Déterminé à devenir le hub de l’économie numérique en Afrique de l’Ouest, le Sénégal s’est doté d’un arsenal réglementaire et d’un écosystème pour favoriser le développement des start-up. Si le pays fait figure d’exception francophone parmi les poids lourds continentaux de la Tech, il se démarque aussi par la place qu’occupent les femmes dans ce secteur.
Alors que les start-up africaines ont levé 2 milliards d’euros en 2019, en hausse de 74% sur un an, le Sénégal confirme sa position de hub dominant en Afrique francophone avec 16 millions de dollars levés. Le résultat de ses multiples initiatives pour permettre aux start-up de se développer. Espaces de coworking, multiplication des incubateurs, incitations fiscales et facilitations administratives avec l’entrée en vigueur du Start-Up Act fin 2019 : tout est fait pour favoriser l’essor des jeunes pousses, le gouvernement s’étant fixé comme objectif de créer 35 000 emplois dans le secteur de la Tech d’ici 2025. Une dynamique qui fait la part belle aux femmes entrepreneures.
Aujourd’hui, l’écosystème numérique sénégalais compte 30 % de femmes - contre 10% en France, selon le baromètre StartHer-KPMG 2019 sur les levées de fonds des start-up Tech dirigées par des femmes. Une donnée remarquable au vu des défis qu’elles ont à relever(éducation, conservatisme culturel, difficile accès au financement). Si de plus en plus de filles et de femmes embrassent les filières techniques,« c’est notamment le résultat de plusieurs programmes de l’État pour les encourager à rester à l’école (comme le projet Scofi) et à poursuivre dans les filières scientifiques et d’ingénieries », relevait en 2019 l’Organisation internationale du travail dans son Diagnostic du secteur numérique au Sénégal, qui recensait 8 149 femmes sur les 21 187 employés dans le secteur. En 2004, déjà, la création d’un fonds national de promotion de l’entrepreneuriat féminin doté d’un budget initial d’un milliard de francs CFA ambitionnait de faire des femmes, qui représentent 52% de la population, le fer de lance du développement sénégalais.
Figures emblématiques
Mais c’est en tant qu’entrepreneures et leaders qu’elles se distinguent. « Aujourd'hui, la technologie au Sénégal est dirigée, animée et inspirée par des femmes, relève ainsi Tidjane Deme, associé du Fonds Partech Africa et Directeur général Google pour l’Afrique francophone. Et on retrouve des femmes à la tête de tous les incubateurs technologiques sénégalais. » À commencer par Niang Niox Fatim, Directrice exécutive deJokkolabsDakar, premier espace de coworking d’Afrique de l’Ouest et célèbre incubateur qui compte aujourd’hui plus de 600 entreprises accompagnées.
Valorisées à l’occasion de Forums dédiés, les femmes entrepreneures de la Tech sénégalaise ont des profils très variés, à l’image de Fatou Kiné Diop, fondatrice et PDG de E-Tontine, qui propose depuis 2015 aux populations non bancarisées un système d’épargne moderne s’inspirant de la traditionnelle tontine ; de Nafissatou Diouf, co-fondatrice à 22 ans de la start-up Senvitale, un carnet de santé numérique qui renseigne sur les données médicales du patient, ou encore de Boussoura Talla Guéye, ingénieure télécom et co-fondatrice de SeTIC, le premier centre de recyclage des déchets électroniques au Sénégal.
Structures et initiatives clés
Certaines ont pu bénéficier d’un accompagnement particulier. De fait, si le pays dispose d’un écosystème d’accompagnement des start-up très dynamique, des incubateurs et des fonds ciblent spécifiquement l’entrepreneuriat féminin. C’est le cas notamment deWomen’incub, un incubateur qui s’adresse aux femmes travaillant hors de Dakar et non francophones. Lancé en 2020, il a déjà accompagné une vingtaine de projets. De son côté, Sonatel (Orange) a mis en place Linguère Digital Academy, un programme d’accompagnement en ligne gratuit permettant de travailler les aspects essentiels des projets. Ces initiatives nationales s’ajoutent aux incubateurs panafricains tels que Entreprenarium qui, depuis 2016, accompagne cent femmes au Gabon, au Rwanda et au Sénégal dans le développement de leur entreprise, ou encore le programmede l’ONU EtradeforWomen, qui vise à faire des femmes entrepreneures du numérique un vecteur de création de richessedans les pays en développement. Actif dans vingt pays, il compte sept membres au Sénégal.
Côté financements, les start-up créées par les femmes parviennent à capter 17% des transactions totales, selon le dernier rapport annuel de Partech Africa. Une situation largement perfectible, que tentent d’améliorer des fonds ciblant les femmes entrepreneures, comme le Women’s Investment Clubcréé en août 2020à Dakar, premier du genre en Afrique occidentale francophone. Présidé par Fatou Niang Ndiaye, ce club d’investissement regroupant plus de 80 membres s’est fixé comme objectif de donner aux femmes un accès privilégié aux instruments financiers modernes.
Contraintes familiales à lever
En ciblant les profils africains et français susceptibles d’apporter des solutions aux défis de l’époque, le programme Young Leaders de la French-African Foundation contribue aussi à accélérer la carrière de profils féminins clés dans le secteur de la Tech, à l’image d’Aminata Kane, nommée PDG d’Orange Sierra Leone après avoir été Directrice marketing d’Orange Money au Sénégal. Ce programme, dont la campagne de recrutement2021s’achèvera le 21 mars, sélectionnera et rassemblera 100 candidats dans le strict respect de la parité et leur apportera les outils du leadership.
Si le Sénégal fait assurément figure de bon élève en matière de représentation féminine dans la Tech,« les contraintes familiales restent un frein et ne sont pas prises en compte par les politiques publiques », nuance Fatou Sow Sarr, présidente du Réseau africain pour le soutien à l'entrepreneuriat féminin (Rasef). Les diverses initiatives en faveur de l’entrepreneuriat Tech féminin gagneraient à être approfondies afin d’accroître leur présence dans ce secteur créateur de richesses dansdes domaines aussi variées que l’éducation, la santé, l’agriculture, la médecine ou la finance.Un enjeu de taille alors que les femmes ont fait preuve de leur capacité à relever les défis structurels et innover pour le bien commun.
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