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LILIAN THURAM, INTERNATIONAL FRANCAIS DE FOOTBALL : « Pour éradiquer le racisme, il faut aller à la racine. Et l’esclavage, voilà la racine »

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LILIAN THURAM, INTERNATIONAL FRANCAIS DE FOOTBALL : « Pour éradiquer le racisme, il faut aller à la racine. Et l’esclavage, voilà la racine »

Après les deux premier jets, nous vous proposons la troisième et dernière partie de l‘entretien exclusif que Lilian Thuram, international français du Fc Barcelone a accordée à Achille Mbembé. Il s’est déroulée à Johannesbourg au lendemain de son passage à Dakar pour les besoins de la lutte contre la maladie de la trypanocytose

Je reviens tout de même à l’autre partie de ma question. Pourquoi vos amis Henry, Zidane, Vieira, Keke et les autres – pourquoi se taisent-ils ?

Attendez. Je ne sais pas.

Vous n’allez pas me demander de leur poser directement la question, à eux ?

Il faut leur poser la question, à eux. Je peux tout de même dire qu’en règle générale, ils pensent comme moi. Après, chacun … On discute de …

Vous discutez de ces choses entre vous ?

Oui, oui, bien sûr. Ils sont blessés eux aussi.

Au début de la compétition en Allemagne, des gens se posaient la question de savoir si les Français se sentaient « représentés » par ce que beaucoup appelaient « cette équipe ». Comment avez-vous vécu cette suspicion au sein de l’équipe ?

Elle était blessante. Car, qu’est-ce que ça veut dire de poser cette question dans ces termes ? Ça veut tout dire. Ça veut dire : « Est-ce que vous ne pensez pas qu’il y a trop de Noirs, et donc ce n’est pas l’équipe de France ? »
Si l’équipe de France avait fait un mauvais résultat, qu’est-ce qui se serait passé ? C’est très grave et les gens ne s’en rendent pas compte. C’est pour cela qu’il faut ouvrir une réflexion à ce propos. Se poser ce genre de questions veut dire que l’éducation de la population n’a pas été faite. Celle-ci ne comprend pas qu’il y ait des Français noirs. Or, c’est l’histoire qui l’a voulu. Et comme on n’a pas appris l’histoire ….

Comment expliquez-vous l’extraordinaire visibilité des Français d’origine africaine (récente ou lointaine) dans le foot et l’athlétisme et leur quasi-invisibilité dans des domaines tels que les lettres, l’administration, le commerce et les affaires, la politique, l’université et les médias ?

Pour les classes défavorisées, le plus facile pour se sortir de la difficulté, ça a toujours été le sport. Car en sport, il n’y a pas de place pour les préjugés. Il y a vos qualités, et c’est tout. Je veux dire : « On fait du 100 mètres. J’arrive le premier, j’arrive le premier ! ». En règle générale, ceux qui réussissent dans le sport, ce sont ceux qui sont dans une certaine précarité. Ils sont capables de souffrir pour y arriver. C’est la raison pour laquelle l’on trouve peu de sportifs issus des milieux aisés.
Tout en reconnaissant que cela ne règle guère les problèmes de structure, beaucoup d’observateurs étrangers ne comprennent pas qu’après tant de siècles de vie commune, d’une commune destinée, la France ne dispose toujours pas, à l’exemple des Etats-Unis, de ses Colin Powell, de ses Condoleeza Rice, de ses Thurgood Marshall, Oprah Winfrey, Barak Obama.
Le plus important n’est pas de produire des Colin Powell ou des Condoleeza Rice à la française. C’est le type d’idéologie que véhicule quelqu’un comme Sarkozy. En France, ce dont nous avons besoin, c’est d’une plus grande égalité.
Aux Etats-Unis, c’est vrai qu’ils ont Colin Powell, Condoleeza Rice, Oprah Winfrey. Mais lorsque l’ouragan Katrina s’est abattu sur la Nouvelle Orléans, qu’est-ce qui s’est passé et qu’avons-nous vu ? Quand on visite les prisons américaines, qu’y trouve-t-on en majorité ? L’espérance de vie d’un jeune noir américain est-elle la même que celle d’un jeune blanc ? Que veut-on dire ? Que demain, s’il y a quelques Noirs au pouvoir en France, eh bien, ce sera mieux pour tous les Noirs ?

Quel est le fond du problème à votre avis ?

Le fond du problème, c’est une plus grande égalité. Le fond du problème, c’est une éducation différente. Faut-il un journaliste noir au journal de 20 heures ? Très bien. Mais à condition que cela ne cache point la misère du plus grand nombre.
Le fait que l’équipe de France de football soit composée en majorité de Noirs et de Maghrébins ne prête donc à aucune conséquence pratique ou culturelle.
Ces Noirs ou Maghrébins, on les accepte. Mais est-ce que cela change quelque chose pour le Noir ou le Maghrébin ordinaire qui va chercher du travail ou qui cherche à louer un appartement ? Ou encore pour celui qui va en boîte de nuit et on ne le laisse pas entrer ? Il ne faut pas masquer les choses derrière des faux-semblants.

Et c’est le genre d’arguments que vous faites valoir au sein du Haut Conseil à l’Intégration dont vous êtes membre ?

J’y parle surtout de mon vécu et de ce que l’on pourrait faire. D’ailleurs, je dois avouer que le mot « intégration » me dérange. Souvent, on s’y réfère pour parler des gens qui arrivent en France en ce moment. Mais on tend à oublier qu’il existe de vrais problèmes pour ceux qui y sont déjà. Il y a, par rapport à ces derniers, une énorme ambiguïté. Tout se passe comme s’il s’agissait de Français de seconde catégorie. Tout se passe comme s’ils ne jouissaient pas de tous les droits.

