paradis terrestre, explique Mbaye Sène, émigré en Italie. Quand tu arrives, tu n'as pas les papiers et il y a la barrière de la langue.» Pour lui, depuis l'ouverture de l'Europe aux pays de l'Est, il n'y a plus de travail pour les Africains. Pour le directeur de la radio, Oumar Seck Nidaye, «il y a le mythe de l'argent facile ! Les gens en voient d'autres s'enrichir à vue d'oeil. Puisqu'on va mourir, mourons au moins dans la dignité ! Ils tentent leur chance. Pour eux, tout est fermé ici. Là-bas, au moins, il y a encore le doute. Alors qu'ici ils sont sûrs de ne pas s'en sortir. Donc, entre "jamais" et "peut-être", ils préfèrent le "peut-être"».

Du français, on passe au wolof, la langue locale. Le serveur téléphonique est pris d'assaut. Jeunes, filles ou garçons, de banlieue en général, avec ou sans emploi, ils veulent partir, car «le Sénégal c'est dur. Les pirogues, c'est une chance à saisir». Déçus par leur présent, ils ne se font aucune illusion sur leur avenir et veulent «mbeuk rek» («faire le forcing» en wolof), c'est tout, même s'il faut débourser de 500 à 750 euros pour le voyage. Les appels se suivent et se ressemblent : Mbaye, Am, Yaye, Modou, Astou... Pour eux, c'est «dem mba dé» (partir ou mourir), «Barça ou barsakh» (Barcelone ou l'au-delà).

«Gris-gris». Les intervenants se permettent un peu d'humour avec Doune, 22 ans, qui a tenté le voyage par le Maroc mais s'est fait attraper, même s'il n'avait plus ses papiers sur lui. «On a dû te reconnaître grâce aux gris-gris que tu portes», lance un animateur dans un éclat de rire. Doune va repartir car «l'Espagne, c'est le paradis, et le Sénégal, l'enfer». Un jeune déborde d'enthousiasme. «Ça y est, je vais partir, je viens de recevoir mon ciré jaune.» Un jeune homme, qui a fait volte-face après avoir vu l'état des pirogues, tente de convaincre les autres de renoncer : «C'est bien d'avoir beaucoup d'argent, mais vivre, c'est encore mieux.» Au tour de Mme S., c'est le silence. Son mari vit à l'étranger depuis trois ans, elle a demandé quatre fois son visa, quatre refus. «Avec mon enfant de six ans, je vais prendre une pirogue. Quoi qu'il puisse m'arriver, Dieu saura que c'est pour rejoindre mon mari.» Amadou, 18 ans, se dit sans nouvelles de son frère parti depuis deux mois. Il est prêt à partir, mais pas en pirogue «sinon c'est la mort».

Mor, l'un des animateurs, lance le générique de fin et se désole : «Je n'aurais pas cru que c'était à ce point-là, ça me fait mal au coeur d'entendre ces jeunes qui risquent leur vie.»

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