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Boubacar Diop, médiateur de l'Ucad : ‘ Il faut décongestionner l’université ’

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Boubacar Diop, médiateur de l'Ucad : ‘ Il faut décongestionner l’université ’

L’année universitaire 2007/2008 s’ouvre comme elle avait démarré, c’est-à-dire sur une crise. En effet, pas plus tard que mardi dernier les personnels administratifs, techniques et de services ont battu le macadam pour protester contre l’enlèvement et la séquestration d’un des leurs un groupe de délégués des étudiants qui réclamaient une subvention de 20 millions. L’année universitaire 2007 a été marquée par les élections contestées des amicales des Facultés et la rétention de notes des délégués des étudiants de droit par les enseignants vacataires sans salaires depuis un an. Autant de conflits à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar dans lesquels le médiateur est monté en premier ligne pour essayer de ramener la paix entre des acteurs condamnés à vivre ensemble dans un espace réduit et surpeuplé, mais où les textes qui le régissent et qui comportent les fameuses ‘ franchises universitaires ’ semblent dépassés par les évènements. De tout cela, le professeur d’histoire Boubacar Diop dit Buuba peu friand en propositions et qui vient de boucler un mandat de quatre ans comme ombudsman de l’université de Dakar en parle sans détour dans cet entretien qu’il nous a accordé dans son bureau de l’Ucad II.

Walf quotidien : Est-ce que vous pouvez revenir sur la genèse de l’institution du médiateur à l’université de Cheikh Anta Diop de Dakar ?

Boubacar Diop Buuba : Pour ce qui est de l’origine de l’institution, vous savez que ce besoin d’avoir la paix et la sérénité à l’université existe depuis très longtemps. Depuis mai 68, tous les dirigeants qui se sont succédé à l’université se sont rendu compte qu’il était nécessaire d’avoir un climat de paix. Il a fallu que le nombre d’étudiants augmente pour que maintenant cette nécessité soit concrétisée par la création de l’institution du médiateur. En ce qui me concerne, c’est sous le rectorat de M. Kader Boye que des missions particulières m’ont été confiées pour intervenir dans des conflits très complexes. Sous le rectorat du Pr Moustapha Sourang, on a eu à échanger beaucoup sur la nécessité d’anticiper sur les crises et avec beaucoup de collègues d’ailleurs. Mais c’est avec le recteur (l’actuel) Abdou Salam Sall que la décision a été prise de mettre en place un processus. Il m’a chargé de cette mission. Et, on pensait que cela allait se faire rapidement. Mais cela n’a pas été rapide par ce qu’il fallait convaincre les différents acteurs. Aujourd’hui, on peut dire que tous les acteurs sont conscients de la nécessité de mettre en place un dispositif pour prévenir les conflits. Il faut dire qu’il y a eu une réflexion menée par les syndicats d’enseignants. Je pense notamment aux collègues de l’Ecole normale supérieure qui ont tenu des séminaires à plusieurs reprises sur cette question des conflits récurrents dans l’espace universitaire et scolaire. Mais toute chose a son temps. Depuis 2004, le travail de réflexion a été fait. Aujourd’hui le texte a été adopté par l’Assemblée de l’université. Cela dépasse ma modeste personne. Aujourd’hui, c’est l’institution universitaire qui pense que c’est nécessaire. C’est valable pour les autres universités qui viennent d’être créées. C’est valable aussi pour le système scolaire dans son ensemble.

Walf quotidien : Quel bilan, faites-vous alors des quatre ans que vous avez passés à la tête de cette institution ?

