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ENTRETIEN AVEC ... AMSATOU SOW SIDIBE, PROFESSEUR DE DROIT PRIVE A L’UCAD : « Les médecins tiennent au secret médical, mais il ne serait pas étonnant de voir certains transgresser ce principe fondamental »

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ENTRETIEN AVEC ... AMSATOU SOW SIDIBE, PROFESSEUR DE DROIT PRIVE A L’UCAD : « Les médecins tiennent au secret médical, mais il ne serait pas étonnant de voir certains transgresser ce principe fondamental »

“ Professeur agrégé, titulaire de chaire de Droit Privé à la Faculté de Droit de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, par ailleurs directrice de l’Institut des droits de l’homme et de la paix dans ladite université. Mme Amsatou Sow Sidibé, a réalisé des études sur la question du Vih/Sida. Ces dernières portent essentiellement sur la confidentialité, le secret médical, les aspects juridiques et éthiques liés au Vih/Sida. Défenseuse des causes des femmes victimes du Vih/Sida, elle aborde dans cet entretien entre autres aspects la vulnérabilité des femmes face à la pandémie du Sida. Entretien

Vous avez mené des études sur la confidentialité, le secret médical, les aspects juridiques liés au Vih/Sida, pouvez-vous nous dire pourquoi vous vous êtes intéressée à ces questions ?

J’ai mené quelques réflexions à propos du Vih/Sida. Une première en 1997 à l’occasion du colloque international de Dakar sur le thème “ Sida et religion ”. À cette occasion, les organisateurs m’avaient demandée d’étudier les aspects juridiques et éthiques du Vih/Sida. Ce que j’avais réalisé évidemment avec quelques difficultés dues au fait que cette question était presque nouvelle au Sénégal. Donc, il fallait réfléchir sur la protection des Personnes vivant avec le Vih (PvVih), mais aussi sur celle de la famille et de la communauté. Des questions telles que la confidentialité, les discriminations, le dépistage volontaire, la protection du conjoint, des enfants, etc .... avaient été soulevées et des mesures de prévention contre la maladie proposées.

Cette réflexion au cours du colloque, a par la suite fait l’objet d’une publication sous le titre “ Le Droit à l’épreuve du Vih/Sida ”, dans la revue psychopathologie africaine en 2001. En discutant avec les médecins, je me suis rendue compte que la confidentialité, le secret médical et d’autres questions liées au Vih/Sida soulevaient énormément de difficultés parce qu’il existe des personnes infectées par le virus qui, en toute connaissance de cause, continuent à avoir des relations sexuelles non protégées avec des partenaires non avisés. J’étais alors préoccupée de savoir quelle attitude prendre face à cette situation, si le médecin n’était pas tenu d’informer l’entourage de la PvVih. Les médecins me faisaient savoir que ce n’était pas possible, parce que le secret médical leur interdit de révéler la maladie d’une personne. C’était extrêmement difficile parce qu’on se rendait compte qu’il y avait beaucoup de personnes qui étaient infectées parce que leurs partenaires leur cachaient leur séropositivité et entretenaient des relations sexuelles non protégées. C’est ce qui m’a poussé à mener une réflexion beaucoup plus approfondie sur la question du secret médical.

D’ailleurs, cette recherche sur le secret médical a été publiée par la revue électronique Afrilex de Bordeaux en France. C’est un article scientifique où j’essayais d’étudier la notion du secret médical en tant que telle, ses fondements, son autorité notamment face à une maladie contagieuse telle que le VIH/Sida, ses implications au plan juridique. J’ai essayé de voir ce qu’il fallait faire relativement au VIH/Sida. Là non plus ce n’était pas facile parce que les médecins se trouvent confrontés à un vrai dilemme : garder secrète la maladie mais également laisser la porte grande ouverte à la contamination. Les médecins tiennent fortement au secret médical. Et les bases de la réflexion étaient ainsi jetées.

Toujours en 1997, j’ai participé à une formation des militaires aux aspects éthiques et juridiques du Vih/Sida.

Cette année l’Unifem m’a demandé d’introduire dans la proposition de loi sénégalaise relative au Vih/Sida, des aspects de genre pour une meilleure prise en charge, des droits des femmes face au Vih/Sida. En effet, on s’est rendu compte que la loi type proposée pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre en matière de Vih et qui doit inspirer les législations internes des Etats ne s’est pas appesantie sur l’aspect genre. Or, il y a une sensibilité du genre qu’il faut nécessairement prendre en compte lorsqu’on légifère en matière de Vih/Sida. Les plus vulnérables face à la pandémie du Sida, ce sont les femmes et les chiffres l’ont montré. Elles sont les plus atteintes et les plus fragiles face aux discriminations et stigmatisations multiples lorsqu’elles sont porteuses du virus.

