Bruno Metsu : « Les Bleus arrivent, alors qu'on ne les attend pas ou on ne les attend plus »

Bruno Metsu connaît bien les Bleus • Il les a battu comme coach du Sénégal lors du précédent Mondial • Entraîneur des Emirats arabes unis, il a suivi la préparation de l'équipe de France à la loupe • Et se confie à Libération.fr •

Quel est l'impact psychologique de la blessure de Djibril Cissé sur le groupe ?
Evidemment, c'est doublement traumatisant pour une équipe à six jours d'un premier match au Mondial. Le groupe s'est lié, avait créé des groupes d'affinités et Cissé avait, en plus, gagné du respect parce qu'il avait arraché aux forceps une place de titulaire. Mais passé le choc, l'instinct de compétition va reprendre le dessus, le « show must go on » et, paradoxalement, l'absence de Cissé ouvre pas mal de portes à Raymond Domenech pour tenter de modifier ce qui ne va pas ou compenser des lacunes…

Le déséquilibre du milieu et l'animation du flanc droit ?
Bien sûr. Domenech a prévu et prévenu au moins trois joueurs en attente, au moins un par ligne. Mais il n'est pas sûr que ce soit ceux-là qu'il appelle. En tout cas, le choix qu'il fera déterminera clairement l'option tactique des Bleus. Soit il cherche un Cissé bis, un attaquant pur jus, et alors ce sera Nicolas Anelka dont la percussion, la capacité d'ouvrir des espaces et le sens tactique n'ont guère de concurrent. Soit il cherche à renforcer le couloir droit, et un Giuly s'impose, ou, à la rigueur, un Govou (qui vient d'être rappelé par le sélectionneur, ndlr). Soit il souhaite renforcer un milieu qui se cherche avec un Micoud. Anelka, Giuly ou Micoud, comme Domenech, doivent remballer leur orgueil.

Pourquoi Vieira est-il si fantomatique ?
Son cas est inquiétant, indépendamment de la pubalgie qu'il a traîné à la Juve cette saison. On dirait que son changement de statut, du « King » d'Arsenal, au quasi-anonymat de la Juve, l'a touché. Là, en plus, il n'évolue pas en milieu récupérateur axial, son poste fétiche, mais à droite. Mais comme Vieira a une tendance naturelle a repiquer vers l'intérieur lorsqu'il est positionné à droite, du coup, il favorise la création de jeu à gauche. S'il avait un milieu droit à ses côtés, il serait plus performant, plus animateur. Il pourrait perforer et jouer des ballons dans la profondeur, à l'image de ce qu'a réalisé hier Zidane pour Henry. Mais si Vieira reste positionné comme il l'est, on a vu ce que cela avait donné. Malouda évoluait à contre-emploi, sur la même ligne que Vieira et Makelele et Zidane compensait par un abattage certes physiquement intéressant, mais dispersant. Enfin, jouer avec un seul récupérateur est peut-être possible contre le Togo, comme hier, lors du remplacement de Vieira par Ribery, mais difficilement jouable face à la Suisse.

Quelle serait votre option favorite ?
Elle passe peut-être par un schéma tactique qui n'a pas été tenté par Domenech jusque là. Avec Henry seul en pointe, Zidane en appui derrière, avec Malouda sur sa gauche et Ribery à droite. La titularisation d'entrée du joker donnerait un impact formidable à l'attaque. Surtout quand on sait que jusqu'à présent, Ribery n'a pas encore joué au poste qu'il occupe à l'OM. Et puis, quand Zidane et Ribery ont joué ensemble hier, on a tout de suite vu leur complémentarité, voire leur complicité potentielle. Quant on sait que devant, Henry a par ailleurs adoubé Ribery. Ils sont plus complémentaires que la paire d'attaquants de pointe Henry-Trezeguet, qui n'occupent pas assez la largeur du terrain.

Quid des zones d'ombre qui pèsent encore sur la charnière défensive ?
Là, je ne suis pas inquiet. Thuram n'a plus l'abattage athlétique d'avant, mais il compense par le positionnement, la vision du jeu, l'anticipation. Avec Gallas à ses côtés, c'est du haut de gamme. Il y a juste quelques réglages à effectuer pour éviter le laissez-aller qui a donné le tir repoussé par Barthez ou le pénalty concédé sur une faute de marquage. Mais, vous verrez, face à la Suisse, ce sera beaucoup plus resserré.

Jusqu'où peut aller l'équipe de France ?
Loin. Ils arrivent dans un contexte de revanche à prendre, sans l'étiquette de favori ou de tenant du titre collée sur le maillot qui a donné les fiasco de 2002/2004. Ils arrivent, alors qu'on ne les attend pas ou on ne les attend plus, comme en 1998/2000. Moi qui n'entraîne qu'à l'étranger, je note tout de même que les meilleurs joueurs sur le terrain, jusqu'à présent, sont Abidal/Malouda/Ribery. Trois joueurs qui évoluent tous dans le championnat de France. A l'image du Sénégal que j'entraînais lors du précédent Mondial. Voilà qui permet de relativiser la faiblesse supposée de la Ligue 1…