Boubacar Diop Buuba : Le bilan que je tire, c’est qu’aujourd’hui, le débat de fond qui est posé, c’est : Est-ce que cet organe mis en place par l’université peut vraiment gérer ou transformer les conflits pour qu’ils soient dépassés ? C’est une question qui est posée. Certains pensent que le rôle de l’ombudsman est d’anticiper. Mais, je répète souvent que peuvent anticiper ceux qui ont les moyens pour faire telle ou telle chose. L’ombudsman ne peut que faciliter. C’est pourquoi j’aime plus le terme de facilitation si l’on tient compte d’un certain nombre de suggestions. Il peut aussi aider à transformer certains conflits. D’ailleurs, il y a une proposition dans ce sens pour que l’institution travaille dans le long terme. Mais malheureusement, l’équipe n’est pas encore en place, malgré les bonnes volontés. Il n’y a pas encore d’équipements. Il y a beaucoup de choses à faire, et ce n’est pas en quatre ans que tout cela peut être fait. Mais, il y a des raisons de penser que l’institution ira se développant non seulement à Dakar, mais dans les autres établissements. Il y a toute une capitalisation qui existe sur une école instrument de paix. Il y a même au Sénégal des personnes qui travaillent beaucoup là-dessus. Il y a aussi les Nations unies qui ont une dynamique pour la paix. L’université de Dakar a été sollicitée. Le Codesria également travaille depuis longtemps sur la liberté académique et la paix. Donc, il y a une dynamique qui est posée. Tout récemment j’ai participé à Joanhesbourg, en Afrique du Sud, à une rencontre de l’Union africaine , et je suis sûr que certains partenaires de l’Union africaine comme la Banque mondiale sont sensibles à cette question. Parce qu’au fond on s’est rendu compte qu’on laisse beaucoup d’argent dans cette dynamique, mais si les acteurs ne sont pas convaincus. Et le gros des acteurs, ce sont les étudiants, s’ils ne sont pas partie prenante.Il est très difficile de réussir les réformes qu’on est en train de mettre en place. Donc, il faut les associer parce que la vocation de l’université, c’est la recherche et l’enseignement. Ce n’est pas de gérer des conflits tous les jours. Donc il faut faire en sorte que, ma foi, une écoute permanente soit en place. Il faut aussi d’autres éléments d’accompagnement. Par exemple, il faut des psychologues, des psychopédagogues, des sociologues. Il faut tout cela à la fois. Cela ne sert à rien de mettre en place une institution appelé ombudsman si, dans les établissements, il n’y a pas d’assistants sociaux et de psychologues pour accompagner. C’est donc, l’intérêt de ces quatre ans. C’est d’avoir soulevé tous ces problèmes. Pour l’instant, il faut suivre tout cela et surtout mettre les moyens. Je disais qu’il faut recruter du personnel. On pensait qu’il n y a pas d’argent pour cela, mais on s’est rendu compte qu’on dépense de l’argent autour de 200 millions de francs pour réparer des dégâts.

Walf quotidien : Quel est votre diagnostic des conflits qui minent l’Ucad ?

Boubacar Diop Buuba : Pour les conflits, j’ai d’abord mis l’accent sur une question à savoir qu’il faut s’entendre sur les priorités. Il y a trop de choses à faire, mais il faut savoir situer les priorités. Ensuite, il faut des choix pertinents. Enfin, il faut toujours dialoguer et discuter. Je crois que si on définit les priorités, par exemple, au niveau pédagogique, il faut des salles de classes, des bureaux. Il faut que tout le monde soit à l’aise. Il faut donc de la matière d’œuvre. Parce qu’on est là dans une université. C’est le minimum. Ce sont des priorités, il faut mettre l’accent sur les conditions de travail et d’hygiène. Maintenant quand on fait des choix pertinents, il faut discuter avec les acteurs. Il ne faut pas vouloir coûte que coûte donner satisfaction à des revendications sans tenir compte des contraintes techniques. Cela aussi il faut qu’on en tienne compte. Je pense qu’il faut que nous ayons cette culture-là. Le reste maintenant, c’est un suivi constant à tous les niveaux. Si cela est fait, il n’y a pas de raison que l’université ne revienne pas à sa vocation première qui est la recherche et l’enseignement.

Walf quotidien : La violence est omniprésente à l’université, quelle est votre lecture ?

