Elle fait fureur au Sénégal et caporalise l’attention de toutes les générations et en particulier les plus jeunes. Tous rêvent aujourd’hui d’avoir le même destin que Yékini, Baboye, Tyson, Bombardier, Modou Lô et j’en passe. Malgré cette belle vitrine qu’elle offre, la lutte sénégalaise, n’en est pas moins une mare à problèmes latents. Sport favorisé des Sénégalais, la lutte compte aujourd’hui beaucoup d’adeptes surtout dans sa version avec frappe. Même si par ailleurs, il existe différentes formes de lutte, avec la lutte simple, la lutte olympique ou gréco-romaine et la lutte avec frappe. C’est cette dernière, une spécificité bien sénégalaise qui fait fureur aujourd’hui. L’arbre qui cache la forêt.
Dire que la lutte a atteint aujourd’hui le firmament, serait un pur
truisme. Ce sport est aujourd’hui le seul au Sénégal, à drainer beaucoup
de monde, mobilisé beaucoup d’argent et de sponsors. Toutefois, cette
vitrine est craquelée. Cette belle apparence n’est en fait que l’arbre
qui cache la forêt de problèmes. Le cas des managers, la mésentente
entre l’Association des anciens lutteurs que dirige Manga 2 et celle des
« mbeury demb » pilotée par Toubabou Dior, la primauté de la lutte avec
frappe sur celles dites simple et olympique, le cas du Comité national
de gestion qui refuse de se muer en fédération avec la « complicité » de
la tutelle, la guéguerre entre les promoteurs, sont autant d’embûches,
qui un jour ou l’autre risquent de faire s’écrouler l’édifice.
Même s’il est vrai que le cheval de Troie des acteurs de la lutte
semble être la construction de l’arène nationale, il n’en demeure pas
moins qu’une attention mérite d’être portée à d’autres. Outre ceux dont
nous venons de faire l’énumération, il devient aujourd’hui impérieux de
s’occuper de l’éducation des lutteurs. Ces derniers ont, en effet,
besoin d’être édifiés sur la santé du sportif et les méfaits des
substances anabolisantes. Pour un sportif de haut niveau, il est
inconcevable de ne pas être au diapason du dopage, de ses conséquences
et des substances interdites par l’ensemble des Fédérations
internationales à travers le Comité international olympique (CIO) et
l’Agence mondiale anti-dopage.
Les conflits d’intérêts foisonnent en même temps que prolifèrent
les écuries et les écoles de lutte. Le business semble attirer tous les
vautours qui veulent dépecer les charognes. Ainsi le conflit entre les
anciens lutteurs et les managers est encore frais dans les mémoires. Ces
derniers ne voulant pas accueillir les premiers dans leurs rangs les
avaient poussés à créer leur Association et leur propre championnat qui
entrait de fait en concurrence avec le CLAF (championnat de lutte avec
frappe) qu’organise le Don King sénégalais, Gaston Mbengue. Une
situation qui même si elle a fait des heureux lors de la saison écoulée,
semble ne pas faire le bonheur des lutteurs sous l’emprise de « mbeury
demb ». Ce qui fait dire à Modou Seck, un commerçant trouvé en pleine
discussion sur la lutte que, « ces derniers sont sous le coup d’un
certain ostracisme de la part des promoteurs et risquent pour la
plupart, sauf changement, de faire année blanche. Pour des gens, à la
fleur de l’âge, et qui n’ont que ce sport pour gagner leur vie, rester
une année sans revenu, risque d’être lourd de conséquences ».
La dernière polémique qui a alimenté l’opinion avec la signature
du contrat de lutte entre Balla Bèye 2 et Balla Gaye 2, est une parfaite
illustration de l’ambiance qui règne dans ce milieu. Même si par
ailleurs, la signature d’un contrat est une affaire privée, qui se gère
entre les différentes écuries et les promoteurs, Moussa Sarr, un
passionné de lutte pense que « le CNG se doit de la règlementer en
mettant des garde-fous. Par exemple, aucun promoteur ne doit jeter une
sorte d’OPA sur un lutteur en lui faisant signer des contrats qui le
lient pour pratiquement une saison, empêchant du coup les autres de
réaliser des affiches qui peuvent leur rapporter gros ». Il faut à son
avis assainir les relations entre les promoteurs eux-mêmes, et ceux-ci
et les lutteurs. La balle est donc dans le camp du CNG.
Un moyen de chasser le spleen
Pourtant, la lutte est une activité sportive très vieille dans
notre pays. Sa pratique a accompagné selon certains, le peuplement de ce
qui est aujourd’hui, le Sénégal. Jadis, elle se pratiquait après les
récoltes ou au retour des jeunes pêcheurs qui aimaient se mesurer à
travers cette activité sportive. Baye Modou Guèye est un vieux de le
vieille qui a vécu cette époque. « C’était pour nous une manière de
déprimer après les longs séjours en mer. Pour chasser le spleen, on
luttait après avoir débarqué les prises. Souvent ces combats,
généralement de la lutte simple, était le prolongement des défis que les
jeunes lutteurs se lançaient en haute mer. Tout se passait dans la plus
grande amitié », se souvient ce vieux pêcheur qui vit aujourd’hui de
ses souvenirs. Loin de s’arrêter sur les plages, elle avait aussi
atteint l’hinterland pour se pratiquer à la place du village, surtout
les soirs de pleine lune. Elle regroupait les jeunes bras du village et
souvent même sous formes de tournois qui se disputaient entre les jeunes
de toute la contrée. « Le champion remportait souvent des sacs de mil,
des bœufs,… », se rappelle notre interlocuteur.
