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ENTRETIEN AVEC… Amara Traore, ex-coach adjoint des Lions : «On cherche à organiser notre incompétence»

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ENTRETIEN AVEC… Amara Traore, ex-coach adjoint des Lions : «On cherche à organiser notre incompétence»

Une phrase et c’est le tollé. Vendredi dernier, devant le Conseil de la République pour les affaires économiques et sociales (Craes), le ministre des Sports, Daouda Faye «Vava» s’est laissé aller à une «petite» confidence : «Sur un budget de 1,5 milliards de francs Cfa dépensé lors de la Can 2006, chaque Lion a encaissé une prime 30 millions francs Cfa contre 50 pour chacun des deux entraîneurs, avec seulement une place de demi-finaliste à la clé.» Une phrase et c’est l’ébullition. Au sein d’une «tanière», révoltée par cette «fausse révélation» (Lamine Diatta) et pour qui le ministre a, «une nouvelle fois» (Coly), passé la ligne de la décence. Alors, Amara Traoré, ci-devant coach-adjoint des Lions lors de la Can égyptienne, est bruyamment sorti de sa longue «réserve d’après-Can» afin de blanchir, aux yeux de l’opinion publique, les millions de la «tanière». Chiffres à l’appui, mots à la volée, il s’emploie avec sa verve naturelle à rétablir «la vérité sur les primes», à lever davantage le voile sur leurs traitements, à évoquer le présent flou de la sélection nationale de football.

Est-ce que c’est ce qui s’est passé avec l’enquête judiciaire sur l’argent du football en 2002 qui vous pousse à dire qu’il faut mettre les choses au clair ?

C’est pour cela que je dis qu’il ne faut pas polémiquer, mais apporter des précisions. Surtout quand on voit avec ce qui se passe dans le football, si on veut rester tranquille et même par rapport à nos familles. Je n’ai jamais dis à ma famille que j’ai touché des sommes pareilles, parce que je ne les ai pas touchées. Donc, on est obligé de demander qu’on tire cette affaire au clair. Comme vous dites, ce qui s’est passé en 2002, il y a des suites judiciaires. Donc des rectifications s’imposent et c’est facile à vérifier. Car dans la semaine, on peut savoir combien les joueurs et les entraîneurs ont touché en Egypte…

A entendre les réactions des joueurs, toute la «tanière» manifeste son désaccord avec le ministre, parle d’incompréhension…

C’est le même sentiment d’incompréhension que nous avons tous. C’est vrai que cela ne fait pas plaisir. Parce que quand tu rentres chez toi, tu dis à tes enfants ou à ta femme qu’à la Can on a gagné cela et qu’une voix autorisée dit le contraire, cela fait le désordre un peu dans les familles. Moi, je connais certains joueurs qui n’utilisent pas leurs primes. Ils donnent cela à la construction des mosquées. Je peux en témoigner car la plupart d’entre eux m’envoient leur famille pour que je les aide. Ils ne touchent même pas aux primes, ils aident les gens. Des fois, ils m’envoient leurs frères, leurs cousins ou même des amis pour toucher leurs primes.

Pour tirer les choses au clair, comment les primes ont été fixées pour la Can ?

Même si on avait gagné la Can, les joueurs n’auraient pas 50 millions. Le premier tour, c’est 7 millions, le deuxième tour 5 millions, c’est-à-dire, si tu gagnes les quarts de finale. Si tu gagnes les demi-finales, je crois c’est 12 millions et la victoire en finale, c’est 20 millions. Donc c’est 7 millions, 5 millions, 12 millions et 20 millions. Si tu gagnes la Can, tu as en tout et pour tout 46 millions. Voilà ce qui a été fixé et on le retrouve dans un document signé par les joueurs, par la Fédération et par le ministère.

En plus, c’est même gênant de parler d’argent comme ça. C’est pas dans notre culture, on vit dans un pays où on n’a pas l’habitude d’entendre ces chiffres-là ; c’est vraiment très gênant. Cela fait deux jours que Ablaye Sarr et moi, nous ne sommes bien et même les joueurs. Quand on te dit que tu as reçu tout cela, alors que ce n’est pas la vérité, il y a un problème. Quel problème ?

Voyez, c’est la deuxième fois que l’autorité énumère ce que Ablaye Sarr et moi touchons. Pourtant, avant nous, il y avait des gens qui étaient là et il n’a jamais dit combien ils touchaient. Car les primes n’ont pas changé, on touche les mêmes primes que les autres entraîneurs qui nous ont précédés. Et même moins, car nous, nous n’avons pas de primes d’objectifs.

Y a-t-il pas des relents de conflits personnels entre votre duo et le ministre ?

