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DU BRONX AU GRAND DAKAR : Le hip-hop, symbole de la fronde contre le système

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DU BRONX AU GRAND DAKAR : Le hip-hop, symbole de la fronde contre le système

Le festival « Banlieue rythme » clôturé dimanche soir a révélé toute la vitalité du rap et de la culture hip-hop, devenue la deuxième musique la plus écoutée après le « mbalax » au Sénégal. D’origine américaine, le hip-hop a trouvé un style particulier au « pays de la Téranga » influencé par des groupes fondateurs comme Positive Black Soul, Daara J ou Pee Froiss qui ont essaimé en plus de 4000 formations aujourd’hui. Coup d’œil sur ce phénomène de société sans précédent. 

C’est dans le Bronx de la ville de New York qu’apparaît en 1975 le premier groupe de rap, « Zulu Nation ». Préférant la musique à la violence de la rue, les membres fondateurs parlent du mal-être dans le Bronx, de leurs aspirations et de leurs rêves et notamment celui de l’Afrique. Car c’est bien là une des caractéristiques du premier groupe de rap : son afro centrisme que l’on retrouve dans de nombreux mouvements politiques et culturels noirs à cette époque. Le questionnement de ces jeunes noirs américains sur leurs origines et leurs racines est l’un des socles du hip-hop américain. L’autre message fondateur est celui de la vie dans les ghettos américains, de la misère sociale et du rejet du système qui crée des populations marginalisées. Les bases du hip-hop sont donc posées à la fin des années 70 aux Etats-Unis d’Amérique. Mais quel est le réel apport de cette musique pour qu’elle atteigne le succès qu’elle connaît aujourd’hui ? Comment peut-on la définir ? Hip-hop est composé de deux mots. « Hip » dérive du mot hep qui signifie l’argot de la rue, une manière de s’exprimer en marge des autres, une attitude « cool » et affranchie des normes. « To hop » correspond au fait de danser sur le tempo saccadé de la voix des rappeurs. Le hip-hop recèle en fait quatre grandes dimensions : l’art graphique en premier lieu (graffitis, tags, peintures…) propre à l’univers urbain bétonné, la partie instrumentale souvent constituée d’un Dj, la danse sous toutes ses formes (break danse…) et surtout la linguistique, le rap. Car s’il est bien une spécificité du Hip-hop c’est que la musique n’est que le support du langage et non l’inverse. La primauté est donnée au message exprimé. Le hip-hop est avant tout une musique de révolte où l’on exprime ses frustrations, ses craintes et ses haines. Cette musique a donc été appropriée par tous ceux qui se sentaient rejetés face à un système. C’est le leitmotiv de son succès car en symbolisant la misère sociale, la révolte, les banlieues difficiles, le hip-hop a très vite été repris dans de nombreux pays. En France par exemple, certains groupes comme IAM ou Foncky Family, nés dans les milieux populaires marseillais, se sont réappropriés le hip-hop américain et ont créé leur propre style avec leurs aspirations, leurs rêves de réussite et leurs difficultés abordant des thèmes comme l’intégration, le racisme, l’univers social de la ville, leur amour pour Marseille…dans une langue nouvelle, le français. Le hip-hop suit donc des mutations depuis son ère d’origine. Il est souvent d’abord imité puis digéré et enfin reconstruit avec un style propre.