Un mélange de sport et de culture
Si la lutte est attrayante, c’est grâce à son coté festif. Au-delà
des empoignades, le folklore qui l’entoure et qui précède les combats,
lui assure un coté spectaculaire. En plus d’être un sport, la lutte est
aussi, un très grand vecteur culturel avec, les gris -gris, les « backs
», le « ndawrabine », le « touss », ou le « Jow gaal » (la simulation
des gestes de rameurs des pirogues de régate dans les stades)…, qui
symbolisent un ancrage culturel.
Le « touss », est effectué par le ballet de l’écurie. C’est une
chorégraphie exécutée au rythme du tam-tam, et accompagnée de cris de
guerre pour galvaniser le lutteur du jour. Il est à l’exemple du back.
La différence, c’est que le back est fait par un lutteur qui ne combat
pas. C’est pour lui le moment de s’auto-glorifier, de raconter ses faits
d’armes, mais aussi de défier ses potentiels challengers.
Le « ndawrabine » et le « Jow gaal » (Mime des gestes de rameurs
des pirogues de régate dans les stades), se retrouvent dans des
manifestations organisés par les lébous. Ce sont des aspects culturels
distinctifs de cette ethnie.
Le plus spectaculaire est l’utilisation des gris-gris. On les
appelle les xons, les « xondiomes », le « xorom »… mais toutes ces
appellations renvoient à l’utilisation des gris-gris. « C’est un
héritage bien vivant des croyances animistes ». Au-delà de son aspect
folklorique, c’est « un véritable fait de société », qui symbolise toute
une tradition ancestrale. « Qu’on y croit ou non, pratiques obscures
pour les uns, hygiène de vie pour les autres, ces rituels
magico-religieux font partie de notre quotidien. Certains esprits des
plus rationnels reconnaissent qu’ils y croient, chacun a au moins un
exemple pour témoigner de l’existence de tel ou tel procédé surnaturel
», lit – on dans un document parlant de la question.
Les millionnaires en « nguimb » sont dans la place
Le fait marquant aujourd’hui, c’est l’intérêt grandissant de la
lute au sein des jeunes générations. Les écoles de lutte et les écuries
naissent comme des champignons. Phénomène social, la lutte est de nos
jours, une alternative contre le chômage chronique des jeunes
sénégalais. Depuis l’avènement de la Génération « Bull Fallé » qui a
révolutionné la lutte en y apportant un coté moderne, les jeunes ont
trouvé là aujourd’hui, un moyen de se faire des sous. Il suffit juste
d’avoir des muscles protubérants pour faire partie de la nouvelle race
des millionnaires en « guimb ». Le phrasé qu’ils emploient revient comme
un leitmotiv. « Nous n’avons pas de métier. On a que la lutte pour
aider nos parents et faire notre avenir », lancent-ils. Ce qui sonne
comme un écho au propos de Mohamed Ndao Tyson, leader de la Génération «
Bull Fallé » et « théoricien du sport business ». Le mérite du Comité
national de gestion (CNG) de la lutte que dirige le Dr Alioune Sarr, «
c’est d’avoir réussi la professionnalisation de la lutte et d’avoir
gagné la bataille de l’autonomie financière », ainsi que le soulignait
du reste avec force respect et admiration, l’ancien ministre des sports
le Dr Bacar Dia. Aujourd’hui, les Bombardier, Yékini, Eumeu Sène, Balla
Gaye 2, Lac 2, Modou Lô, Issa Pouye, Ama Baldé, Papa Sow, Zoss, Bathie
Séras et d’autres qui n’ont pas atteint leur renommée, en ont fait leur
business, leur gagne-pain.
Reconnue comme étant le sport national au Sénégal, la lutte a fini
d’écrire ses lettres de noblesse et de gagner ses galons. Naguère
pratiquée sur les plages ou à la place publique des villages, elle était
l’occasion pour les jeunes hommes de se mesurer, de se mettre en valeur
aux yeux de leurs dulcinées et de gagner en renommée. Aujourd’hui ce
sport qui a traversé les âges, s’est professionnalisé et est devenu une
affaire de gros sous. Sa forte modernisation a commencé avec l’avènement
de Moustapha Guèye et s’est accentuée avec l’entrée en scène de Mohamed
Ndao Tyson et sa Génération « Bull Fallé ». Aujourd’hui, le flambeau
est repris par des jeunes comme Eumeu Sène, Balla Gaye 2, Lac 2, Modou
Lo, Issa Pouye…
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