L’Unifem tenait donc à ce que les lois qui sont adoptées dans les pays tiennent largement compte de l’aspect genre. Étant donné qu’au Sénégal il y a une proposition de loi qui était en gestation, elle a sauté sur l’occasion et ensemble nous avons essayé d’introduire dans cette proposition de loi les questions ayant trait au genre de façon générale et en particulier aux droits des femmes.

Justement où est-ce que vous en êtes avec cette proposition de loi ?

C’est une proposition de loi qui est déjà élaborée et qui a fait l’objet de discussions entre les parlementaires, les membres de la société civile, les spécialistes du Vih/Sida, l’association des Personnes vivant avec le Vih/Sida, les partenaires au développement, les spécialistes etc....

Cette proposition de loi sur le Vih/Sida a fait l’objet aussi de multiples corrections. Elle n’est pas encore adoptée, mais nous lançons un appel pour qu’elle le soit, parce que la protection des Personnes vivant avec le Vih/Sida y est largement assurée à tous les niveaux : assistance, traitement, confidentialité, dépistage volontaire, protection des partenaires, information, éducation, formation, protection contre toutes les discriminations et violation des droits des PvVih etc ... Les personnes infectées doivent être protégées par leur entourage, leur famille, leurs enfants et leur partenaire. Ces personnes affectées doivent bénéficier aussi de la protection et des mesures importantes de prévention sont proposées dans cette proposition de loi. Donc encore une fois nous lançons un appel à l’endroit de l’autorité pour que cette proposition de loi soit adoptée le plus tôt possible.

Où est ce que vous avez mené la dernière étude sur les aspects légaux du Vih/Sida et qui en étaient les cibles ?

Cette étude était commandée par Osiwa en collaboration avec l’Unifem. Elle fait la synthèse des documents produits par les consultants venant de dix-huit (18) pays de la sous-région, des pays francophones et des pays anglophones. Les termes de référence demandaient un état des lieux des instruments juridiques relatifs au Vih/Sida dans les différents pays. Donc les consultants de ces différents pays ont mené des recherches sur les droits des personnes victimes du Vih et ont essayé de faire une analyse du système juridique par rapport à des questions d’une importance capitale, tels que les droits humains, les relations au sein du couple, le contexte socio-culturel, le dépistage prénuptial, la question de la contamination volontaire etc. Chacun des consultants devait dans son pays interroger un certain nombre d’acteurs directement impliqués dans la question du Vih/Sida. Ces acteurs sont les parlementaires, les leaders d’opinions, les leaders religieux, les chefs coutumiers traditionnels, les travailleurs sociaux et bien sûr les Personnes vivant avec le Vih. Et toutes ces personnes interrogées ont donné leur avis sur les différentes questions éthiques et juridiques liées au VIH/Sida. Les conclusions permettront à chacun des états d’élaborer une législation de protection des personnes infectées ou affectées.

Quelle a été la spécificité de chaque étude menée ?

Les dix-huit consultants ont eu les mêmes termes de références puisqu’ils devaient répondre aux mêmes questions. Sur ces questions, on s’est rendu compte qu’il y a des pays qui sont plus en avance que d’autres en ce qui concerne l’élaboration d’une législation relative au Vih/Sida. C’est le cas du Mali, de la Guinée, du Bénin et du Togo qui ont chacun élaboré une loi. Dans les autres pays, il y a, les initiatives, qui sont en cours, c’est le cas, par exemple, du Sénégal, de la Mauritanie, du Tchad, du Burkina Faso. Dans la plupart des pays de la sous-région, il y a des initiatives en cours. Des commissions se réunissent, des avant-projets, des propositions ou des projets de loi existent.

Maintenant sur la question de savoir quels sont les problèmes socio-culturels, évidemment il y a quelques différences, mais fondamentalement les problèmes sont presque les mêmes dans ces dix-huit pays. C’est toujours le système patriarcal avec son impact sur les femmes qui sont victimes de discrimination, de violences qui font l’objet de pratiques telles que le lévirat, le sororat, les mutilations génitales féminines etc. C’est au niveau des religions qu’on peut trouver des différences selon les pays parce qu’il y a des difficultés crées, avec le fondamentalisme que l’on peut retrouver dans tel ou tel pays. Mais globalement il y a les mêmes problèmes dans les pays africains, même s’il y a des exceptions qui sont liées par exemple à la situation de guerre. Car il y a des pays qui ont connu la guerre et où la situation des femmes a été très difficile parce que tout simplement ces femmes ont été des instruments de guerre pendant les conflits. Elles ont été victimes de viols et autres actes barbares. En somme, sur le plan social il n’y a pas beaucoup de différence entre les pays.

