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AU CŒUR DU SOMMET - ABDOUL AZIZ KÉBÉ, ISLAMOLOGUE : “ L’ISLAM N’EXCLUT PAS LA MODERNITÉ ”

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AU CŒUR DU SOMMET - ABDOUL AZIZ KÉBÉ, ISLAMOLOGUE : “ L’ISLAM N’EXCLUT PAS LA MODERNITÉ ”

Avec la recrudescence des actes terroristes et la stigmatisation dont souffre l’Islam depuis les attentats du 11 septembre, l’ignorance de cette religion demeure. Pourtant c’est une religion qui prône dans son livre saint, le Coran, le respect de la vie humaine et des droits de l’individu. Il est malheureusement utilisé par des hommes à des buts purement politiques pour justifier leurs actes. Dans l’entretien qu’il nous accordé, l’islamologue Abdoul Aziz Kébé conseille à ce que la première interpellation faite aux musulmans qui est « ikhra », la recherche de connaissance, soit mise au centre des préoccupations par les chefs d’Etat dans le cadre du prochain sommet de l’Oci à Dakar.

M. Abdoul Aziz Kébé, vous êtes islamologue et enseignant au département Arabe de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, on remarque que depuis le 11 septembre, le regard porté sur l’Islam a beaucoup changé et même les musulmans sont différemment perçus ; qu’est-ce qui est selon vous à l’origine de tout cela ?

Vous savez, les événements ont ceci de particulier que quelquefois ils peuvent retentir de manière positive ou de manière négative sur les sociétés ou sur les communautés. Le 11 septembre a eu un retentissement vraiment négatif sur la communauté musulmane, parce que rationnellement, on ne peut pas comprendre au nom de la religion que l’on puisse attenter à la vie de personnes innocentes. Ce qui fait qu’aujourd’hui, la majorité des Occidentaux ont une image plus ou moins négative de l’Islam et ne comprennent pas au fond qu’une religion qui parle de Dieu, de ce Dieu de Miséricorde, puisse enseigner que l’on utilise la violence contre des innocents. Mais il faut comprendre que la violence a toujours traversé les sociétés humaines. Il ne faut pas qu’une partie d’une communauté qui utilise la violence fasse croire que c’est l’ensemble de la communauté qui est violent. Et la violence elle-même est produite par les sociétés quand il y a un manque d’équilibre, un manque de sécurité, de justice et d’équité dans les relations. Quand les richesses qui sont produites ne sont pas équitablement distribuées entre les populations. Quand les populations n’ont pas la possibilité de participer à la vie économique et politique, d’exprimer librement leurs opinions, de critiquer et de proposer et alors, en un moment donné la violence fait surface parce que les populations n’ont pas d’autres recours pour se faire entendre que d’utiliser la violence. Maintenant cette violence produite par les sociétés est légitimée par des idéologies. Mais également quelquefois par les religions. Ce ne sont pas les religions en tant que tel qui légitiment cette violence, mais ce sont des personnes qui appartiennent à cette religion qui utilisent cette religion pour justifier et expliquer leurs actes.

Justement, on constate que la plupart des personnes qui commettent des attentats terroristes le mettent sous le compte de la défense de l’Islam ; est-ce qu’ils ont vraiment raison d’agir de la sorte ?

Non, ils n’ont pas raison. Parce que l’Islam est une religion de paix. Dans la consonance même du mot Islam, nous avons le mot « Salam », la paix. L’Islam est aussi une religion qui enseigne la sacralité de la vie. Dans le Coran, il y a un verset qui dit : « Celui qui tue une âme sans raison, c’est comme s’il avait tué toute l’humanité. Et celui qui vivifie une âme, c’est comme s’il avait vivifié toute l’humanité ». Mais cela ne se limite pas à cela. Dieu dit que l’âme de l’être humain est sacrée. Dans un verset du Coran, Il dit : « Ne tuez pas l’âme que Dieu a rendu sacrée ». Sauf par un fait de justice, or un fait de justice n’est pas la justice individuelle, c’est la justice organisée dans un système judiciaire. Parce que la justice individuelle, c’est une justice privée, c’est une vendetta, une vengeance. L’Islam a organisé la justice justement pour faire dépérir la vengeance.

Souvent les contempteurs de l’Islam disent que c’est une religion archaïque qui ne parvient pas à évoluer et à s’adapter avec les réalités du temps. Partagez-vous leur point de vue ?

