
20 heures à Dakar ! Les dernières lueurs crépusculaires du soleil commencent à sombrer dans le noir… tout comme une bonne partie de la banlieue plongée dans la pénombre. A Golf Sud, commune du très populeux département de Guédiawaye, les phares des véhicules en circulation sur cette artère à fort trafic, font office d'éclairage à la place d'un réseau public complètement défectueux. Sur cet axe qui borde la très sélecte cité résidentielle Aliou Sow (défunt propriétaire de la Cse), aucun lampadaire public n'est allumé. Les habitants, plongés dans les ténèbres, ont fini par s'habituer à cette situation, source d'une insécurité galopante. Ici, les cas d'agression sont aussi fréquents que banals.
"Je viens juste d'assister à une scène de vol à l'arrachée. Un gars sur un scooter a chipé le sac à main d'une dame. A la suite d'une course-poursuite, le gars a finalement jeté le sac", souligne Birame Coundoul, revenu d'une salle de sport non loin de la Cité Aliou Sow. Comme pour confirmer la banalité de ce genre de scène, Aby Fall, vendeuse de fruits, confie d'un air déconcertant : "il ne se passe pas un soir sans qu'il n'y ait, ici, des cas d'agression". Tous indexent les autorités municipales (ici le maire Aïda Sow Diawara) à la charge desquelles repose la problématique de l'éclairage public.
Le décor est identique dans toutes les communes de la capitale et de sa banlieue où le réseau d'éclairage public est défectueux par endroits, et tout simplement inexistant par d'autres. Une situation aux causes multiples. Et du reste, très pénible pour les populations, exposées à toutes sortes de dangers.
Le réseau d'éclairage public de la capitale estimé à plus de 41 mille points lumineux est en proie à des agressions humaines : lampadaires déracinés au pied de biche par des chauffards, d'autres pillés par les voleurs de cuivre et de contacteurs électriques. Le tableau est désolant !
"Beaucoup de lampadaires de la capitale ont fait les frais des voleurs de contacteurs électriques et de cuivre revendus à des receleurs, d'autres ont subi la furie des chauffards qui terminent souvent leurs courses contre les lampadaires. Et quand un fil est coupé, c'est toutes les lampes câblées sur le même circuit qui crament. Cette situation est en train d'anéantir les efforts que nous faisons depuis 5 ans", se désole, Cheikh Diagne, chef de division chargé de l'éclairage public à la Ville de Dakar.
Les communes traînent des arriérés de 17 milliards
A cela s'ajoutent des frais d'entretien excessivement coûteux pour les nouvelles communes de plein exercice qui en ont la charge. Faisant partie des domaines de compétences transférées depuis 1996 (avec l'acte 2 de la décentralisation), la gestion et l'entretien des équipements d'éclairage public est désormais (selon la loi) à la charge des anciennes communes d'arrondissement devenues des communes de plein exercice avec l'acte 3 de la décentralisation, entré en vigueur au lendemain des élections locales de 2014.
L'éclairage public était devenu un fardeau pour les mairies de villes. Incapables de payer la facture très salée due à la Senelec, elles ont cédé volontiers la patate chaude aux nouvelles communes autonomes. Les villes ne se chargent désormais que de l'extension du réseau. En 2019, la facture est de 17 milliards. Une progression rapide, si on se réfère à 2011 où elle s'élevait à 12 milliards 590 millions de francs Cfa. A l'époque déjà, le ministre de l'Energie, Karim Wade, réclamait la note aux collectivités locales pour financer le "Plan Takkal".
La Ville de Dakar, à elle seule, devait payer plus de 3 milliards francs Cfa à la Senelec (2 milliards 355 millions francs Cfa pour l'éclairage public et 732 millions francs Cfa pour les bâtiments publics). Là où la ville de Pikine se retrouve avec une facture très salée de 754 millions francs Cfa (389 millions Cfa pour l'éclairage et 365 millions pour les bâtiments publics).
La Ville de Rufisque quant à elle, devait 285 millions dont 197 millions pour l'éclairage public et 88 autres pour les bâtiments publics). La ville de Guédiawaye qui ferme la liste traînait une note de 264 millions francs Cfa dont 231 pour l'éclairage public et le reste, 33 millions, pour les édifices publics. Au total, la région de Dakar devait alors 4 milliards 868 millions à la Senelec.
