[ Opinion ] Débat - L’islamisme au Sénégal : mythe ou réalité ?

De la même manière que l’influence occidentale, le mouvement islamique sénégalais subit fortement l’influence des pays arabes où ont été formés la plupart des acteurs du travail islamique sénégalais. Une étude sur les ramifications des courants islamistes dans notre pays serait intéressante à plus d’un titre. Elle pourrait en effet révéler la présence de tous ces courants, exception faite du courant terroriste. Cette spécificité caractérisée par la non-violence nous a valu l’intérêt que l’administration américaine porte sur notre pays si l’on en juge par les études envisagées dans cette perspective. Ce que les islamistes jugent comme anormal, les occidentaux et ceux qui ont été formés dans leurs écoles le considèrent comme une valeur à administrer aux autres. Un pays largement musulman, dirigé pendant vingt ans par un chrétien, un Etat laïc et des citoyens très sécularisés : voilà ce qui fait de notre pays une vitrine. Cette même image est inacceptable aux yeux des islamistespour qui vivre sa foi c’est accepter de se voir appliquer la Loi divine dans toutes les affaires de la vie. C’est ce que traduit le principe de la globalité de l’islam, unconcept clé de la rhétorique réformiste.

De grands efforts ont été consentis pour le renouveau de l’islam au Sénégal même si les actions menées manquent de visibilité. Des structures islamiques ont réussi à se forger une identité distincte du reste de la communauté. Le terme « ibadou »même s’il n’intègre pas toutes les différences entre les réformistes permet de les désigner. Ces derniers et ceux qu’ils ont formés se réservent des paroles et des pratiques nouvelles qui inclinent à penser à un islam nouveau.

Ces associations islamiques aident leurs membres et sympathisants aussi bien sur le plan social, pédagogique, professionnel qu’économique mais soutiennent également la population à travers des campagnes médicales et des mutuelles fonctionnant sur la base de la législation islamique (prohibition de l’intérêt).

L’islamisme dans les autres pays, contrairement au Sénégal, est une réalité pré- indépendance, ce qui constitue une différence majeure avec ce que nous avons remarqué dans notre pays. Les précurseurs du mouvement réformiste ont brillé par leur opposition au colonialisme et le refus du système occidental. Ils ont été au même titre que les nationalistes des acteurs incontestés de la lutte pour les indépendances. Ici ce sont les marabouts qui ont porté la contestation etencadré les populations à la fois contre les colons et les pouvoirs traditionnels. Si les réformistes non confrériques ont du mal à trouver une légitimité dans ce pays c’est du en grande partie à leur opposition a l’islam confrérique même sil faut en relativiser le sens et la portée. En effet cette opposition dépend aussi bien des groupes, de la situation que des acteurs de part et d’autre. L’exemple de la collaboration avec le défunt marabout Abdoul Aziz Sy est assez édifiant notamment avec la frange estudiantine du mouvement islamique. Toujours est-il qu’une différence sépare les deux sphères et que beaucoup de sénégalais regardent les « ibadous » comme des négateurs de l’héritage confrérique et des marabouts.

Le communisme et ses défenseurs qui se trouvaient dans les universités ont constitué pendant très longtemps les cibles des militants de l’islam politique au Sénégal. Après la chute du communisme ils ont pratiquement perdu un adversaire qu’ils n’ont pas su trouver dans le féminisme ou le legs colonial du système laïc. Ces deux éléments sont aujourd’hui considérés comme des acquis démocratiques que l’Etat libéral semble consacrer de manière définitive.

Le mouvement islamique sénégalais semble littéralement essoufflé après tant d’efforts rendus vains par les facteurs déjà mentionnés et d’autres encore qu’il faudra mettre en évidence.

Les islamistes parlent de moins en moins d’Etat islamique parce qu’ils sont devenus plus réalistes. D’ailleurs un de leurs précurseurs qui a fait défection, travaille aujourd’hui pour le régime actuel. Ils savent que les priorités sont dans leur unité et les réponses qu’ils doivent apporter à des questions beaucoup plus concrètes.

Lancée par un groupe d’associations et d’acteurs connus du mouvement, une nouvelle dynamique se propose de créer un véritable mouvement. Ce dernier aura la charge de déterminer les grandes orientations et de s’attaquer aux grandes questions auxquelles les associations n’ont jusqu’à présent pas apporté de solutions.

Ce tournant revêt un intérêt certain du fait de sa nouveauté et de son envergure. Voir un mouvement dans lequel se sont engagés des personnes aussi diverses que des arabisants, des professionnels sortis des écoles occidentales, des maitres coranique et des fils de marabout, est assez révélateur d’une élévation au dessus des contingences. L’intérêt pourrait également résider dans le refus de certains groupes de s’engager dans une telle dynamique alors qu’ils sont censés être plus proches des initiateurs du projet.

Et si la citoyenneté et l’action politique prenaient le chemin de l’islamisme dans les années à venir ?

(Suite et fin)

PAR Ousmane Abdoulaye Barro

Etudiant à l’UGB, section science politique

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