Boubacar Diop Buuba : Il faut regretter la violence, mais il faut dire qu’il y a beaucoup d’acteurs non violents qui sont mobilisés pour qu’il ait une culture de la paix et des droits humains à l’université et pour le règlement de manière non violente. Ce qu’on voit souvent c’est une minorité violente. Effectivement une minorité quand elle est violente, cela fait beaucoup de bruit. Mais la majorité des enseignants et des étudiants sont contre la violence. Ce qu’il faut donc, c’est la culture de la non-violence en faisant en sorte que les acteurs puissent se parler. Les conditions qui créent la violence sont là : la promiscuité crée la violence, les étudiants qui sont en surnombre dans un amphithéâtre quand ils se bousculent, il y a des problèmes. J’ai assisté des fois à des violences entre des enseignants. Il y a aussi les membres du personnel administratif et technique qui s’énervent quand il y a trop de personnes autour d’eux. Il faut aussi faire en sorte qu’il n’y ait pas trop de monde. Et le manque d’espace pour s’épanouir crée la violence. Je crois qu’il faut un cadre agréable et un bon système d’organisation. Donc, il faudrait aussi une amélioration de la gestion et un développement de la culture de la non-violence. Ce n’est pas théorique ; Mais il y a aussi des innovations à faire. Je n’ai jamais compris pourquoi quand il y a des manifestations, on utilise des grenades lacrymogènes. Il y a des innovations même en ce qui concerne les forces de l’ordre. Les étudiants également doivent trouver d’autres méthodes pour se faire entendre. On n’a pas besoin d’enlever des chauffeurs de bus, des secrétaires généraux de l’université. De toutes les façons, cela crée une sorte de psychose. Les personnels administratifs, techniques et de services ont eu à exprimer leur mécontentement à propos de la séquestration du secrétaire général de l’université pour que cela ne se reproduise plus. Malheureusement, la violence, elle est cultivée dans notre société et que cette université essaie d’être une sorte d’oasis, c’est très difficile. Ces quatre ans m’ont permis de faire des observations. Des conflits comme le conflit casamançais se sont répercutés dans l’espace universitaire. Il y a des réflexes au niveau des étudiants qui sont liés à cela. Des conflits liés aux partis politiques se répercutent à l’université. On peut avoir une carte des sources de violence en fonction de leur origine : politique, sociale, etc. Maintenant, ce n’est pas une raison pour dire qu’on les accepte au niveau de l’université. Quand même l’université est un lieu où se trouvent concentrées les personnes censées comprendre ce qui se passe, des personnes également censées fréquenter beaucoup d’espaces et capables de dépasser certaines violences. Ce sont des personnes qui doivent se faire violence. Je pense que c’est cela le grand défi. Mon hypothèse est que si l’on arrive à atténuer la violence au niveau de la société, on arrivera à le faire à l’université. C’est clair. Dans certains pays, c’est au niveau des couches qui ne sont pas arrivées à régler le problème de la diversité que se prolonge le conflit. Les conflits qu’on n’a pas pu régler au niveau de l’université, on les répercute au niveau de la société. Aujourd’hui tous ceux qui observent l’évolution des sociétés africaines savent que les conflits les plus terribles viennent des intellectuels. Parce que c’est à l’université que beaucoup de frustrations naissent. Car il y a des étudiants qui quittent l’université sans diplôme et sans boulot après. Ils deviennent forcément violents. Ce qui pose plus le problème des débouchés que celui de l’enseignement. Donc, il faut vraiment accorder à l’université toute l’attention qu’elle mérite. Mais cette université aussi doit prendre son autonomie. Parce qu’il y a un certain nombre de problèmes qui ont des interférences politiques que l’université ne pourra jamais régler. Pour que les universités assument leur mission, il faut qu’elles soient autonomes. L’Etat doit continuer à les soutenir, mais les universités doivent avoir leur autonomie. Si les violences sont dictées de l’extérieur, les universités ne pourront pas avoir la paix.

Walf quotidien : Pour vous les rapports entre les politiques et l’université sont porteurs de germes de violence ?

Boubacar Diop Buuba : C’est normal. Les universités sont des lieux d’affrontements politiques. Mais le problème est qu’il faut bien gérer cela. Car on ne peut pas ne pas parler de politique à l’université. L’année dernière, concernant les élections, globalement cela s’est bien passé. Parce que le Coud (Centre des œuvres universitaires de Dakar) avait mis en place un système pour éviter les crises. Actuellement, il y a des divisions au niveau des amicales qui viennent me poser des problèmes de salle pour tenir leurs réunions. L’université doit faire partie des espaces sans violence et respecter la devise du président Senghor : lux mea lex, c’est-à-dire : la lumière est ma loi et non vice, la force c’est ma loi. Ça ce sont des déviations des aberrations, c’est des accidents de l’histoire. Je dis que ceux qui utilisent la violence n’ont pas leur place à l’université. Ce sont des erreurs de parcours. Peut-être qu’ils se sont trompés de chemin, mais ce n’est pas ici. Quelqu’un qui utilise la violence qu’il sache que les muscles ce n’est pas ici. Les muscles ne doivent être utilisés que pour la performance, pour la beauté du geste. Mais la force pour faire sortir le sang, ce sont des gens qui se sont trompés. Vraiment, on devrait mettre sur le fronton de l’université : ‘La force et le sang n’ont pas leur place ici’. Ça il faudrait qu’on le chasse. Si j’avais les moyens sur tout le mur du ‘Couloir de la mort’, j’y mettrais de beaux dessins et des slogans pour montrer que cet espace, c’est le culte de l’esprit, de la beauté et non de la violence. Maintenant, il y a des conditions à remplir pour que cela ne soit pas le cas. Mais cette promiscuité nous crée des problèmes. Il y a trop de problèmes, trop de désordre.



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