Par rapport au secret médical évoqué tantôt, est ce qu’il est respecté au Sénégal ?

J’ai eu à discuter avec des médecins et beaucoup parmi eux tiennent au secret médical. Au départ, rares étaient les médecins qui révélaient une possibilité de passer outre le secret médical. Aujourd’hui, l’autorité du secret médical peut s’affaiblir lorsque la personne, après plusieurs phases de counselling refuse de révéler son infection à son partenaire avec qui il a des rapports sexuels non protégés. Au Sénégal, les médecins tiennent au secret médical, mais face à l’attitude de certaines personnes irresponsables qui refusent de révéler leur statut à leurs partenaires, il ne serait pas étonnant que certains médecins transgressent ce principe fondamental.

Et si un médecin ne respecte pas le secret médical, que dit la loi, quelles sont les sanctions prévues ?

De façon générale, la violation du secret médical est sanctionnée pénalement. Ces sanctions vont de l’emprisonnement à l’amende parce que le secret médical est d’une importance capitale. Il se justifie par le fait que pour les raisons professionnelles certaines personnes peuvent être amenées à avoir des informations qui touchent à la vie privée des personnes et pour établir la confiance entre l’homme de l’art et le patient, le secret médical doit être respecté.

Donc, le secret médical est fondamental, parce qu’il protège la relation de confiance entre le médecin et le malade, il protège la vie privée du patient ce qui est fondamental parce que la vie privée d’une personne doit rester secrète.

La confidentialité est importante pour toutes les maladies y compris le Vih/Sida. Les difficultés ne surviennent, que quand une personne est infectée et le sachant continue à avoir des relations sexuelles non protégées avec les partenaires. Que faire alors pour sauver autrui et la communauté ? Il faut reconnaître qu’il y a des personnes qui sont infectées et qui n’hésitent pas à faire le tour de la ville le soir pour avoir des relations sexuelles non protégées avec des personnes innocents et qui en rient après. Tout cela constitue un problème. Et dans certains pays, les lois qui sont en train d’être élaborées sanctionnent cette attitude de contamination volontaire qui suppose que la personne sache qu’elle est infectée, qu’ayant des relations avec une autre personne, elle peut lui transmettre la maladie et qui le fait de façon volontaire donc en sachant tous les tenants et les aboutissants de son acte.

Qu’est que la loi prévoit aussi si la personne vivant avec le VIH- Sida est source de stigmatisation ?

La stigmatisation est interdite au Sénégal, parce que le Vih est une maladie, une douleur, une souffrance. Elle n’est d’autre qu’une maladie. La personne atteinte du Vih souffre, ajouter une stigmatisation serait à la limite détruire cette personne et c’est ce qui fait que la stigmatisation est insupportable et que les lois tiennent à sanctionner la stigmatisation à l’encontre des Personnes vivant avec le Vih., que cette stigmatisation se produise dans les entreprises, dans le milieu familial. Partout, elle est interdite. Quant à la contamination volontaire, elle est pénalement réprimée parce que c’est un acte de manque de solidarité et une méchanceté qui est sanctionnée par le droit.

Les personnes qui commettent de tels actes risquent combien d’années d’emprisonnement ?

En cas de transmission volontaire, la proposition de loi prévoit que les auteurs et complices soient condamnés de cinq à dix ans sans sursis possible et à une amende de deux à cinq millions de francs Cfa. Quant la personne répète la même faute, elle est punie de la peine maximale.

Pour la violation de la confidentialité, la proposition de la loi sénégalaise sur le Vih/Sida prévoit un emprisonnement de six mois et une amende de 50 à 300 000 F Cfa pour la personne qui viole l’obligation de la confidentialité. Mais, des exceptions sont prévues, il y a des cas où il est permis de révéler la maladie et de remettre en cause la confidentialité. C’est lorsque le personnel de santé donne un avis à l’autorité judiciaire compétente au cours d’une procédure. Dans ce cas, la confidentialité est levée. Il y a aussi une exception importante, c’est quand la personne infectée elle même donne son consentement au médecin pour qu’il révèle son statut sérologique.

 



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