Acculées par le ministre de l'Energie qui menaçait de couper l'électricité, les collectivités locales sont allées négocier avec le Président Abdoulaye Wade. À l'issue des discussions avec l'Association des maires du Sénégal (Ams), Wade avait décidé "de la prise en charge, par l'État, des factures d'électricité pour l'éclairage public".
Une décision fortement critiquée par son successeur, Macky Sall qui n'a pas manqué de le rappeler aux élus locaux, lors de la revue annuelle conjointe sur la politique économique et sociale en décembre 2017. "Les communes du Sénégal ont décidé de ne pas payer l'éclairage public. Ils ont décidé qu'ils ne payent pas (il insiste). Aucune commune au Sénégal ne paye l'éclairage public. Pourtant, vous avez les moyens de payer. La Senelec a une facture de 13 milliards sur les communes" fulmine le président de la République.
Court-circuit entre la Senelec et les communes
Envoyées au banc des accusés, les mairies ne manquent pas d'argument pour se défendre. Selon les conseillers municipaux, le problème est beaucoup plus complexe et ne devrait pas être réduit à la conclusion simpliste de Macky Sall selon laquelle : "les collectivités ont décidé de ne pas payer". Conseiller à la Mairie de Guédiawaye, Bassirou Faye est formel : "C'est la Senelec qui ne veut pas que les choses soient claires à propos de l'éclairage public". Prenant la balle au bond, son collègue Serigne Diaw conseiller à la commune de Ndiarème Limamoulaye (Guédiawaye), renchérit : "les responsabilités sont partagées. Autant les collectivités doivent à la Senelec, autant celle-ci doit aux communes la taxe communale (TCO) sur l'électricité".
Cette taxe sur l'électricité représente 2,5% des factures des abonnés de la circonscription communale. Sur chaque facture payée, la Senelec doit reverser les 2,5% à la commune où réside l'abonné. Une manne financière importante gérée dans "l'opacité" totale par la Senelec, fustigent les élus locaux. "Par exemple, à Ndiarème Limamoulaye, on doit avoir pas moins de 150 mille voire 200 mille abonnés. Je ne comprends pas qu'on se retrouve avec 18 millions par an. Le calcul de ces redevances se fait dans une opacité totale. Il n'y a aucune traçabilité. La Senelec se lève un bon jour et nous dit vous avez 18 millions", dénonce Diaw.
A l'en croire, "la Senelec devrait donner des documents annexes qui chiffrent avec exactitude le nombre d'abonnés dans la circonscription communale et les montants des factures pour qu'on puisse vérifier nous-mêmes la somme que nous devons percevoir". Porte-étendard de cette cause, Amadou Diarra, Maire de Pikine Nord, a été à l'avant-garde de ce combat en 2004.
"J'ai été le premier maire à demander à ce que la Senelec paie aux collectivités locales la taxe communale sur l'électricité parce qu'avant 2004, la Senelec ne s'acquittent pas de cette taxe". Une bataille remportée par les collectivités locales mais le combat, lui, est loin de l'être. Car, charge-t-il, "c'est le flou total autour de cette question. Seule la Senelec est capable de nous donner des explications claires". Nous avons contacté et relancé la Senelec sur ce sujet, à plusieurs reprises (depuis Makhtar Cissé), mais toutes nos tentatives se sont soldées par des échecs.
Le solaire, une alternative coûteuse
En outre, avec un éclairage majoritairement dominé par l'utilisation des lampes à vapeur de sodium, pas du tout étonnant que la facture flambe, au grand dam des collectivités locales à très faibles ressources. Pour réduire la consommation de l'énergie électrique, la facture des collectivités locales, en définitive, les autorités publiques sont à la recherche d'autres alternatives.
Au moment où les grandes villes du monde expérimentent l'éclairage intelligent avec des LED pour un coût et une consommation en énergie maîtrisés, le Sénégal cherche à combler son retard en optant pour le solaire photovoltaïque. Mais là aussi, force est de reconnaître qu'on n'en est pas encore au bout tunnel. Car, en plus de faire les frais des pilleurs, ce type d'équipements nécessite un cycle d'entretien pas assez économe pour ne pas dire coûteux.
