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les Njaago dans la nasse wolof : la stigmatisation joyeuse

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les Njaago dans la nasse wolof : la stigmatisation joyeuse

Comme si le Manjak n’est pas, en plus d’être une ethnie reconnue comme telle, une langue codifiée au Sénégal ! Ils sont pourtant victimes d’une stigmatisation joyeuse de la plupart des Sénégalais. Ni hôtes ni étrangers vivant parmi nous, ils sont étiquetés njaago.  Une expression que certains assimilent à un racisme inconscient contre cette communauté transnationale, besogneuse et fière de ses traditions et d’une identité dont l’aspect le plus remarquable est ce pagne dit Sëru njaago, tant prisé par les… wolofs dans les cérémonies familiales. Un peu après 12 heures, le portail du collège privé Hyacinthe Thiandoum, du nom du défunt chef de l’Eglise catholique sénégalaise, grouille de ses élèves. La porte du bus de transport attend les potaches au bord de la voie étroite qui jouxte l’établissement. Jean bleu retroussé, chemise uniforme ouverte pour contrer la chaleur du zénith, une élève sue à grosses gouttes. A l’intérieur de l’établissement, le rigoureux standardiste fait attendre dans le hall, garni des portraits du Président Abdoulaye Wade, du Pape Benoît XVI et du Cardinal Théodore Adrien Sarr : «Il sort à 13 heures. Veuillez patienter», nous dit-il les yeux fixés sur le cahier de présence. Quelques minutes plus tard, une sonnerie décrète la fin des cours et les enseignants émargent pour sortir. François Mendy est l’un d’entre eux.
Aux premiers mots, ce Manjak de petite taille introduit d’emblée le sujet, comme s’il était pressé de se confier. «C’est une communauté pleine de mythes.» Mais lui, préfère ne pas en parler et renvoie à un de ses collègues. Joe Gomis. Un Sénégalais d’origine Bissau guinéenne que nous avons trouvé ensemble chez lui, après avoir quitté le collège Thiandoum. «Il est mieux habilité à vous expliquer», nous rassure François.
La communauté Manjak, souvent stigmatisée en njaago par les Sénégalais, est méconnue par les «compatriotes» de Joe Gomis. Alors, «Le Quotidien nous donne l’opportunité de nous faire connaître.» Joe est le directeur de l’Ecole Kër Mère Theresa (Ndlr : Maison Mère Theresa, en langue wolof). Un lieu de charité et de bienfaisance pour populations démunies. Cet homme, au teint noir et au visage rond, est fier de son «être» et de son  «vécu» de manjak. Les lettres alphabétisées de K-ë-r (Mère Theresa), sont faites exprès, puisque Gomis et sa communauté veulent alphabétiser «même les lettrés» perdus dans les incertitudes de la langue française à travers leur association villageoise dénommée Kajië manjako : la diaspora manjak. «Moi, c’est Rosalie qui m’apprend la langue manjak», témoigne Pierre Gomis, un des nombreux manjak qui ne connaissent que Dakar.  Rosalie est une des figures de cette communauté. On la présente comme une manjak qui a la langue et la culture dans le cœur. Une véritable cheville ouvrière qu’on trouve au début et à la fin des manifestations de la communauté.
Manjaku ou Manjak vient du Portugais. Et Joe de faire un peu d’histoire en décomposant : man (moi en wolof) et njaagu ( Manjak). Il précise qu’à leur arrivée au Sénégal, le manjak se présentait : «Moi, je suis manjak». En wolof : man njaago. Mais à l’origine, souligne-t-il, on les appelait Bëlëpër. Un regret : «Dommage que manjaku soit plus connu.»