Lorsque l’Islam est venu, il a trouvé une société qui était traversée par des inégalités, par la tyrannie, par la barbarie et par l’ignorance également. Une société dans laquelle quand une personne était offensée, elle se vengeait directement par les armes. Par le meurtre quelque fois. Cela pouvait durer des centaines et des centaines d’années, c’est justement le système de vendetta. Et l’Islam a remplacé la vendetta par une justice organisée. L’Islam a trouvé une société où l’esclavage était dans le système de transaction et dans l’axe de production de richesses. L’Islam a apporté des solutions pour le dépérissement de l’esclavage. L’Islam a trouvé une société où les femmes n’avaient pas une dignité humaine, n’avaient pas une personnalité juridique. L’Islam a donné à la femme une personnalité humaine, une personnalité juridique et dans le même temps une égalité dans tous les devoirs en ce qui concerne la société. L’Islam a trouvé une société où les enfants, une fois qu’on en avait atteint ce dont on en avait besoin, on pouvait les tuer. Surtout les filles. L’Islam a aboli le meurtre des filles. L’Islam a trouvé une économie basée sur l’usure, il a dit que la production de richesse devait être proportionnelle à la production de l’effort. Et que donc l’usure qui n’était pas une production d’effort, mais une spéculation sur les besoins de l’individu devait être abolie. L’Islam a trouvé tellement de déséquilibres dans la société et il a rétabli tout cela, non pas seulement sur la base de principes, mais sur la base de principes traduits en règles de vie. Quand on dit que l’Islam est un système archaïque, c’est parce qu’on ne comprend pas comment l’Islam a trouvé la société et comment il a insufflé à ces sociétés-là une âme qui est toujours vivante. Le problème c’est de reprendre le souffle qui a été donné à la société par Seydina Mouhammad (Psl) et de ranimer nos sociétés avec ce souffle-là. Les gens qui ont donc cette vision sur l’Islam ne comprennent pas la dynamique et la marche des sociétés et ne comprennent pas en fait ce qu’est un message. Un message qu’il est toujours possible de traduire en actes de tous les jours par rapport aux enjeux. Et d’ailleurs le prophète Mouhammad (Psl), lors de son dernier discours l’a démontré. Il a parlé à toute l’humanité en disant « Ayou hanass » au lieu vous les musulmans, il a dit : « Vous les humains ». Il a dit trois choses. « Quel jour nous nous trouvons ? » on lui a répondu, c’est le jour du Hadj. « Où nous nous trouvons-nous ? », les gens ont répondu sur la terre sacrée. « Quel mois nous trouvons-nous ? » et les gens ont répondu, le mois sacré. Et il a dit : « Comme le mois est sacré, ce jour est sacré, cette station de Arafat est sacrée. C’est de cette façon-là que vos vies sont sacrées, vos biens sont sacrés, vos honneurs sont sacrés ». Les Biens, l’Honneur et la Vie, voilà le triptyque sur lequel est fondé le message de l’Islam. Et toute la trame qui est consignée sur la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 tourne autour de ces trois éléments, c’est-à-dire : l’Honneur, les Biens et la Vie.

Donc c’est la méconnaissance de l’Islam et de son message qui conduit certaines personnes à faire de fausses déclarations à son encontre...

C’est d’une part l’Ignorance. D’autre part, les intérêts purement humains. Parce qu’aussi, il ne faut pas que l’on soit angélique. C’est-à-dire qu’il y a des gens qui ne connaissent de la religion que ce qu’on leur en dit. Ils n’approfondissent pas, ils ne connaissent pas l’histoire de la religion, l’histoire des conquêtes et l’histoire de toutes les religions et de toute l’humanité. Cette histoire-là est faite de violence. Que ce soit l’empire byzantin, que ce soit les dynasties omeyyades ou abbassides ; que ce soit les colonisateurs par la suite. Que ce soit aujourd’hui les impérialistes occidentaux, l’humanité est traversée par la violence. Par conséquent, vouloir faire croire que l’Islam est seulement le porteur ou le promoteur de la violence c’est faire preuve des sociétés humaines et de l’histoire de l’humanité d’une part. D’autre part, il y a des gens qui sont justement intéressés par la politique et qui, compte tenu du fait que les religions sont une base émotionnelle importante (parce que cette base est la croyance), ces gens-là voudraient faire un raccourci par rapport à la politique et utilisent la religion pour des fins politiques. Or, on peut faire de la politique en s’inspirant de la religion, mais on ne peut pas faire de la religion une idéologie politique. L’Islam n’est pas une idéologie politique, une pensée politique. L’Islam est une religion et un message adressé à l’humanité. Donc si des gens l’utilisent pour faire de la politique soit c’est par ignorance, soit c’est par intérêt.

Existe-t-il un Islam unique où il y a plusieurs islams, c’est-à-dire un islam afghan, maghrébin ou même subsaharien, selon vous ?