Je ne peux pas parler à la place du ministre, mais pour ce que je sais, on dirait qu’il y a des relents de haine quelque part. Pas seulement pour nous, mais pour les entraîneurs locaux. Lorsqu’on dit que les entraîneurs locaux doivent être relégués au second plan, alors qu’on a les mêmes compétences et les mêmes formations que les étrangers, ça pose problème. Nous sommes au Sénégal et on vit des discriminations du genre, les mêmes qu’on vit là-bas en Europe, sans verser dans l’excès… On fait une carrière en Europe, ensuite on fait une formation de haut niveau avant de rentrer chez nous. Aujourd’hui, nous sommes des cadres qui sommes rentrés chez nous, qui ne demandons pas des postes mais seulement à travailler chez nous. Mais on voit des choses qui n’encouragent pas. J’ai lu Pape Fall (ancien international sénégalais des années 80-90) abonder dans le même sens : «Nous sommes des joueurs qui ont une certaine connaissance et qui se sont formés pour venir apporter dans le domaine que nous maîtrisons notre contribution.» Mais est-ce que cet environnement-là est créé ? c’est cela la question.

Au-delà du complexe du blanc souvent agité, y a-t-il un manque de respect envers les techniciens locaux ?

Quand on dit que les entraîneurs locaux sont passés au second plan, c’est comme si on disait que les directeurs de société de la Senelec ou de la Sonacos doivent passer au second plan, c’est la même chose. Vous voyez ça…Mais on a beaucoup de soutiens, il y a des autorités qui nous appuient et qui croient en nous, c’est cela qui nous motive.

Avez-vous une fois eu le soutien du ministre ?

Avec le ministre, c’est non ! On n’a pas ces rapports. Depuis la fin de la Can on l’entend toujours, il parle des entraîneurs étrangers, il dit tout le temps que les entraîneurs locaux doivent passer au second plan. Depuis que nous sommes rentrés de la Can, on est resté dans nos familles pour ne pas gêner le choix de l’autorité. On vit dans un pays où il faut respecter la hiérarchie. On est allé chez nous pour s’occuper encore du football. Le football ne se résume pas en Equipe nationale. Je suis à Saint-Louis et j’apporte ma contribution à la Linguère. Je suis en train de financer les championnats des minimes et des benjamins de la Ligue de Saint-Louis avec mes propres moyens. Depuis le début, vous ne nous avez jamais entendu parler. Il n’y a qu’une seule personne qui parle et cela fait mal à nos familles. Tout ce qu’elle dit est dévalorisant pour nous. C’est comme si on était en train d’organiser notre incompétence. Mais pour respecter l’autorité, on n’a rien dit. Maintenant, quand tu entends certaines choses, tu es obligé d’apporter certaines précisions pour rétablir la vérité.

Mais ne vous êtes pas trop tus, même quand on vous a donné des salaires de 3 millions alors que les étrangers, comme Metsu ou Stephan, touchaient 13 à 15 millions…

On peut le dire, mais cela ne nous gêne pas. On estime qu’on vit dans un pays africain et il faut qu’on apporte notre contribution. On ne peut pas demander certaines sommes. La différence entre ce qu’on nous paye et ce qu’on paye à un entraîneur étranger peut être utilisée pour développer un autre secteur. Déjà avec l’argent qu’on gagne, on le partage avec nos compatriotes. Il faut faire des sacrifices quand on veut participer au développement de son pays. Combien de fois nous sommes restés sans salaire et on a continué à travailler. Même pour cette Can 2006, on a été payé la veille de notre départ, à 15 minutes du départ, du décollage de l’avion pour Le Caire. Pourtant, les contrats ont été signés depuis octobre. On a continué à travailler parce que nous aimons notre pays. Partout où on peut apporter notre contribution, on ira le faire, parce que c’est notre football et personne ne viendra le développer à notre place. Que ce soit en club et même s’il faut même aller au fin fond du Sénégal. C’est notre passion on l’aime, c’est pourquoi on le fait.

Aujourd’hui, nous les entraîneurs sénégalais, que nous avons les compétences pour diriger notre équipe. Est-ce que pour 6 matches en 2 ans, il faut aller chercher quelqu’un et le payer 13 millions, 15 millions ? Dans cette poule-là, on a besoin de personne pour qualifier notre équipe, nous on peut le faire et ramener la Coupe d’Afrique. Avec tout le respect que je dois au Burkina Faso, à la Tanzanie et les autres pays qui composent le groupe du Sénégal pour les éliminatoires de la Can 2008, la question est de savoir s’il faut payer tout cet argent pour 6 matches en 2 ans. Là où un Ablaye Sarr gagne 3, 5 millions et Amara Traoré 3 millions. Car ce sont les véritables chiffres de notre traitement salarial. Et même pour cela, il fallait batailler ferme.

Est-ce que le fait que vous acceptez d’être payés beaucoup moins que les entraîneurs étrangers n’induit pas une certaine échelle des valeurs ?