CŒUR DE MERE THERESA  
A Kër Mère Thérésa, règne un calme d’après midi qui n’est perturbée que par les gazouillements d’oiseaux affairés autour de petites flaques d’eau constituées autour d’une borne fontaine. Quand son téléphone sonne, Joe Gomis décroche et d’une voix posée, prend rendez-vous avec son interlocuteur. Une brève conversation pour ne pas interrompre l’entretien. Et il relève la tête pour dire : «Oui, allez-y. Je disais…» Pour exprimer toute sa «fierté» d’être un manjak, François appuie Joe en rappelant que les noms de famille Gomis, Mendy, Preira, Da Sylva, Da Costa, Corréa, etc., sont d’origine portugaise. La nostalgie de retrouver les Babo-sine ou encore les na-pit (noms d’origine) se lit sur les visages et se voit dans les hochements de tête de regret. Pris par le «mal nécessaire» de la colonisation, qui a imposé les Gomis (qui est l’équivalent de Gomez au Cap vert, au Portu-gal…), le jeune homme indique que «notre rêve est de reprendre le nom originel plus authentique, mais pas celui sur le papier». Explication passionnée : «Nous voulons nous réhabiliter avec des éléments d’identité.»
Trapu sans être forcément nain, ce sont deux signes distinctifs du manjak originaire de la région naturelle de Casamance. Mais ce sont deux attributs physiques qui renvoient à une autre valeur, selon Joe Gomis. «Nous sommes toujours humbles. Nous ne nous élevons jamais.» A l’image de la danse manjak où les pieds et les mains vont toujours vers le bas. «Jamais vers le haut», mime-t-il. Quel rapport avec les «cousins» Joola ? «Oui, nous venons pour la plupart de Ziguinchor ; nous avons la même forme physique parce que nous sommes des forestiers», élucide Joe Gomis qui, lui, n’entre cependant pas dans le lot. «Moi, je suis un peu long de taille, parce que j’ai grandi ici et c’est le milieu (Grand-Yoff) qui détermine l’homme», philosophe-t-il.

«ÇA ME FAIT MAL QU’ON M’APPELLE NJAAGO»
L’appellation njaago rime avec des expressions wolof synonyme de rejet, pestent Joe et François. Au Sénégal, pour présenter sa domestique, on dit : «Sama (mon ou ma, la première personne) njaago la.» Silence, ça ne se dit pas ! Le Manjak n’aime pas le «je». «Il n’est pas égoïste. Cela est révélateur d’une sous estimation que les compatriotes ont des manjak. A la longue, ils sont prêts à les rebaptiser, à les titulariser», constate-t-on. C’est comme si, poursuit-il, «nous retournons à l’ère de l’esclavage. Cela blesse intérieurement». Le problème, pense François Mendy, c’est que «les africains aiment posséder les gens». Bizarre ! Peut-être que c’est la revanche sur la colonisation ! Et pour François Mendy, s’agissant des Njaago, même dans le royaume manjak, le champ d’action du roi est limité. C’est que le Manjak est un «non conquérant et il est difficile d’être son chef. Il est pacifique, mais ingouvernable parce qu’il tient à son honorabilité et refuse d’être nui». Pour ne pas regretter, ne le provoquez pas, surtout pas d’injures contre lui. Sinon la bagarre sera interminable. Offensez-le avec des «hana man jaago la» et vous verrez !
Les Manjak se sentent frustrés, exclus. Cependant, reconnaît, Joe Gomis, «c’est nous-mêmes qui donnons l’occasion d’être étiquetés Njaago. Nous nous excluons nous-mêmes». Ce que ne partage pas forcément Pierre Gomis qui dit n’être point ébranlé. «Je réclame ma sénégalité de toute façon». En tous les cas, M. Gomis retient qu’«on ne s’entend pas avec les Sénégalais alors que nous sommes des Sénégalais à part entière». A force de se frotter avec les Sénégalais, concède Victor Sagna, gérant de l’Atelier de la communauté mandjaque (Acoma), on finit par s’habituer à ce genre de caractérisations.  «C’est un problème de mentalité», résume-t-il.

RITES ET TRADITIONS
Le nom est très important pour la communauté manjaku et les cérémonies rituelles en sont une particularité. Le nom renvoie à la famille, comme dans d’autres communautés. Mais ici, en plus du nom qui indique que l’enfant est le fils de telle ou telle autre famille, il renseigne sur les moyens de la descendance elle-même. Sur son héritage.
C’est ainsi qu’à la naissance et après avoir été baptisé au septième jour, on peut avoir un prénom qui signifierait que l’enfant est à protéger, béni, prédestiné à un grand dessein... «Donc, le nom est toujours un message à la communauté», soutient-on. A la croisée des chemins, à hauteur d’un carrefour par exemple, le premier aperçu sera retenu comme parrain de l’enfant, ou alors considéré comme un ou une promis(e) pour un mariage futur. François Mendy a vécu un tel cas, même si finalement «(il) a dérogé à la règle».
Quand ce sont les funérailles manjaku, c’est là la grande distinction. Le test grandeur nature qui honore le manjak. «Si vous n’organisez pas les funérailles pour vos parents, vous n’avez plus de considération.» Des funérailles qui coûtent cher puisque le défunt doit emmener avec lui sa provision. Le manjak, à la fois cultivateur et éleveur, doit sacrifier plus de la moitié de son troupeau. Et en général, il faut qu’il y ait une chèvre au moins, celle-ci étant considérée dans le milieu comme un animal béni. Le mort devra ensuite se munir de sa valise. Le jour des funérailles, le nom du défunt est abandonné. Plus personne ne doit en reparler. Pour une séance rituelle mortuaire, on organise une simulation : sur une civière, est allongé un corps couvert par le pagne manjak ou pagne njaago. Un vide qui laissera place à un trop-plein d’incantations qui finiront par doper les quatre tenants de la civière. «C’est tout un mythe», souligne Pierre Gomis. Du vin, il en faudra pour communier avec «ceux qui ne sont pas là».
Au grand désespoir de Joe Gomis, ces rites tendent à disparaître parce que les temps ont changé ! Les dépenses excessives imposées par l’organisation des funérailles ne sont pas à la portée de tous. Comme François, l’enseignant qui n’a plus de troupeaux !