Contestation politique

Au Sénégal le phénomène est encore plus marquant. Si les premiers groupes sont issus des quartiers favorisés comme Positive Black Soul (PBS) originel avec Didier Awadi et Doug E Tee, en contact avec la diaspora vivant aux Etats-Unis ou en France, le succès populaire est venu avec l’utilisation du wolof comme moyen d’expression. Les chanteurs ont d’abord imité les américains au niveau du style, des fringues, de la langue… intégrant des mots anglais, en portant de larges baggy… Mais c’est lorsqu’ils ont sorti leurs premiers albums avec du français et de l’anglais certes, mais surtout du wolof, qu’ils se sont fait connaître. Par exemple, l’expression « Bul faale » (t’occupe pas, soit cool), titre de l’album de PBS en 1992 et la teneur des chansons ont été les premiers détonateurs dans les quartiers de Dakar. En 1996, Pee Froiss sort « Wala wala bock » et déjà, les thèmes portent moins sur l’union africaine et l’amour… mais plus sur la vie dans les quartiers, les dérives de « l’Etat PS », d’Abdou Diouf (ancien président de la République) accusé de délaisser la jeunesse. Le mouvement hip-hop devient le catalyseur d’une jeunesse urbaine en proie à de multiples obstacles tant l’exode vers les villes est fort. Les groupes de hip-hop révèlent ce malaise social et identitaire à l’image de « Rap’ Adio », groupe qualifié ouvertement d’« underground », qui s’engage politiquement contre le prédécesseur de Wade qui avait qualifié de « jeunesse malsaine » certains jeunes à Thiès en 1998. Cette année-là est en effet le début de la période de révolte contre « l’Etat PS », et sera marquée par l’année blanche pour les étudiants. Les groupes de rap qui se multiplient et la culture hip-hop deviendra l’un des symboles de cette période difficile qui ne s’achèvera qu’avec la transition démocratique en 2000.

A l’inverse du mbalax, musique incontestablement reine au Sénégal et qui chante souvent les louanges des marabouts et des puissants, le hip-hop représente à ce moment, le chant de la révolte et du ras-le-bol. L’utilisation du wolof comme vecteur du message rap, le peu de moyens nécessaires (pas d’instruments de musique…) et le contexte politique ont permis une explosion du rap qui est devenue la seconde musique du Sénégal au point que l’on répertorie plus de 4000 formations et qu’une industrie autour de ce style musical est née.

Une culture qui s’est « sénégalisée »

Aussi, après les désillusions du premier mandat du président Abdoulaye Wade, le hip-hop sénégalais continue sa mue, à l’image de la société sénégalaise et surtout des quartiers qui ont été son berceau (la médina, Guédiawaye, Pikine ou Parcelles). Interrogés sur leurs motivations en marge du festival Banlieue Rythme, de nombreux rappeurs s’affirment comme apolitiques comme s’ils n’y croyaient plus. Et même si des chanteurs comme Xuman de Pee Froiss continuent à s’engager ouvertement contre le nouveau régime, la plupart des groupes ont répondu par une distance avec la chose politique. Ils préfèrent aborder les thèmes de la violence sociale dans les quartiers ou des thèmes plus universalistes. Peut-être par l’échec de la transition que beaucoup voyaient comme porteuse des jours meilleurs, peut-être aussi par la fin de l’aspect pionnier de la révolte des premiers groupes et une logique de commercialisation qui a pris le dessus. Par exemple, le rappeur « Reskape » affirme : « il faut d’abord faire notre autocritique, dire ce qui ne vas pas entre nous (dans les quartiers) ». Il développe plus un discours sur une réalité urbaine locale qu’un contexte politique national. Se réclamant d’un « rap positif » qui ne fait pas que critiquer mais qui appuie aussi les réussites, le hip-hop poursuit une inexorable mutation vers son accès au plus grand nombre. Dans la même logique, le groupe de Pikine, « Beuz Dady », insiste plus sur des thèmes comme la guerre, la religion, la place des femmes que sur « un discours d’opposition politique au système », même s’il se fait aussi plaisir en critiquant le président ou « certaines tragédies ». En quelque sorte, le discours et le message ont mûri, les rappeurs qui veulent émerger doivent trouver les moyens de le faire et toucher le jeune public souvent dépolitisé et enfin, trouver des solutions pour (sur) vivre. Car bien souvent, le hip-hop est plus une passion qu’un métier. Difficile de vivre de sa musique dans un univers concurrentiel. La volonté de créer des labels propres, des concerts dans les quartiers, des radios locales, des points de ventes autres que Sandaga reviennent dans le discours des rappeurs.

Le hip-hop sénégalais a donc fait sa mue, il intériorise de nouvelles formes, réinterprète les contes traditionnels en wolof comme la réalité urbaine. Il a été porteur d’une révolte et ses artisans comme Didier Awadi sont devenus des stars internationales. Mais son plus grand succès est son enracinement et sa vitalité dans les quartiers populaires de Dakar. Le hip-hop au Sénégal s’affirme désormais comme autonome. Mais un peu à l’image de son homologue américain, attention à ce qu’il ne devienne pas une simple « business-culture ».



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