Il y a un seul Islam. Parce que l’Islam c’est trois éléments : le credo (Al iman), le rituel (Al ibadat), l’Islam c’est aussi l’Ethique (Al ikhsan). Ces trois branches-là fondent la religion. D’abord la foi, ensuite le rituel c’est-à-dire le culte ou l’adoration de Dieu et enfin l’Ethique qui est la morale pratique. Ça c’est unique et ça ne peut pas changer, c’est pour tout le monde et pour tous les cieux. Maintenant, il y a un seul Islam et il y a plusieurs cultures musulmanes. Parce que l’Islam est un message qui s’adresse à l’universel. L’universalité c’est aussi la différence, c’est aussi la pluralité. Et Dieu l’a dit dans le Coran qu’Il nous a créés différents pour que nous nous connaissions les uns les autres. Ce message peut être approprié par chaque environnement culturel, par chaque peuple. Et maintenant dans cette appropriation, il y a des modalités qui diffèrent d’un pays à un autre, d’une culture à une autre. Mais l’essence de l’Islam reste une et unique.

Le Sénégal s’apprête à organiser le sommet de l’Oci, quel doit être le rôle que cette organisation doit jouer pour une meilleure connaissance des valeurs de l’Islam ?

Souvent on a tendance à parler de l’Oci comme si c’était une organisation islamique, religieuse. Or l’Oci c’est une organisation d’Etats. C’est-à-dire c’est une organisation d’Etats dans lesquels les populations sont des musulmans. Ces Etats-là ont le devoir de promouvoir ces éléments-là pour l’ensemble de leur communauté. La sécurité, le travail, la prospérité par conséquent, la justice et l’équité. Et tout cela doit être traversé par la connaissance et la connaissance qui va être transformée en valeurs économiques. Le manager américain, Peter Drucker disait que c’est l’université qui produit les valeurs de connaissance, c’est l’entreprise qui les transforme en valeurs économiques. Voilà ce que la Ummah, les chefs d’Etat doivent avoir en tête. Faire en sorte que la première interpellation qui a été faite aux musulmans qui est « ikhra », la recherche de la connaissance puisse être partagée par tout le monde. La recherche de la connaissance de tous les types de connaissances et qu’elles ne soient pas des connaissances d’érudition, mais des connaissances qui ont une incidence dans la vie de tous les jours. Ce sont ces connaissances qui peuvent avoir une valeur ajoutée dans les sociétés. Donc, ce que nous attendons des chefs d’Etat de la Ummah, c’est que cette interpellation de recherche de connaissance soit considérée comme étant aujourd’hui, un enjeu de taille. Parce que les sociétés qui sont avancées, c’est des sociétés où la science est vraiment maîtrisée. Pas seulement maîtrisée par une ou trois personnes mais elle est partagée par la plupart des habitants.

Semblez-vous dire que c’est aujourd’hui le cas des pays musulmans ?

Regardez au Sénégal. Nous sommes un pays où il y a deux universités. C’est vrai que le chef de l’Etat a créé de nouvelles universités et c’est un effort qu’il faut saluer. Mais si vous prenez l’Université de Dakar et celle de Saint-Louis et que vous faites le ratio de l’université par rapport à la population, vous vous rendrez compte quelle est la chance que chaque Sénégalais a d’arriver jusqu’à l’université. Donc cela vous montre le déficit de connaissances, le déficit d’infrastructures, de transfert de connaissances et de transfert de compétence est un déficit important dans nos sociétés. Ce déficit quand on le comble, il faut que ce soit allié avec la possibilité que la connaissance acquise puisse être retransmise dans la société sous forme de production. Donc, les entreprises, les Gie, les unités de production et tous les facteurs de production doivent être un défi à relever par rapport à nos sociétés par les chefs d’Etat. Il faut maintenant que cela soit lié par l’esprit d’éthique et d’égalité. Parce que quand il n’y a pas d’égalité au niveau de la population, il se trouve que ceux qui n’ont pas accès à la connaissance, qui n’ont pas accès à la production de richesses deviennent finalement des marginaux. Et pour réclamer leur part, ils utilisent la violence et cela entraîne le radicalisme dans la société. Un radicalisme qui peut être traduit par le terrorisme.

Selon vous, quelle doit être la contribution de l’Islam dans ce monde globalisé où les connaissances sont partagées par le biais des nouvelles technologies comme Internet et où il y aurait même un choc des civilisations comme semblent le dire certains ?

La première contribution doit être la promotion de la spiritualité. Nous vivons dans un monde où le matériel est très avancé. Mais il manque la spiritualité. La spiritualité est le parent pauvre de ce développement. Donc ce que l’Islam peut apporter, c’est cette spiritualité qu’on ne peut pas nier dans l’Islam. Le deuxième apport est la fraternité et la solidarité. Lorsque le prophète est arrivé à Médine, il a trouvé des populations qui s’entredéchiraient. Le prophète est venu et il a établi une fraternité. Il a dit que l’émigré de La Mecque soit pris comme un frère par l’autochtone de Médine. Cette fraternité a permis de créer une communauté dans laquelle chacun se sent comme un élément fondateur et important.

Enfin nous avons l’éthique qui, comme l’a enseigné le prophète, doit nous permettre de prendre toujours la solution la meilleure, la plus positive dans chaque attitude, dans chaque situation à laquelle nous devons faire face. Ce sont donc ces trois éléments-là que nous devons promouvoir.



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