LE PAGNE IDENTITAIRE
Un tour à Caritas, situé à Fass, sur l’Avenue Cheikh Anta Diop de Dakar, face à l’Ecole les Manguiers, la grande porte cache une des «merveilles» manjaku. «Il faut entrer pour découvrir ce qui s’y fait», lance fièrement un adulte. A l’intérieur, un hangar en zinc pyramidal. Une sorte de poulailler qui accueille des tisserands, mais pas n’importe lequel. Ce sont des njaago occupés à nouer les fils des pagnes en tissant l’outil artisanal de confection avec les deux pieds et les deux mains. A l’accueil, Victor Sagna, un sexagénaire qui officie comme directeur de cette coopérative manjak. De la fenêtre, un chaud soleil éclaircit et mais chauffe le bureau. Des tissus enchevêtrés comme dans la toile d’une araignée, aux motifs «typiquement» njaago qui servent de décoration aux chambres d’hôtels, à la confection de sacs à dos, de cartables, de porte-documents, etc. Victor, sanglé dans sa grande chemise lagos, explique : «Ce sont ces motifs qui sont imprimés sur les bandes à l’aide des bobines. Tenez-vous bien, ce sont les seuls dans toute  la sous région.» Nostalgique des allers-retours effectués par ses pieds, il tisse par simulation avec les mains : «La technique est simple : avec les tissus, on raccorde, on tire avec les bâtonnets et à la chaîne puis, à deux, on passe la navette.»
C’est là également que le fameux pagne manjak ou encore Sëru njaago rappelle ses beaux jours. Ce genre de tissu, rappelle-t-il, existait avant même l’arrivée des toubabs. C’est aujourd’hui la marque traditionnelle de la communauté manjak. Pour ne pas dire «son» signe distinctif. «Ah Sëru njaago…», dit-il, s’imposant du coup un silence nostalgique. «Vous savez, les jeunes d’aujourd’hui sont un peu déconnectés de la culture. Voir par exemple un titulaire de baccalauréat tisser, il faudra vraiment en chercher.»
Pourtant, dans la culture manjaku, le Sëru njaago est «célébré» dans les cérémonies comme le mariage. Quand il s’agit du baptême, on enveloppe le bébé avec, tout comme pour la mort, la circoncision et les funérailles. «ça représente beaucoup de choses», souligne-t-il. Le tissu et, par extension, le pagne manjak, est aujourd’hui une matière et un produit pour les modélistes et les stylistes. Collé Ardo Sow et Aïcha Ndione ne diront pas le contraire. L’entreprise dénommée Acoma emploie près de 25 personnes avec une masse salariale variant entre un et deux millions de francs Cfa, selon M. Sagna. Faible revenu sans doute, mais «le Manjak aime travailler», fait remarquer Pierre Gomis. Victor voudrait bien revoir ses ambitions à la hausse par des séminaires de formation et l’appui du Ministère de l’Artisanat. Pour que le pagne ne se déchire pas !

LES MOTS DEVIENNENT DES MAUX
Au bout du fil, lorsqu’il a entendu njaago, le saltimbanque Ndiogou Mbengue alias Sa Ndiogou s’est marré avec un brin d’humour et d’amour de son métier. Il a choisi une voix rauque pour imiter les Manjak. Dans une de ses émissions, il a parlé de weeru njaago (le mois des njaago) faisant allusion à la fin du mois, comme d’une période qui serait exclusivement celle de cette communauté. «Ce sont mes amis et mes voisins.» Ainsi aime-t-il taquiner cette composante de notre pays. Mais Sa ndiogou ne sera pas le seul. Sama njaago, Xeexu njaago (disputes sans fin), autant d’expressions wolof qui sont entrées dans nos habitudes. Mais quand on dit : «Hana man njaago laa», c’est un mot de trop. Pour les Manjak, c’est comme s’ils sont autre chose. Et sama njaago la qui désigne, ma domestique veut tout dire. Ce ne sont pas des expressions «joyeuses» et cela frise la stigmatisation. 



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