On peut le dire, mais la compétence est là. Et quelqu’un peut travailler pour son pays sans salaire. On a longtemps travaillé ici sans salaire, ce n’est pas l’argent qui nous a guidés. Comme lors du dernier match contre la Norvège, alors que nos contrats étaient finis. On mérite autre chose que ce traitement que l’autorité veut nous soumettre. On est resté ici des mois sans salaire, on est parti en Coupe d’Afrique, on a terminé quatrième, malgré tout ce qui s’est passé avec l’arbitre qui nous a refusé deux penalties en demi-finale. On a remis de la confiance dans le jeu, on est demi-finaliste là où il y avait combien d’entraîneurs, J’ai entendu des gens dire que l’Equipe du Sénégal n’a plus besoin de progression mais de gagner mais ces mêmes gens-là (Ndlr : on devine derrière Alain Perrin) ont été virés quelque part. Celui qui dit ça n’a qu’à aller à Porstmouth (Premier League anglaise). Portsmouth ne cherche plus à progresser, il cherche à gagner. Marseille, c’est pareil. Il faut tout relativiser.

Contre la Norvège, on n’était plus sous contrat, mais on a amené notre équipe. Parce que c’est notre équipe ! Seulement, il faut donner du temps au temps. Je pose une question un exemple : Arsène Wenger, cela fait combien de temps qu’il est à Arsenal ? cela fait dix ans, c’est maintenant qu’il vient d’arriver en finale de la Ligue des Champions. Mourinho, il était à Porto, il a gagné la Ligue des Champions ; vous pensez qu’il est à Chelsea pour gagner le championnat d’Angleterre ? C’est pour la Ligue des Champions et il a fait deux ans et il ne l’a pas encore gagné. Pourtant, il l’avait gagné avec Porto. Capello avec la Juventus, c’est pareil. Même Trapattoni, en 2002, il était le sélectionneur de l’Italie, il est arrivé en quart de finale mais on ne l’a pas limogé. On lui a laissé le temps de travailler. Il est parti à l’Euro 2004 et on l’a éliminé au premier tour. C’est pourquoi, il faut toujours relativiser.

On nous parle aussi de vécu, mais parmi les gens qui sont là, celui qui a le vécu de sélectionneur, c’est Trapattoni peut-être. Ces gens-là, on a plus de vécu qu’eux. Nous, pendant cinq ans, on était sur le banc de touche de l’Equipe nationale. Ablaye Sarr, cela fait combien d’années qu’il est sur le banc ? Moi, je suis là depuis Bruno Metsu. Et jusqu’à présent, je suis adjoint de Ablaye Sarr.

Est-ce que le problème de fond, ce n’est pas l’environnement du football et de la sélection ?

Quand on voit ce qui se passe depuis un certain temps, nos clubs ne gagnent pas, nos joueurs partent de moins en moins en Europe. Et puis quand on regarde ce qui se passe au niveau du ministère et de la Fédération, il se pose un problème d’environnement et c’est ce qu’on a mis dans nos rapports. Le football, c’est d’abord un environnement. Vous avez vu comment notre nomination s’est passée. Un entraîneur a besoin de la confiance de tous ceux qui sont autour de lui. Dans cette Coupe d’Afrique, on a senti la confiance de la Fédération.

Vous n’avez pas senti la confiance du ministre des Sports ?

J’ai dit que nous avons senti la confiance de la fédération. C’est à vous de juger… Certains joueurs ont parlé d’un environnement malsain qui a pesé sur la performance de l’équipe.

Non, c’est l’environnement avant la Can. Mais au cours de la Can, l’équipe était bien traitée, ben logée et a beaucoup travaillé. Même des joueurs sont venus nous voir nous dire : «Coach, merci j’ai bien travaillé, j’ai progressé.» Car nous, on est allé en Europe détecter des jeunes qu’on a amené dans l’équipe à petite dose. Tout ce travail là a été fait en quatre mois. On a voulu assurer la transition. Mais aujourd’hui, on demande du temps. Les entraîneurs sénégalais demandent du temps. Je peux résumer la situation comme ça : l’entraîneur sénégalais demande du temps, un environnement et les moyens de travailler.

On parle de gens qui étaient à l’interne et qui travaillaient à créer un climat de contre-performance pour l’équipe ?

C’est vrai qu’il y avait un climat de méfiance. C’est cela la vérité. L’ambiance était un peu lourde avant la Can, mais entre les joueurs, l’encadrement il n’y avait aucun problème, on a bien travaillé. C’est peut-être cela qui nous a aidés à aller en demi-finale. On a protégé l’équipe le maximum possible. Alors que nous avions tous les mêmes objectifs : c’est le Sénégal qui gagne. Comme le dit le Président Wade, «c’est le Sénégal qui gagne». Ce n’est pas Amara Traoré.

Au soir de votre qualification en quart de finale qu’on peut qualifier de miraculeuse, le ministre aurait dit à quelqu’un : «Voyez vos entraîneurs que vous avez choisis, vous les journalistes.» Est-ce que cela n’a pas créé une cassure en vous ?

Pour vous parler, sincèrement, je n’y ai pas cru. J’avais dormi avec l’idée selon laquelle ce n’était pas vrai. Je me suis dit que ce n’est pas possible. Mais les développements, dans le bus, à l’hôtel etc., j’ai compris…

A suivre



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