Joyce est rappeuse sous le nom de scène de Preta Rara ("Nègre Rare") et professeure d'histoire brésilienne. Mais avant cela, elle était employée domestique ("empregada domestica") dans des familles brésiliennes. Elle a commencé à raconté les abus de cette forme d'esclavage moderne sur Facebook. Des milliers d'autres femmes l'ont suivi. Témoignage.
"Joyce, vous avez été embauchée pour cuisiner pour la famille, pas pour vous. S’il vous plaît, ramenez votre propre marmite et une paire de couverts, et, si possible, mangez avant nous sur la table de la cuisine. Vous n’y êtes pour rien ma fille, mais il faut maintenir le bon ordre de la maison."
J’ai été employée domestique (empregada) pendant 7 ans, et même si cette époque est aujourd’hui révolue, je pense encore souvent aux mots de cette femme qui fut ma patronne – la dernière. Elle m’avait embauchée comme cuisinière, mais je ne pouvais pas utiliser les mêmes ustensiles que le reste de la famille pour me faire à manger, comme si je souffrais d’une maladie grave et contagieuse.
Le 19 juillet dernier, seule chez moi, j’ai eu envie de partager cette mésaventure sur mon mur Facebook. Je ne m’attendais pas à l’ampleur que ce petit récit prendrait.
Nos patronnes disent qu'on est de la famille...
Immédiatement, plus de 500 personnes m’ont demandée en amie. Je me suis donc décidée à créer une page Facebook où je pourrais continuer à raconter mes anecdotes d’empregada, mais aussi inciter celles qui l’avaient été ou le sont toujours à raconter leur quotidien.
Qui sait, peut-être pourrions-nous ensemble changer la situation de ces femmes, dont les patronnes disent qu’elles font partie de la famille, mais qui ne sont jamais traitée comme leurs chers et tendres ?
C’est devenu viral. Les empregadas ont commencé à raconter ce qu’il se passait entre les quatre murs de la maison de leurs patrons, en utilisant le hashtag #euempregadadomestica ("moi, employée domestique"). Je me doutais que certaines personnes s’identifieraient à mes histoires, mais pas à ce point. Un mois après sa création, la page compte 120.000 abonnés.
Preta Rara lors d'une rassemblement politique à São Paulo. (Sérgio Koei)
24 heures sur 24 à laver les saletés
Ici, au Brésil, la question des travailleurs domestiques reste encore très liée à la celle de l’esclavage. Un esclavage qui n’a pas vraiment eu de fin, en fait. Le traitement que subissaient les domestiques aux 17e, 18e et 19e siècles s’apparente à celui des employées de maison aujourd’hui
Les familles de riches ont des empregadas à la maison, 24 heures sur 24. Ils n’en ont pas vraiment besoin, non, mais c’est une question de statut social. Pour faire bien. Ça montre qu’ils ont de l’argent, en tous cas assez pour payer quelqu’un à laver toute leurs saletés.
Encore aujourd’hui, la plupart des patrons pensent que les employées domestiques sont leur propriété privée. Ils ont du mal à envisager ce travail comme une prestation de service. Ils doivent pourtant le considérer en tant que tel, et leur offrir des salaires équitables.
"On ne boit pas de ça ici. Tu peux le ramener chez toi"
Plusieurs cas d’humiliation persistent. Je me souviens de cette fois où j’avais fait des courses pour la famille dans laquelle je travaillais. J’avais acheté du lait bon marché, de la marque que je consomme dans ma famille. Mon patron s’est mis en colère : "Peut-être que dans ta favela tu achètes ce lait de pauvre, mais on ne boit pas de ça ici. Tu peux le ramener chez toi."
Hors de moi, je lui ai répondu : "S’il n’est pas bon pour vous, il ne l’est pas pour moi non plus." J’ai pris mes affaires et je suis partie, sans même réclamer mon salaire.
Récemment, le fils d'une femme de 76 ans a raconté sur ma page Facebook l'histoire de sa mère. Celle-ci est empregada depuis plus de 30 ans dans le même foyer. L'ascenseur de service – réservé aux employés – était en panne, mais on ne l'a pas laissé monté dans l'ascenseur principal, celui des résidents. Elle a été contrainte de grimper huit étages. Les empregadas, ça ne prend pas les ascenseur des patrons. Ce sont des choses qui arrivent encore, en 2016, au Brésil.
6 millions d'employés domestiques
Après mes années en tant qu’empregada, j’ai repris mes études. Cela fait 5 ans que je suis professeure d’histoire. En parallèle, je suis chanteuse de rap. Mon nom de scène, c'est Preta Rara, "Négresse rare".
Aujourd’hui, il y a toujours 6 millions d’employés domestiques au Brésil, dont la quasi-totalité sont des femmes. J’espère qu’elles continueront à s’exprimer sur le Facebook de "Moi, employée domestique".
C’est d’ailleurs pour ça que j’ai nommé la page ainsi. Pour qu’elles parlent en leur nom, sans qu’on le fasse à leur place.
Propos recueillis et traduits du portugais par Julia Mourri.
5 Commentaires
Anonyme
En Août, 2016 (18:26 PM)C'était trop beau pour être vrai : ce qu'il nous montre et ce qui existe vraiment : quelle différence !!!!!!!!!
Anonyme
En Août, 2016 (21:15 PM)Anonyme
En Août, 2016 (01:41 AM)Anonyme
En Août, 2016 (08:13 AM)Anonymeyo
En Août, 2016 (15:27 PM)Participer à la Discussion