Dans ces conditions, que dire, par exemple, aux jeunes des cités ? Comment cultiver, en eux, la conscience d’une citoyenneté pleine et entière ?

Aux jeunes, j’ai dit : « Brûler les voitures, ça ne sert à rien. C’est n’importe quoi. Allez voter ! Allez voter parce qu’en votant, vous forcerez l’écoute. Vous ouvrirez des portes. Arrêtez de dire que vous n’êtes pas Français. Parce que c’est faire le jeu des forces qui cherchent à vous abandonner sur le bord de la route ». Moi, je suis Français et fier de l’être. Et comme je suis fier d’être Français et que je trouve que « cette France-là » n’est pas en accord exact avec elle-même et ses principes, alors j’essaie de tout faire pour changer les choses. Parce que, sinon, on vous met de côté et on ne s’intéresse à vous que comme facteur de nuisance.

Nous allons vers la fin de cet entretien. Des figures telles que Aimé Césaire, Frantz Fanon, Maryse Condé se sont efforcées, en leur temps, de repenser la relation entre les Antilles et l’Afrique. Que signifie pour vous l’Afrique ? Que reste-t-il de cet héritage ?

Aimé Césaire, Frantz Fanon, Maryse Condé et plusieurs autres ont accompli un énorme travail. Si, aujourd’hui, nous, jeunes Antillais et Français, sommes conscients de notre histoire, c’est grâce à eux. Le travail qu’ils ont accompli, chaque génération doit le reprendre pour son propre compte et l’embrasser comme le sien propre. Il y a en effet un travail de conscience qu’il faut poursuivre. Une grande partie des Antillais, aujourd’hui, savent d’où ils viennent. Pourtant, par rapport à l’Afrique, nous n’avons pas été éduqués à cette conscience. Nous avons été éduqués à l’oubli, à la honte de ce qui a été, à la honte de l’esclavage, à la négation de nous-mêmes. Nous avons été éduqués à penser que l’esclavage a fait des Noirs des hommes. C’est précisément Victor Hugo qui le disait. Il disait que l’homme blanc a fait du Noir un homme. Cela ne peut pas rester.

Et vous, votre propre rapport à l’Afrique ?

Mon rapport à l’Afrique est très simple. Je sais que mes ancêtres viennent d’Afrique. Hier, j’étais au Sénégal et à Gorée. C’était un moment fort qui n’a fait que renforcer ce que je pensais déjà. J’ai deux enfants. L’un s’appelle Marcus. Son nom fait signe à Marcus Garvey. L’autre s’appelle Kephren, en référence à l’Égypte ancienne. Il faut absolument accomplir ce travail qui consiste à redonner la dignité à ceux qui en ont été privés par la force des choses. Gandhi disait : « Il est plus honteux d’avoir été esclavagiste qu’esclave ». Je n’ai pas honte de mon histoire. Cette histoire est fondamentale si, en France, nous voulons renverser les choses et contourner le racisme. Pour éradiquer le racisme, il faut aller à la racine. Et l’esclavage, voilà la racine. Une publicité, une banderole, cela ne suffit point. On interpelle les gens, certes. Mais il faut remonter aux profondeurs. Il faut remonter à l’esclavage pour comprendre ce qui s’est passé. Des gens ont mis en place un système esclavagiste parce que, là encore, il y avait le gain et le profit. Et donc, à partir du moment où on met en place un système, il faut le cautionner. C’est tout comme de nos jours. On entreprend une guerre et il faut la justifier idéologiquement. Alors on prétend qu’ils ne sont « pas comme nous ». Ou encore : « Ce sont des bêtes. On va les sauver. Leur faire la guerre, c’est bien pour eux ». L’esclavage ne concerne pas que les Noirs. Il concerne tous les hommes.

Dans cette lutte, y-a-t-il des exemples historiques qui vous servent d’inspiration ?

Prenez Rosa Parks. Un matin, elle refuse de laisser sa place dans le bus et de rejoindre le compartiment réservé aux « gens de couleur ». Elle dit : « Aujourd’hui, non. J’en ai marre. Je refuse ». Ce refus ne fait pas seulement avancer les Noirs, mais tout le monde. Il en est de même de Mandela, de son combat et de la fin de l’apartheid. En France, on a fêté le 10 mai 2006 la commémoration de l’esclavage. Encore, dans les manuels d’histoire, on tâtonne. On se demande : «Est-ce qu’il faut faire ceci ? Qu’est-ce qu’il faut faire ?» Ce n’est pas normal. Pourtant, que ne gagnerait-on pas en éduquant les gens ?

Que comptez-vous faire après le foot ?

Je me donnerai à fond pour la lutte contre la trypanocytose. Je voudrais également jouer un rôle pour éduquer les gens à se respecter et à se connaître. Par quel biais ? Je ne sais pas.

Après la Coupe du monde, les championnats réguliers reprennent bientôt. Comptez-vous retourner à Turin ?

Il y a très peu de chances que je retourne à Turin. La Juventus a été reléguée en deuxième division. J’espère qu’il y aura un autre club qui aura besoin de moi. ( Ndlr : Thuram s’est engagé avec l’équipe de Barcelone pour la saison 2006-2007).
Cela devrait pouvoir être réglé facilement. Eh bien, on ne sait pas, hein ? On ne sait pas. Là, j’ai 34 ans. Je vais vers la 35ème. Ce n’est pas évident pour les clubs.
Ceux qui vous ont vu récemment à l’œuvre en Allemagne auront du mal à vous croire.
Quoi ! Seriez-vous par hasard un dirigeant de club ?



1 Commentaires

  1. Auteur

    Allons Y Molo

    En Octobre, 2010 (18:37 PM)
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