Ainsi, avec l'appui des partenaires au développement comme l'Agence française de développement (Afd), les Villes de Dakar, Pikine et Guédiawaye avaient bénéficié chacune de 1 000 lampadaires solaires qui ont eux aussi subi le même sort que le réseau classique de la Senelec. "Avant même qu'on ne termine l'installation des lampadaires, beaucoup avaient été pillés. Une bande de malfaiteurs a volé les plaques solaires et le boîtier de commande. De sorte qu'on était obligé de souder les boitiers", se souvient Cheikh Diagne de la mairie de Dakar.
A Pikine et Guédiawaye, les communes qui ont bénéficié des lampadaires solaires n'arrivent pas à en assurer l'entretien, très coûteux du reste. Elle nécessite une intervention périodique d'au moins une fois par trimestre, avec un matériel spécialisé et une main d'œuvre à payer. Ainsi, même si elles ne s'acquittent plus de la facture laissée à la charge de l'État, les communes allouent des dizaines de millions à la sauvegarde du patrimoine matériel.
"L'entretien de l'équipement d'éclairage public (lumière, mât et boitier) coûte cher et surtout pour le solaire. Il faut un entretien tous les trimestres et il faut louer une grue ou une nacelle pour monter sur le poteau, nettoyer la plaque et vérifier la batterie. Rien que pour la location de ces équipements, il faut compter entre 200 et 300 mille francs par jour pour le nombre de lampadaires. Et si la batterie est morte, il faut compter entre 300 et 500 mille pour changer. Les communes n'en ont pas les moyens", tranche Racine Ba, adjoint au maire de Guédiawaye, chargé de l'éclairage public. Conséquences : "sur les 1 000 lampadaires solaires que comptent la Ville de Guédiawaye, seule une dizaine s'allument".
Là où on opte pour une gestion solitaire à coup de dizaines de millions à Ndiarème Limamoulaye, Golf Sud (Guédiawaye) ou à Pikine Nord (Pikine), à Dakar par contre, on est plus pour une gestion concertée, coiffée par la Ville. "À Dakar, c'est la mairie de Ville qui s'occupe de l'éclairage public. Les 19 communes participent selon le nombre de points lumineux qu'ils ont dans leur circonscription communale. Cela nous coûte entre 80 et 100 millions par an. Pour l'entretien, la Ville lance un appel d'offre et c'est la société qui décroche le marché qui s'occupe de l'entretien de l'ensemble du réseau", fait savoir Diagne.
En plus d'apporter la sécurité, l'éclairage public participe à la visibilité et à l'attractivité des villes et des espaces publics. D'où l'importance alors de rénover les équipements très vétustes et d'opter pour un éclairage moins énergivore et qui ne demande pas une facture d'entretien hors de portée des communes.
50 mille lampadaires pour éclairer le 1/3 du territoire
Depuis quelques semaines, les autorités publiques tentent de reprendre le taureau par les cornes, à travers le projet d'éclairage public solaire lancé par l'État du Sénégal. Des lampadaires solaires Fonroche, 50 mille au total, sont en train d'être installés un peu partout dans plusieurs communes du Sénégal.
D'un montant global de 87 millions d'euros (57 milliards 68 millions 259 mille francs Cfa, soit 1 million 141 mille 365 francs Cfa l'unité) financé grâce à un prêt de la Bpi France (banque publique d'investissement de France) et du Trésor français. Le projet, signé en marge de la visite du Président Macron à Dakar (en février 2018), devrait permettre d'éclairer un tiers du territoire (1/3) du pays.
16 Commentaires
Ou sont nos 57 milliards? Eupleuw
Deux ans de tromperie, toujours rien.
Anonyme
En Septembre, 2019 (15:09 PM)Anonyme
En Septembre, 2019 (15:09 PM)Bertin
En Septembre, 2019 (15:27 PM)Canada
En Septembre, 2019 (15:56 PM)Sicap Zac Mbao
En Septembre, 2019 (18:02 PM)Las
En Septembre, 2019 (18:22 PM)Mais les nouveaux avec meme une echelle on peut acceder a l ampoule.
Doynawar
le grand kif de ces pitres : profitons de la bêtise et de la niaiserie de nos ouailles !!
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