Le politologue et poète d’origine sénégalaise, Papa Ibrahima Seck, nous a quittés subitement le vendredi 20 fevrier à l’Hôpital Cochin à Paris. Agé de 56 ans, membre emblématique de la diaspora sénégalaise, l’homme était d’une élégance exceptionnelle. Toujours courtois, sensible aux règles de bonnes manières, académique jusque dans son art de vivre, il incarnait à la fois les valeurs du village, les vertus de la connaissance et la dignité de l’homme africain.
Cet universitaire, polyvalent, avait voué sa vie au savoir, à la réhabilitation de la culture africaine et à la solidarité avec ses semblables. Son cursus universitaire était riche et diversifié. Il était titulaire d’une double thèse d’Etat en « Lettres et Sciences Humaines » et en Science Politique. Il était également chargé de mission auprès du Centre de Recherche et de Documentation Africaine et professeur conseiller du CROUS de l’Académie de Versailles.
Sa rigueur intellectuelle et son approche du savoir comme globalité l’avaient poussé, en dépit de son impressionnante formation, à acquérir d’autres diplômes dans des domaines aussi variés que le management ou le droit canonique.
Son intérêt pour les questions socio-éducatives, dont il était spécialiste, remontait à sa prime enfance, en 1960 à Gossas, lorsqu’un jeune camarade de classe, Momar, fut renvoyé de l’école à cause de son incapacité, disait-on, à suivre l’enseignement en français alors qu’il était doté d’une grande acuité. Le jeune Papa Ibrahima subit cette mesure comme une injustice et vécut l’absence de son ami comme une amputation de sa personne. Ce « choc de l’enfance » détermina par la suite sa trajectoire et ses choix.
Il s’intéressa, dès le début de sa vie de chercheur, à la problématique de la « crise du système d’éducation nationale en Afrique » qu’il attribua à l’inadaptation du système scolaire aux réalités africaines. Il écrira, à ce sujet, un livre devenu une référence incontournable, intitulé : La stratégie culturelle de la France en Afrique où il développa l’une de ses hypothèses majeures sous forme d’équation fondamentale : « COLONISATION = CANALISATION ». Une approche où il mit en lumière la dépendance des élites africaines par rapport aux mécanismes de domination du système colonial et postcolonial.
Papa Ibrahima Seck participa activement à nombre d’initiatives en France durant toute la décennie des années 90, notamment aux activités du Groupe Sahel Recherche à la Maison des Sciences de l’Homme à Paris. Il était souvent membre de jurys de thèses de doctorat et accompagna de nombreux étudiants africains dans leur formation à la recherche.
Poète, d’une verve pure et raffermie, il était notamment l’auteur d’un recueil intitulé Sangomar dont Edouard Glissant dira qu’il révélait une poésie authentique se déclinant « sur un ton de confidence qui n’évoque pas d’abord le salon mais le chemin de trace où on accompagne un ami ». C’est ce sens élevé du compagnonnage, c’est-à-dire du partage du chemin avec l’autre, qu’il développa toujours en lui pour rester proche des palpitations du monde.
A force de cultiver cette posture de proximité, Papa Ibrahima Seck finit par être « l’homme de tout le monde ». C’est pourquoi, Paris l’a pleuré avec des larmes du cœur. Une foule considérable d’amis est venue, en effet, cette semaine à deux reprises à la morgue de l’hôpital Cochin pour lui adresser l’ultime hommage dédié aux hommes qu’on n’oublie jamais.
Derrière chaque homme porteur d’étoiles, il y a une femme qui en est la source lumineuse. A Amy, son épouse, l’énergie de son inspiration, à ses enfants, ses amis de tous horizons, à la communauté sénégalaise de France j’adresse, et à travers moi la voix multiple de tous, les meilleures prières et pensées pour celui qui incarne dorénavant une espérance collective par son œuvre humaine.
Sa poésie, comme il le dira lui-même dans Sangomar, « s’adresse à tous les hommes mais surtout à l’enfant, adulte de demain, qui n’a pas demandé à naître et attend beaucoup de nous. »
Papa Ibrahima Seck sera inhumé le vendredi 27 février à Kaolack, ville où vit sa famille.
Babacar SALL
Sociologue et éditeur
Article paru aujourd’hui, vendredi le 27 février 2009 dans Le Quotidien.
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